TA Montpellier, 18/04/2023, n°2203626

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 juillet 2022, 25 novembre 2022 et le 24 mars 2023, la Sarl Canela, représentée par Me Pion Riccio, demande au tribunal sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

1°) de condamner la communauté de communes Les Avants-Monts à lui verser, à titre de provision, la somme de 15 723,50 euros en exécution du décompte général tacite du 9 juin 2022 ;

2°) de condamner la communauté de communes Les Avants-Monts à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la réception de l'ouvrage a été prononcée le 1er décembre 2021 sans réserve ;

- après l'écoulement d'un délai de 30 jours, elle a transmis au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage un projet de décompte final ;

- en l'absence de notification du décompte général par le maître d'œuvre, et en application des dispositions de l'article 13.4.4 du CCAG travaux, elle a notifié au maître d'ouvrage un projet de décompte général ;

- le représentant du pouvoir adjudicateur n'ayant pas notifié le décompte général à la société requérante dans le délai de 10 jours visé à l'article 13.4.4 du CCAG travaux, par voie de conséquence, le projet de décompte général est devenu, le 9 juin 2022, le décompte général et définitif du marché ;

- elle a transmis une réclamation préalable, bien que cette formalité exigée à l'article 50.1.1 de l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, ne soit pas ici applicable en raison de la survenance du décompte général et définitif du marché ;

- elle détient une créance de 15 723,50 euros TTC non sérieusement contestable sur la Communauté de communes Les Avants-Monts.

Par trois mémoires, enregistrés le 27 septembre 2022, les 28 février et 29 mars 2023, la Communauté de communes Les Avants-Monts, représentée par Me Moreau, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire à la condamnation Mme C A à la garantir de l'intégralité des sommes que la communauté de communes Les Avants-Monts devra verser à la Sarl Canela ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à condamner Mme C A, en tant que mandataire du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, à la garantir des sommes qu'elle devra verser à la Sarl Canela à proportion des fautes commises par le groupement ;

4°) en tout état de cause, à condamner la Sarl Canela à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la réception a été prononcée sous réserves en application de l'article 41.5 du CCAG-Travaux ;

- les réserves ont été transmises par courriel à deux reprises par AB Ingenierie, en septembre 2021 puis en avril 2022 ;

- le projet de décompte final ne pouvait être adressé au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre tant que le procès-verbal de levée de ces réserves n'avait pas été dressé ;

- dans ces conditions, le projet de décompte final, et par voie de conséquence le projet de décompte général, ont été précocement transmis par la Sarl Canela et n'ont pu faire courir les délais d'établissement d'un décompte général et définitif tacite ;

- l'obligation dont se prévaut la Sarl Canela est sérieusement contestable ;

- si la Sarl Canela devait être regardée comme n'ayant jamais reçu la liste des réserves émises, ouvrant ainsi la possibilité pour cette dernière d'établir un décompte général et définitif tacite alors même que des prestations devaient encore être réalisées, cette absence de transmission des réserves serait exclusivement imputable à la maîtrise d'œuvre ;

- la demande n'est pas recevable, faute de transmission d'une réclamation préalable exigée à l'article 50.1.1 de l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le groupement de maîtrise d'œuvre, dirigé par Madame A, a commis une faute en ne vérifiant pas le projet de décompte final transmis par la Sarl Canela ;

- la maitrise d'œuvre n'a jamais transmis de décompte général à la maîtrise d'ouvrage en méconnaissance de ses obligations contractuelles ;

- l'absence de conseil de la maitrise d'ouvrage a également privé la maître d'ouvrage d'une chance de voir appliquer des pénalités contractuelles à la Sarl Canela.

Le tribunal a informé le 14 mars 2023 les parties que la décision est susceptible de se fonder sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité de la requête pour absence de mémoire en réclamation exigé en application de l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux tel qu'issu de l'arrêté du 8 septembre 2009.

Vu les autres pièces du dossier.

Le président du tribunal a désigné M. Souteyrand, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 18 février 2020, la communauté de communes Les Avants-Monts a attribué à la Sarl Canela le lot n°6 " cloisons, doublages, faux plafonds ", d'un montant de 57 055 euros HT, dans le cadre du marché public d'aménagement et d'extension de la collectivité. Les travaux effectués par la Sarl Canela ont été réceptionnés, sous réserves, le

1er décembre 2021. La Sarl Canela estimant pouvoir se prévaloir d'un décompte général et définitif, intervenu tacitement, demande au juge des référés de condamner la communauté de communes Les Avants-Monts à lui payer, à titre de provision, la somme de 15 723,50 euros correspondant au solde du marché.

Sur les conclusions tendant à l'allocation d'une provision :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

3. D'une part, les stipulations de l'article 13.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans sa version applicable, prévoient notamment : " 13.3.2. Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. () Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. (). 13.3.4. Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final. () ". Aux termes de l'article 13.4 du même cahier, intitulé " Décompte général. - Solde " : " 13.4.1. Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général () " () 13.4.4. " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : -du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; -du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; -du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. Le décompte général et définitif lie définitivement les parties () ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 41.3 dudit CCAG : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. Sauf le cas prévu à l'article 41. 1. 3 [absence de fixation de la date des opérations préalable à la réception,], à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire ", et aux termes de l'article 41.5 du même document : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception () ".

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, selon le procès-verbal dressé le

1er décembre 2021, la réception du lot en cause attribué à la société Canela a été prononcée, par le maître d'œuvre, sous réserves des travaux non effectués indiqués à l'annexe 1. Par suite, en application des dispositions précitées de l'article 41.5, et en l'absence de procès-verbal constatant de l'exécution de ces prestations manquantes, le point de départ du délai prévu à l'article 13.3 du CCAG, à compter duquel le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, n'a pas pu commencer à courir, de sorte que le projet de décompte général transmis par la société Canela n'a pu devenir tacitement le décompte général et définitif du marché. Par suite, en l'état, la créance de 15 723,50 euros dont la société Canela entend se prévaloir à l'appui de ses conclusions à raison du solde du marché, en invoquant la naissance d'un décompte général et définitif tacite, présente un caractère sérieusement contestable.

6. Il y a donc lieu de rejeter la requête de la société Canela, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'appel en garantie de la communauté de communes Les Avants-Monts. Et, dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de mettre à la charge de la société Canela la somme que réclame la communauté de communes Les Avants-Monts en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la Sarl Canela est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes Les Avants-Monts présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Sarl Canela, à la communauté de communes

Les Avants-Monts et à Mme C A.

Le président de la 4ème chambre,

E. Souteyrand

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 18 avril 2023.

La greffière,

M. B