TA Orléans, 04/07/2023, n°2103081

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 24 août 2021, le tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif d'Orléans la requête présentée par la société Thierry Van de Wingaert Architectes Associés et la société Otéis, enregistrée le 14 juin 2021 au greffe de ce tribunal.

Par cette requête et des mémoires, enregistrés le 8 juillet 2022 et le 28 octobre 2022, les sociétés Thierry Van de Wingaert Architectes Associés et Otéis, représentées par Me Mel, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 227 988, 21 euros TTC au titre des frais engagés et des préjudices consécutifs à la résiliation unilatérale du contrat de maîtrise d'œuvre relatif à la restructuration et à l'extension du tribunal de grande instance de Chartres ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à chacune d'elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elles soutiennent que :

S'agissant de la décision de résiliation du marché :

- la résiliation unilatérale du contrat de maitrise d'œuvre par le maître d'ouvrage, qui n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général, est fautive ;

S'agissant des sommes sollicitées :

- la maîtrise d'œuvre est fondée à obtenir la réparation des préjudices consécutifs à la résiliation anticipée du marché mais aussi ceux liés à la faute du maître d'ouvrage à hauteur de 227 988,21 euros TTC ;

- la somme de 123 988,21 euros doit leur être versée au titre de la réalisation intégrale des études d'avant-projet sommaire dès lors que, d'une part, le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté, ajourné ou rejeté les documents remis dans le cadre de la phase de diagnostic dans le délai de deux mois applicable aux termes des dispositions de l'article 26-2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, ils sont réputés réceptionnés et approuvés, et que, d'autre part, le maître d'ouvrage ne peut soutenir qu'il ignorait le commencement de la phase d'avant-projet sommaire et que cette phase d'étude été terminée et les documents remis ;

- le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté la réception des livrables des études d'avant-projet sommaire dans un délai de deux mois suivant sa réception, la prestation doit être regardée comme reçue et approuvée depuis le 29 octobre 2019 ;

- la remise du dossier d'avant-projet sommaire est incontestablement survenue le 29 août 2019 ;

- la somme de 2 460 euros doit leur être versée au titre de la réalisation de panneaux et de la présence sur le chantier lors d'une visite de la garde des sceaux, ministre de la justice sur le chantier ;

- la somme de 2 148,28 euros doit leur être versée au titre des intérêts moratoires dus à la société Otéis dont les prestations n'ont pas été payées par le maître d'ouvrage dans les délais impartis ;

- la somme de 100 000 euros doit leur être versée au titre du préjudice subi du fait des retards du maître d'ouvrage dans le traitement administratif de l'opération, du traitement inéquitable dans la résolution des difficultés rencontrées, de la désorganisation des équipes, de la perte d'image, de la perte de chance d'avoir à réaliser ce projet et de la perte d'industrie ;

Subsidiairement, s'agissant des pénalités de retard appliquées :

- le maître d'ouvrage ne peut leur appliquer une retenue de 21 536 euros HT dès lors que le retard de quatre-vingt jours dont il allègue pour la production des études de diagnostic est erroné ;

Par des mémoires enregistrés le 1er juillet 2022 et le 8 septembre 2022 le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

S'agissant de la décision de résiliation du marché :

- la décision portant arrêt d'exécution des prestations de marché de maitrise d'œuvre n'a pas à être motivée dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une résiliation unilatérale fondée sur un motif d'intérêt général mais se fonde sur les dispositions de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

S'agissant des sommes sollicitées par les entreprises requérantes :

- elles sont dépourvues de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;

- les sociétés requérantes ne sont pas fondées à solliciter le versement d'une indemnité au titre de la réalisation des études d'avant-projet sommaire dès lors que les sociétés requérantes n'établissent pas avoir réalisé et remis les études au maitre d'ouvrage, que la réception tacite relative à la mission de diagnostic étant intervenue le 19 septembre 2019, la transmission du dossier au ministère le 29 août 2019 est prématurée et que le titulaire du marché n'a pas informé le maître d'ouvrage de sa décision de lancer les études d'avant-projet sommaire de manière anticipée ;

- une indemnité de 2 460 euros au titre des frais induits pour la confection de panneaux d'exposition et le temps passé sur le chantier dans le cadre de la visite de la garde des sceaux, ministre de la justice doit être versée aux sociétés requérantes ;

- la demande relative au versement d'une somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi est irrecevable dès lors que le mémoire en réclamation adressé par les sociétés requérantes au maître d'ouvrage, le 12 octobre 2020, n'est fondé sur aucun justificatif et ne précise aucune base de calcul ;

- les entreprises requérantes ne sont pas fondées à solliciter une indemnité au titre du préjudice subi dès lors que la résiliation fondée sur les dispositions de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles n'ouvre droit à aucune indemnité pour le titulaire du contrat et qu'aucune faute n'a été commise par le maître de l'ouvrage ;

- elles ne justifient pas de la réalité du préjudice allégué ;

- la demande relative au paiement d'une indemnité de 227 988,21 euros, qui n'est pas assortie de précision sur les bases de calcul de la somme demandée, ne peut être regardée comme un mémoire en réclamation ;

S'agissant des pénalités de retard appliquées :

- le groupement de maîtrise d'œuvre, ne contestant pas les pénalités de retard qui lui sont appliquées dans sa requête, mais uniquement dans le décompte de résiliation, les pénalités sont devenues définitives ;

- les pénalités de retard appliquées sur l'élément de mission de diagnostic sont fondées dès lors que la durée d'exécution de l'élément de mission est portée à soixante-trois jours de plus que le délai fixé par l'acte d'engagement.

Par une ordonnance du 31 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;

- le décret du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente-rapporteure ;

- les conclusions de Mme Best de Gand, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Apetoh, représentant les sociétés requérantes.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 juillet 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, représenté par le chef du département immobilier de Paris, a conclu un contrat de maîtrise d'œuvre relatif à la restructuration et à l'extension du tribunal de grande instance de Chartres avec un groupement composé des sociétés Thierry Van De Wyngaert Architectes Associés, mandataire, Otéis et Avel. Ce contrat consistait en la réalisation d'une mission de base, complétée de l'élément diagnostic, pour un montant total de 1 082 184 euros. Par un courrier du 19 décembre 2019, notifié le 21 février suivant, il a informé le groupement de maîtrise d'œuvre de son intention de mettre un terme à l'exécution des prestations du marché à l'issue de l'élément de mission de diagnostic. Le groupement de maîtrise d'œuvre a adressé au ministre de la justice, le 17 décembre 2019, un projet de décompte final, présentant un montant de 95 760,22 euros à lui verser. Le ministre de la justice, par courrier en date du 14 août 2020 notifié le 20 août suivant, a refusé d'approuver le projet de décompte final préalablement présenté par le groupement de maîtrise d'œuvre et lui a adressé un décompte de résiliation faisant état d'une indemnité forfaitaire de résiliation à hauteur de 29 154,37 euros, de pénalités de retard à hauteur de 21 536 euros et d'un solde de 10 689,24 euros. Par un courrier du 12 octobre 2020, le groupement de maîtrise d'œuvre a formé une demande préalable auprès du ministère de la justice, sollicitant le versement de la somme de 227 988,21 euros. Ce courrier étant resté sans réponse, les sociétés Thierry Van De Wyngaert Architectes Associés et Otéis demandent au tribunal de condamner l'Etat au paiement de la somme 227 988,21 euros au titre des frais engagés et des préjudices consécutifs à la résiliation unilatérale du maître de l'ouvrage.

Sur la résiliation :

En ce qui concerne le motif de la résiliation

2. D'une part, aux termes de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI), dans sa version applicable au litige : " Lorsque les prestations sont scindées en plusieurs parties techniques à exécuter distinctement, le pouvoir adjudicateur peut décider, au terme de chacune de ces parties, soit de sa propre initiative, soit à la demande du titulaire, de ne pas poursuivre l'exécution des prestations, dès lors que les deux conditions suivantes sont remplies : / - les documents particuliers du marché prévoient expressément cette possibilité ; / - chacune de ces parties techniques est clairement identifiée et assortie d'un montant. / La décision d'arrêter l'exécution des prestations ne donne lieu à aucune indemnité. / L'arrêt de l'exécution des prestations entraîne la résiliation du marché. ". Aux termes de l'article 31-3 du même cahier : " Lorsque l'arrêt de l'exécution des prestations est prononcé en application de l'article 20, le pouvoir adjudicateur résilie le marché. / La résiliation n'ouvre droit pour le titulaire à aucune indemnité. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 33 du CCAG-PI : " Lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. / Ces indemnités sont portées au décompte de résiliation, sans que le titulaire ait à présenter une demande particulière à ce titre ".

4. Enfin, aux termes de l'article 19 du cahier des clauses administratives particulières du marché (CCAP) " Le maître de l'ouvrage se réserve la possibilité d'arrêter l'exécution des prestations au terme de chacun des phases techniques () " et aux termes de l'article 22 du même CCAP : " () dans le cas d'une résiliation pour motif d'intérêt général, le pourcentage pris en compte pour l'application de l'article 33 du C.C.A.G.-P.I. est fixé à 4% () "

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le ministre de la justice a, par un courrier du 19 décembre 2019, notifié au groupement de maitrise d'œuvre une décision portant arrêt d'exécution des prestations du contrat de maîtrise d'œuvre à l'issue de l'élément de mission de diagnostic (" DIAG ") " pour motif d'intérêt général " et par courrier en date du 14 août 2020 lui a adressé un décompte de résiliation faisant état d'une indemnité forfaitaire de résiliation à hauteur de 29 154,37 euros.

6. Il résulte de l'instruction que les documents particuliers du marché, et notamment l'article 19 du CCAP, ont expressément prévu la possibilité du pouvoir adjudicateur de mettre un terme à l'exécution des prestations dans les conditions fixées par l'article 20 du CCAG-PI. D'autre part, il ressort de l'annexe 1 du marché relative à la décomposition du forfait initial de rémunération entre les éléments de mission et entre les cotraitants, que chacun des éléments de mission à exécuter distinctement sont clairement identifiés et assortis d'un montant propre. Enfin, il résulte des termes même de l'article 20 du CCAG-PI que l'arrêt des prestations n'est conditionné par aucun motif particulier, de sorte que l'administration n'était pas tenue de faire état d'un quelconque motif pour mettre un terme à l'exécution du marché.

7. Néanmoins, en l'espèce, d'une part, il résulte des termes de la décision du 19 décembre 2019 que le ministre de la justice a pris sa décision " pour motif d'intérêt général " au visa de l'article 22 du CCAP " résiliation pour motif d'intérêt général ", d'autre part, le décompte de résiliation notifié le 14 août 2020 applique une indemnité de résiliation de 4 % en application de l'article 33 du CCAG-PI et de l'article 22 du CCAP, enfin, le ministre a, par son courrier du 14 août 2020 de notification dudit décompte rappelé que " ce marché de maîtrise d'œuvre a fait l'objet d'une décision de résiliation pour motif d'intérêt général prise en application de l'article 22 du CCAP ". Dès lors, il résulte de l'instruction que le ministre de la justice doit être regardé comme ayant résilié le marché pour motif d'intérêt général et non comme ayant entendu mettre fin aux des prestations de manière anticipée en application des dispositions de l'article 20 du CCAG-PI, quand bien même ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, il en avait la possibilité.

En ce qui concerne les conséquences indemnitaires de la résiliation

8. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du CCAG-PI : " A l'issue des opérations de vérification, le pouvoir adjudicateur prend, dans le délai prévu à l'article 26. 2, une décision de réception, d'ajournement, de réfaction ou de rejet ". Aux termes de l'article 26.2 du même cahier : " Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois pour procéder aux vérifications et notifier sa décision de réception, d'ajournement, de réception avec réfaction ou de rejet ". Aux termes de l'article 26.3.1 du même cahier " Pour les vérifications effectuées dans les établissements du pouvoir adjudicateur, le point de départ du délai est la date de remise par le titulaire, ou de livraison, des prestations au pouvoir adjudicateur ". Aux termes de l'article 6.2.3 du CCAP : " La décision du maître d'ouvrage de réception, d'ajournement, de réception avec réfaction, ou de rejet des documents d'études ci-dessus, doit intervenir dans les délais prévus à l'article 26.2 du CCAG-PI () / Si cette décision n'est pas notifiée au titulaire dans le délai ci-dessus, la prestation est considérée comme reçu, et approuvée avec effet à l'expiration du délai () ".

9. Il résulte de l'instruction que l'ensemble des documents relatifs à l'élément de mission diagnostic (" DIAG ") ont été transmis au maître d'œuvre dans leur version complétée le 19 juillet 2019. Par suite, et en vertu des dispositions susvisées, le maître de l'ouvrage disposait de la faculté de réceptionner, d'ajourner ou de rejeter les documents transmis jusqu'au 19 septembre 2019 inclus. Cependant, par courrier du 20 septembre 2019, dont il n'est pas contesté qu'il ait été notifié aux sociétés requérantes le même jour, le maître d'ouvrage a fixé la réception des éléments de mission d'esquisse et de diagnostic au 19 septembre 2019 et a décidé que, par dérogation aux stipulations de l'article 6.1.1 du CCAP, celle-ci ne valait pas lancement de la phase d'avant-projet sommaire (" APS ").

10. Les requérantes soutiennent avoir réalisé l'ensemble de la mission " APS " et procédé à la remise, en quatre exemplaires, des documents relatifs à cet élément de mission au chef de département immobilier de Paris, le 29 août 2019. Elles font également valoir que le maître de l'ouvrage ne pouvait ignorer que cette phase avait débuté, dès lors qu'il a activement participé aux réunions relatives à cet élément de mission. Toutefois, en se bornant à produire, à l'appui de leurs allégations, une lettre adressée au ministère de la justice ainsi qu'une photographie de documents papiers, les requérantes ne produisent aucun élément suffisant à établir la réalité de ces allégations. Dans ces conditions, elles ne sont pas fondées à réclamer le règlement des prestations effectuées à hauteur de 70 % du montant total de l'élément de mission " APS " dès lors qu'il n'est pas démontré que cette élément de mission aurait effectivement été remis au maître de l'ouvrage. Pour les mêmes motifs, elles ne peuvent davantage prétendre au versement d'un acompte à hauteur des 30 % restant, exigible après approbation de l'élément par le maître d'ouvrage.

11. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993, relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " En cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'œuvre fait l'objet d'un avenant qui arrête le programme modifié et le coût prévisionnel des travaux concernés par cette modification, et adapte en conséquence la rémunération du maître d'œuvre et les modalités de son engagement sur le coût prévisionnel ".

12. Il résulte de ces dispositions que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidée par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Dans cette hypothèse, le droit du maître d'œuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage. En revanche, ce droit n'est subordonné, ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé en application des dispositions précitées de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993, ni même, à défaut d'avenant, à celle d'une décision par laquelle le maître d'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'œuvre.

13. Les requérantes font valoir, sans être contredites, qu'elles ont engagé la somme de 2 460 euros TTC au titre de la réalisation d'une visite sur chantier de la garde des sceaux, ministre de la justice et de la confection de panneaux d'exposition présentant le projet de restructuration du bâtiment. Elles produisent à cet égard une note de frais du 2 septembre 2019 détaillant la somme demandée. Il n'est pas contesté en défense que ces prestations constituent des prestations supplémentaires correspondant à des modifications du programme initialement demandé par le maître d'ouvrage. Dans ces conditions, et dès lors que le droit au paiement n'est pas subordonné à la signature d'un avenant, la somme de 2 460 euros doit être versée aux sociétés requérantes, ainsi au demeurant que le ministre en convient aux termes de ses écritures.

14. En dernier lieu, si les sociétés requérantes font état d'un préjudice lié aux retards du maître de l'ouvrage dans le traitement administratif de l'opération, au traitement inéquitable de leurs difficultés, à la désorganisation des équipes, à la perte d'image, à la perte de chance d'avoir à réaliser ce projet et à la perte d'industrie et en évaluent la réparation à 100 000 euros, en se bornant à les lister dans leurs écritures, elles ne produisent aucun élément de nature à établir la réalité de ce préjudice. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme sollicitée à ce titre.

Sur les pénalités de retard :

15. Aux termes de l'article 3. 2. 1. du CCAG : " Tout délai mentionné au marché commence à courir à 0 heure, le lendemain du jour où s'est produit le fait qui sert de point de départ à ce délai () ". D'autre part, aux termes de l'article 14.1 du CCAG-PI : " Les pénalités pour retard commencent à courir, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mise en demeure, le lendemain du jour où le délai contractuel d'exécution des prestations est expiré, sous réserve des stipulations des articles 13. 3 et 22. 4. ". Aux terme de l'article 6.1.2 du CCAP : " Par dérogation à l'article 14 du C.C.A.G-P.I., en cas de retard dans l'achèvement des documents de la phase " Etudes ", le maître d'œuvre subira, sur ses créances, des pénalités dont le montant H.T., par jour calendaire de retard fixé à : / - 2/1 000ème du montant provisoire de la rémunération forfaitaire H.T., pour les éléments DIAG et APS correspondants () ".

16. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.

17. Il résulte de l'instruction que les documents particuliers du marché ont fixé le commencement des études de diagnostic au 9 juillet 2018, jour où le marché a été notifié au groupement de maîtrise d'œuvre. Ces documents ont prévu un délai de huit semaines pour l'exécution de ces études. Il résulte encore de l'instruction que le 31 juillet 2018, le groupement de maîtrise d'œuvre a transmis au ministère de la justice les premiers éléments du diagnostic ainsi que les cahiers des charges des études géotechniques et de structure indispensables à la réalisation de sa mission. Ce n'est toutefois que le 5 avril 2019 que la maîtrise d'œuvre a eu accès au rapport de sondages géotechniques, lui permettant de remettre, le 19 juillet 2019, les documents relatifs à l'élément de mission diagnostic complétés au maître de l'ouvrage. Il résulte par ailleurs des écritures en défense que le ministre de la justice a accepté d'interrompre le délai d'exécution de cet élément de mission le 31 juillet 2018 et fait repartir ce délai le 5 avril 2019.

18. Il résulte de ce qui précède qu'en imputant au groupement de maîtrise d'œuvre 63 jours de retard et en lui infligeant des pénalités pour un montant de 21 536 euros, prenant en compte l'imputabilité partielle des retards aux autres intervenants, le ministre de la justice ne lui a pas imputé un nombre de jours supérieur à celui qui était imputable. Dans ces conditions, les conclusions des sociétés requérantes aux fins de contestation des pénalités figurant au décompte de résiliation doivent être rejetées.

Sur les intérêts moratoires :

19. Aux termes de l'article 5.4 du CCAP applicable au marché : " Les délais dont dispose le maître d'ouvrage pour procéder au paiement des acomptes et du solde sont de 30 jours : / () - pour le solde, à compter de la date de réception du décompte général par le maître d'ouvrage. / En cas de dépassement de ce délai, les sommes non-payées produisent intérêts au taux d'intérêt de la Banque Central Européenne, augmenté de 8 points de pourcentage. () "

20. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

21. En l'absence d'accusé de réception du mémoire en réclamation adressé le 12 octobre 2020 au ministre de la justice par le groupement de maîtrise d'œuvre, il y a lieu de fixer le point de départ de ces intérêts à la date du 14 juin 2021, date à laquelle la requête a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris. Il s'ensuit que les sociétés requérantes ont droit aux intérêts à taux légal sur la somme de 2 460 euros à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante, une somme de 1 000 euros à verser à chacune des sociétés requérantes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser aux sociétés Thierry Van de Wingaert Architectes Associés et Otéis la somme de 2 460 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 14 juin 2021.

Article 2 : L'Etat versera aux sociétés Thierry Van de Wingaert Architectes Associés et Otéis la somme de 1 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié aux sociétés Thierry Van de Wingaert Architectes Associés et Otéis et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Defranc-Dousset, premier conseiller,

M. Joos, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La présidente-rapporteure,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

L'assesseur le plus ancien,

Hélène DEFRANC-DOUSSETLa greffière,

Nadine PENNETIER-MOINET

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2103081