TA Mayotte, 09/04/2024, n°2202347


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 mai 2022 et 17 juin 2023, la SARL Socobatra, représentée par Me Kaled, doit être regardée comme demandant au tribunal dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Dembéni à lui verser la somme de 91 573 euros au titre du solde de ses prestations ainsi que les sommes de 53 943,17 euros et de 40 euros au titre, respectivement, des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Dembéni une somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- alors que, par acte spécial du 20 juin 2013, la commune de Dembéni l'a acceptée comme sous-traitante du groupement titulaire et agrée ses conditions de paiement dans la limite de 107 873 euros, elle n'a perçu que la somme de 16 300 euros. Elle donc fondée à demander la condamnation de la commune à lui verser la somme de 91 573 euros ;

- elle est également fondée à demander la condamnation de la commune de Dembéni à lui verser la somme de 54 843,17 euros au titre des intérêts moratoires ainsi que la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2023, la commune de Dembéni, représentée par Me Saïdal, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, ce litige, qui est relatif à l'exécution d'un contrat de sous-traitance, est porté devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- à titre subsidiaire et au fond aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 23 juin 2023, la clôture de l'instruction a, en dernier lieu, été fixée au 17 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Banvillet, premier conseiller ;

- les observations de Me Kaled représentant la société Socobatra et celles de Me Saïdal, représentant la commune de Dembéni.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Dembéni a, le 29 novembre 2010, confié au groupement " Kamalédine-Anzilane-Nemati Malide " le lot n° 5-B " chemins piétons " du marché de travaux de voirie et réseaux divers de l'opération de résorption de l'habitat insalubre d'Hajangoua. Le titulaire a sous-traité à la société Socobatra la réalisation de ces prestations. Par un acte spécial signé le 20 juin 2013 par la commune de Dembéni, celle-ci a accepté le recours à cette sous-traitance et agréé les conditions de paiement de la société Socobatra. Par la présente requête, la société Socobatra doit être regardée comme demandant au tribunal de condamner la commune de Dembéni à lui verser la somme de 91 573 euros.

Sur l'exception d'incompétence opposée par la commune de Dembéni :

2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. () ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 que les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître de l'ouvrage, du prix des travaux concernent l'exécution d'un marché public et relèvent par suite de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, les conclusions indemnitaires de la société Socobatra qui doivent être regardées comme fondées sur les dispositions de la loi du 31 décembre 1975, relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre administratif. Il suit de là que l'exception d'incompétence opposée par la commune de Dembéni doit être écartée.

Sur le droit au paiement direct :

4. Aux termes de l'article 112 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Le titulaire d'un marché public de travaux, d'un marché public de services ou d'un marché industriel peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement ". Aux termes de l'article 114 de ce code : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement sont demandés dans les conditions suivantes : 1° Dans le cas où la demande de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre ou de la proposition, le candidat fournit au pouvoir adjudicateur une déclaration mentionnant : () c) Le montant maximum des sommes à verser par paiement direct au sous-traitant ; d) Les conditions de paiement prévues par le projet de contrat de sous-traitance et, le cas échéant, les modalités de variation des prix () / () / L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont alors constatés par un acte spécial signé des deux parties. / Figurent dans l'acte spécial les renseignements ci-dessus mentionnés au 1° () 3° Si, postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui a été indiqué dans le marché ou l'acte spécial, il demande la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité prévus à l'article 106 du présent code. " Aux termes de l'article 116 du code des marchés publics, applicable en l'espèce : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée par lui dans le marché. Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée dans le marché par le pouvoir adjudicateur, accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé. Le pouvoir adjudicateur ou la personne désignée par lui dans le marché adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant. Le pouvoir adjudicateur procède au paiement du sous-traitant dans le délai prévu par l'article 98. Ce délai court à compter de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'accord, total ou partiel, du titulaire sur le paiement demandé, ou de l'expiration du délai mentionné au deuxième alinéa si, pendant ce délai, le titulaire n'a notifié aucun accord ni aucun refus, ou encore de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'avis postal mentionné au troisième alinéa. Le pouvoir adjudicateur informe le titulaire des paiements qu'il effectue au sous-traitant ".

5. Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s'il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l'issue de cette procédure, le maître d'ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s'il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement.

6. La société Socobatra n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait adressé au titulaire, dans les formes prévues par les dispositions précitées, une demande de paiement direct relative au montant du solde des prestations dont elle se prévaut. Faute de preuve de ce qu'elle a respecté cette formalité, la demande de la société requérante tendant au versement de la somme de 91 573 euros ne peut qu'être rejetée. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Socobatra présentées à ce titre doivent, par suite, être rejetées, ainsi que celles, par voie de conséquence, tendant au paiement de sommes au titre d'intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Dembéni, qui n'est pas la partie perdante, le versement à la société Socobatra d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Socobatra une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Dembéni et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Socobatra est rejetée.

Article 2 : La SARL Socobatra versera à la commune de Dembéni une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Socobatra et à la commune de Dembéni.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Sorin, président,

- M. Banvillet, premier conseiller,

- M. Le Merlus, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024

Le rapporteur,Le président,

M. A

La greffière,

F. DAROUSSI DJANFAR

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2202347