TA Nantes, 04/01/2023, n°2005914
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 juin 2020 et 13 octobre 2022, la société Snidaro, représentée par Me Manhouli, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner Mayenne Communauté à lui verser une somme de 60 514,87 euros TTC au titre du solde du marché conclu 27 juillet 2017 pour l'exécution du lot n° 7 " carrelage-faïence-sauna-hammam ", outre les intérêts moratoires et la capitalisation des intérêts ;
2°) à titre subsidiaire, de fixer le solde du marché ;
3°) de condamner Mayenne Communauté à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable au regard des dispositions de l'article R. 412-2 du code de justice administrative ;
- elle a présenté un mémoire en réclamation conformément aux stipulations de l'article 50 du CCAG applicable au marché litigieux ;
- le décompte général et définitif a été tacitement établi suite à l'envoi de son projet de décompte final ;
- son projet de décompte a bien été notifié à M. B, économiste, sur les instructions du mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre dont il est membre ;
- Mayenne Communauté n'a pas sursis à l'établissement du décompte général ;
- le motif du sursis allégué ne pouvait pas le fonder régulièrement, dès lors qu'il ne concerne pas des travaux qu'elle a réalisés ;
- la demande reconventionnelle de Mayenne Communauté est irrecevable, dès lors que le décompte général est devenu définitif ; en tout état de cause, sa demande n'est pas fondée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 juillet 2020, 6 avril 2021, 4 et 7 novembre 2022, la communauté de communes Mayenne Communauté, représentée par la SELARL Cabinet Coudray, demande au tribunal :
1°) de rejeter la requête de la société Snidaro ;
2°) à titre reconventionnel, de condamner la société Snidaro à lui verser une somme de 313 186,70 euros ;
3°) de condamner la société Snidaro à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en la forme au regard des dispositions de l'article R. 412-2 du code de justice administrative ;
- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'un mémoire en réclamation régulièrement présenté en comportant les bases de calculs des sommes réclamées, et adressé par le titulaire lui-même, et pour copie au maître d'œuvre ;
- le décompte général définitif n'a pu intervenir, dès lors que l'envoi par le titulaire du marché de son projet de décompte final n'était pas accompagné des documents mentionnés à l'article 13.1.7 ;
- le décompte général et définitif n'a pas pu intervenir, dès lors que, par courrier du
21 décembre 2018, elle a expressément refusé d'établir le décompte général au motif de l'absence de levée des réserves et de l'existence de pénalités applicables à ce titre ;
- la réception des travaux a été effectuée sous réserves de l'exécution de prestations, lesquelles n'ont pas été levées, faisant obstacle à l'élaboration d'un projet de décompte final ;
- le projet de décompte final n'a pas été transmis d'œuvre conformément à l'article 13.3.2 du CCAG ;
- par courrier du 14 février 2020, elle a opposé une décision de sursis à statuer à la demande de la société Snidaro tendant à l'établissement du décompte général ;
- les demandes de la société Snidaro ne sont pas justifiées ;
- elle a droit à titre reconventionnel, au paiement d'une créance de 313 186,70 euros correspondant au montant des frais exposés en raison des désordres imputables à la société Snidaro et des pénalités de retard.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles de Mayenne Communauté par voie de conséquence de l'irrecevabilité des conclusions de la société Snidaro.
Vu les pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de M. Dias, rapporteur public,
- les observations de Me Manhouli, avocate de la société Snidaro ;
- et les observations de Me Fekri, avocat de Mayenne Communauté
Considérant ce qui suit :
1. Au cours de l'année 2012, la communauté de communes Mayenne Communauté a décidé de lancer un marché de travaux pour la construction d'un centre aquatique intercommunal sur le site des " Châteliers " à Mayenne. Par acte d'engagement du 3 juillet 2015, le lot n° 7 " carrelage-faïence-sauna-hammam " a été confié à la société Cheux père et fils. Cette société ayant été placée en procédure de redressement judiciaire, le marché a été résilié le 2 mai 2017 et le lot attribué à la société Snidaro le 27 juillet 2017. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le
24 février 2018, avec effet au 6 février 2018. Par courrier du 26 mars 2018, Mayenne Communauté a mis en demeure la société Snidaro de trouver la cause du phénomène de glissance affectant une partie du carrelage du centre aquatique posé par la société Cheux père et fils et de proposer une solution afin de réparer ce désordre. Le 25 juillet 2018, la communauté de communes a informé le titulaire du marché que des pénalités de retard dans l'exécution des travaux, de retard dans la levée des réserves et d'absences aux réunions de chantier lui seraient appliquées et a de nouveau mis en demeure la société Snidaro de procéder à la levée des réserves avant le 15 septembre 2019.
Le 17 décembre 2018, la société Snidaro a adressé son projet de décompte final. Par courrier du 21 décembre 2018, Mayenne Habitat a refusé d'établir le décompte général définitif au motif que les réserves n'avaient pas été levées et a de nouveau, par courrier du 28 janvier 2019, mis en demeure la société Snidaro de procéder à la levée des réserves dans le délai d'un mois. Par courrier reçu par Mayenne Communauté le 31 janvier 2020, la société Snidaro a de nouveau envoyé son projet de décompte final. Par courrier du 12 février 2020, la communauté de communes a refusé d'établir celui-ci et retourné à la société requérante ce document. Par courrier du 19 mars 2020, la société Snidaro a mis en demeure Mayenne Communauté de lui payer la somme de
84 052,19 euros TTC au titre du solde du marché. Par sa requête, la société Snidaro demande au tribunal de condamner la communauté de commune à lui verser la somme de 60 514,87 euros au titre du solde de son marché.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché litigieux : " () 13.3. Demande de paiement finale : / 13.3.1. Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. / Le projet de décompte final est établi à partir des prix initiaux du marché, comme les projets de décomptes mensuels, et comporte les mêmes parties que ceux-ci, à l'exception des approvisionnements et des avances. Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l'article 13.1.7 s'ils n'ont pas été précédemment fournis. / Le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final. / () 13.4. Décompte général. - Solde : / 13.4.1. Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : / - le décompte final ; / - l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du projet de décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation. / Le maître d'œuvre transmet le projet de décompte général au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai compatible avec les délais de l'article 13.4.2. / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. / Si, lors de l'établissement du décompte général, les valeurs finales des index de référence ne sont pas connues, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire la révision de prix afférente au solde dans les dix jours qui suivent leur publication. La date de cette notification constitue le point de départ du délai de paiement des sommes restant dues après révision définitive des prix. / () 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : / - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; / - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. Le cas échéant, les révisions de prix sont calculées dans les conditions prévues à l'article 13.4.2() ". Aux termes de l'article 50 du même document : " Le représentant du pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché./ 50.1. Mémoire en réclamation : / 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation./ Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général./ Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. () ".
3. Il résulte des stipulations précitées, lesquelles s'appliquent à tout différend né de l'exécution du marché, y compris celui résultant du refus du maître de l'ouvrage de procéder au règlement du solde du marché tel qu'il a été déterminé par un décompte général dûment établi, notifié et devenu définitif, que pour être recevable à saisir la juridiction administrative d'un tel différend, le titulaire du marché doit avoir préalablement saisi le représentant du pouvoir adjudicateur d'un mémoire en réclamation adressé en copie au maître d'œuvre.
4. Il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas contesté par la société Snidaro que celle-ci n'a pas envoyé sa demande de paiement datée du 19 mars 2020 pour copie au maître d'œuvre. Dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme ayant présenté un mémoire en réclamation tendant au règlement du litige qui l'oppose à la communauté de communes Mayenne Communauté pour le règlement du marché dont elle est titulaire dans les conditions prévues par les stipulations combinées des articles 13 et 50 du cahier des clauses administratives applicable au marché litigieux. Dès lors, la communauté de communes est fondée à soutenir que les conclusions de la société requérante sont irrecevables. Par suite, il y a lieu de rejeter comme telles les conclusions de la société Snidaro tendant au règlement du solde de son marché ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions reconventionnelles de Mayenne Communauté comme étant également irrecevables.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mayenne Communauté, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que demande la société Snidaro au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Snidaro une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mayenne Communauté et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Snidaro est rejetée.
Article 2 : La société Snidaro versera à Mayenne Communauté une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Snidaro et à la communauté de communes Mayenne Communauté.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Loirat, présidente,
M. Gauthier, premier conseiller,
M. Simon, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 janvier 2023.
Le rapporteur,
P-E. A
La présidente,
C. LOIRAT
La greffière,
P. LABOUREL
La République mande et ordonne au préfet de la Mayenne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,