TA Orléans, 23/04/2024, n°2104114


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 novembre 2021 et le 27 septembre 2022, la SCP Olivier Zanni, mandataire judiciaire à la liquidation de la société Rochette, représentée par Me Laloum, demande au tribunal :

1°) de condamner la communauté de communes Terres du Haut Berry à lui verser les sommes de 95 338,80 euros au titre du paiement de la situation n° 12 et de 10 239,13 euros, somme arrêtée au 1er octobre 2021, au titre des intérêts moratoires ;

2°) de condamner la communauté de communes Terres du Haut Berry au paiement des intérêts à valoir sur la somme de 95 338,80 euros au taux de 7 % à compter du 2 octobre 2021 jusqu'au complet paiement ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Terres du Haut Berry la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a le droit au paiement de la situation n° 12 qui a été validée par le maître d'œuvre, seul compétent pour ce faire, et correspond à des prestations effectivement réalisées par la société Rochette ;

- l'existence de prétendus désordres est sans incidence sur l'exigibilité de la situation ; l'expertise établie en juillet 2020 n'était pas contradictoire et, le cas échéant, il revenait à la communauté de communes de déclarer sa créance et de faire jouer une éventuelle compensation ; l'entreprise Rochette n'a pas terminé ses travaux puisqu'elle a été liquidée ;

- la procédure prévue par le CCAG travaux, à laquelle fait référence le CCAP, dans le cas d'une liquidation judiciaire du titulaire n'a pas été respectée ; les opérations de reddition des comptes n'ont pas été effectuées ;

- elle a le droit au paiement des intérêts moratoires en application de l'article 5.1 du CCAP car la situation datée du 21 février 2020 aurait dû être payée le 21 mars 2020.

Par un mémoire enregistré le 29 juin 2022, la communauté de communes Terres de Haut Berry représentée par Me Bouillaguet conclut à titre principal au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SCP Zanni une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire à ce que la société Neuilly la garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Neuilly une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux n'ont pas été achevés et des malfaçons ont été constatées ;

- la situation n'était pas validée : la première validation a été reprise par un courrier du 16 mars 2020 ;

- le cas échéant, elle est fondée à appeler en garantie la société Neuilly ;

Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2022, la société Neuilly, représentée par Me Comolet, conclut au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre par la communauté de communes Terres de Haut Berry et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas validé la situation n° 12 ;

- elle n'a commis aucune faute contractuelle et n'a pas manqué à son devoir de conseil ;

- à la suite de la défaillance de la société Rochette, elle a permis une bonne reprise des travaux.

Par ordonnance du 19 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Best-De Gand,

- et les conclusions de M. Joos, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes Terres du Haut Berry, alors dénommée communauté de communes en Terres vives, a souhaité aménager la ZAC de Bois Blanc sur la commune de Quantilly. La maîtrise d'œuvre de ces travaux a été confiée à la société Neuilly par un contrat du 21 juillet 2016 et le lot n° 1 VRD a été attribué par un acte d'engagement du 3 septembre 2018 à un groupement de sociétés dont la société Rochette était la représentante, pour un montant de 1 357 202,20 euros TTC. La situation n° 12 du 21 février 2020 d'un montant de 95 338,80 euros TTC a été adressée au maître d'œuvre qui a validé le paiement le 6 mars 2020. Toutefois, la situation n'a jamais été réglée. Par une décision du 17 mars 2020 du tribunal de commerce de Bourges, la liquidation judiciaire de la société Rochette a été prononcée et la SCP Olivier Zanni a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire. Par lettre du 8 avril 2020, la SCP Zanni a sollicité de la collectivité le règlement de la situation n° 12. Le contrat liant la communauté de communes à la société Rochette a été résilié par la collectivité à compter du 8 mai 2020. La société Rochette a établi, en application de l'article 50 du CCAG de travaux de 2009, un mémoire en réclamation notifié à la communauté de communes le 22 juillet 2021. Par sa requête, la SCP Zanni mandataire judiciaire à la liquidation de la société Rochette demande la condamnation de la communauté de communes Terres de Haut Berry à lui verser les sommes de 95 338,80 euros au titre du paiement de la situation n° 12 et de 10 239,13 euros, somme arrêtée au 1er octobre 2021, au titre des intérêts moratoires et de condamner la communauté de communes Terres du Haut Berry au paiement des intérêts à valoir sur la somme de 95 338,80 euros au taux de 7 % à compter du 2 octobre 2021 jusqu'au complet paiement.

Sur les conclusions aux fins de règlement de la situation n° 12 :

2. Aux termes de l'article 5.1 du CCAP applicable au marché conclu entre la communauté de communes Terres du Haut Berry et la société Rochette : " Modalités de règlement des comptes et présentation des demandes de paiement/ Les modalités de règlement des comptes du marché seront les suivantes : A/ Acomptes mensuels/ a) Les situations de travaux seront établies mensuellement par l'entrepreneur, en 4 exemplaires et adressées à la maîtrise d'œuvre en recommandé avec accusé de réception ou par tout moyen permettant de déterminer de façon certaine la date de réception. Cet état comprend les travaux exécutés depuis le début du marché jusqu'à la date de situation , évalués en prix initiaux ainsi que le calcul, avec justification à l'appui, des coefficients d'actualisation dès le premier acompte./ b) Après vérification et, éventuellement, rectification de l'état de situation, la maître d'œuvre établir le décompte provisoire mensuel et en calcule le montant de la façon suivante : - en retranchant du montant de l'état de situation celui du mois précédent, on obtient le montant des prestations

accomplies dans le mois considéré ; / - le montant des prestations accomplies sera diminué de la retenue de garantie de 5 % comme stipulé à l'article 4.1 ci-dessus ;/ - en ajoutant au montant des prestations accomplies dans le mois, les montants des mois précédents, on obtient les montants de l'ensemble des prestations accomplies depuis le début du marché () ". Aux termes du CCAG travaux applicable : " () 13. 1. 8. Le projet de décompte mensuel établi par le titulaire constitue la demande de paiement ; cette demande est datée et mentionne les références du marché. /Le titulaire envoie cette demande de paiement mensuelle au maître d'œuvre par tout moyen permettant de donner une date certaine. /13. 1. 9. Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte mensuel établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte mensuel. ()13. 2. 2. Le maître d'œuvre notifie par ordre de service au titulaire l'état d'acompte mensuel et propose au représentant du pouvoir adjudicateur de régler les sommes qu'il admet. Cette notification intervient dans les sept jours à compter de la date de réception de la demande de paiement mensuelle du titulaire. Si cette notification n'intervient pas dans un délai de sept jours à compter de la réception de la demande du titulaire, celui-ci en informe le représentant du pouvoir adjudicateur qui procède au paiement sur la base des sommes qu'il admet. En cas de contestation sur le montant de l'acompte, le représentant du pouvoir adjudicateur règle les sommes admises par le maître d'œuvre. Après résolution du désaccord, il procède, le cas échéant, au paiement d'un complément, majoré, s'il y a lieu, des intérêts moratoires, courant à compter de la date de la demande présentée par le titulaire. () ".

3. Il résulte de l'instruction que la société Rochette a adressé au maître d'œuvre, la société Neuilly, la situation n° 12 du marché en cours d'exécution datée du 21 février 2020. Il est constant que le 6 mars 2020, le directeur technique de la société Neuilly a apposé sur ce document la mention " bon pour paiement " avec la somme de 95 338,80 euros écrite en lettres, accompagnée de sa signature et du tampon de la société. Cette mention ainsi apposée, quand bien même elle l'a été par le directeur technique en l'absence du chargé d'affaires, doit être regardée comme validant l'acompte mensuel présenté, dès lors qu'en application de l'article 5.1 du CCAP applicable, l'accomplissement de cette formalité incombait au seul maître d'œuvre, la circonstance que le chargé d'affaires ait ensuite précisé par écrit à la société Rochette à plusieurs reprises sa non acceptation en l'état de la situation n° 12 étant sans incidence sur cette validation, qui valait ordre de paiement et donc appelait règlement, de même que, à les supposer établies, les inexécutions contractuelles dont la communauté de communes fait état.

4. Si la communauté de communes soutient que les malfaçons constatées a posteriori sur les travaux réalisés par la société Rochette et les sommes engagées pour y pallier, appellent nécessairement compensation avec le montant de la situation n° 12, il est constant que la créance globale de la société Rochette, reprenant le décompte final du lot n° 1 n'était pas établie au 21 février 2020, et que dès lors aucune compensation n'était possible à cette date.

5. Il résulte de ce qui précède que la SCP Zanni, mandataire judiciaire à la liquidation de la société Rochette, est fondée à soutenir qu'elle a droit au règlement de la somme de 95 338,80 euros correspondant au paiement de la situation n° 12.

Sur les intérêts moratoires :

6. Aux termes de l'article 5.1 du CCAP : " () les sommes dues au(x) titulaire(s) et au (x) sous-traitant(s) de premier rang éventuel (s) du marché, seront payées dans un délai global de 30 jours à compter de la date de réception des factures ou des demandes de paiement équivalentes. / En cas de retard de paiement, le titulaire a droit au versement d'intérêts moratoires, ainsi qu'à une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 €. Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt applique par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points de pourcentage ".

7. La SCP Zanni a droit au paiement des intérêts moratoires en application des dispositions précitées, 30 jours après la réception de la demande de paiement de la situation n° 12, c'est à dire, faute d'accusé réception permettant d'identifier la date précise de réception par le maître d'œuvre de la situation n° 12, à compter du 6 avril 2020, 30 jours après l'apposition de la mention " bon pour paiement " sur ladite situation. Par ailleurs, il y a lieu, conformément aux dispositions précitées, de faire application du taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente, effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points. Ainsi, la SCP Zanni a droit aux intérêts de la somme de 90 338,80 euros, selon les modalités fixées au point précédent, au taux de 8 %.

Sur l'appel en garantie présenté par la communauté de communes :

8. L'entrepreneur a le droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art. La charge définitive de l'indemnisation incombe, en principe, au maître de l'ouvrage. Toutefois, le maître d'ouvrage est fondé, en cas de faute du maître d'œuvre, à l'appeler en garantie. Il en va ainsi lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par le maître d'œuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps utile. Il en va de même lorsque, en raison d'une faute du maître d'œuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'œuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux montants.

9. La garantie du maître d'œuvre suppose d'une part la démonstration que celui-ci a commis une faute et d'autre part que cette faute a rendu nécessaires des travaux supplémentaires.

10. La communauté de communes soutient que la société Neuilly a commis une pluralité de fautes tant au cours d'exécution du chantier et notamment à la suite de l'émission de la situation n° 12 qui n'aurait jamais dû être validée en considération des malfaçons affectant les

travaux entrepris, qu'à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire du titulaire du lot, qui ne l'a pas davantage convaincu de procéder aux opérations de reddition des comptes, ni à l'informer de la nécessité de déclarer sa créance à la procédure collective.

11. Toutefois, si elle fait état de surcoûts associés aux errements de la maîtrise d'œuvre tenant en la validation de la situation n° 12 qu'elle doit être regardée comme évaluant à 90 056,21 euros TTC au vu de l'estimatif de l'impact financier des travaux du lot n° 1 établi au 31 août 2020, elle n'établit pas ainsi le montant du préjudice lié à la faute du maître d'œuvre c'est-à-dire le montant des seuls travaux complémentaires qui ont du être financés pour une réalisation dudit lot dans les règles de l'art postérieurement à la validation de la situation n° 12 alors qu'il résulte d'un examen comparé des quantités de la situation n° 12 et des quantités non conformes, que seuls les travaux de purges sous voirie, décalage de l'entrée du lot n° 1 de 4 ml, de tranchée drainante, de réalisation d'une purge de diamètre 40 avec remontée sous bouche à clé, ainsi que de terrassement en déblai pour mise en place de la réserve incendie, intéressent la situation n° 12 et que tous les autres postes identifiés sont étrangers à la situation considérée et donc dépourvus de lien avec la première faute invoquée. S'il résulte par ailleurs de l'instruction que la société Neuilly a manqué à son devoir de conseil envers le maître d'ouvrage lors de la résiliation du marché liant la communauté de communes à la société Rochette, qui n'a respecté ni les dispositions de l'article 46.1.2 du CCAG applicable au marché de travaux, ni celles de l'article 47.1.1 de ce même CCAG, et que notamment la communauté de communes n'a pas en conséquence inscrit la créance qu'elle aurait pu détenir contre la société Rochette au cours des opérations de liquidation judiciaire de cette société, la communauté de communes Terres de Haut Berry n'établit cependant pas le montant de son préjudice lié à ces fautes. Par suite, en l'état de l'instruction, les conclusions reconventionnelles présentées par la communauté de communes Terres de Haut Berry doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes Terres de Haut Berry la somme de 1 500 euros à verser à la SCP Zanni en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la SCP Zanni qui n'est pas la partie perdante la somme demandée par la communauté de communes Terres de Haut Berry sur le fondement de ces mêmes dispositions. Il n'y a pas plus lieu de mettre à la charge de la communauté de communes Terres de Haut Berry la somme demandée par la société Neuilly sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La communauté de communes des Terres de Haut Berry est condamnée à verser à la SCP Zanni la somme de 90 338, 80 euros au titre de la situation n° 12 due à la société Rochette. Cette somme portera intérêts au taux de 8 % à compter du 6 avril 2020.

Article 2 : La communauté de communes Terres de Haut Berry versera la somme de 1 500 euros à la SCP Zanni en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SCP Zanni en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Rochette, à la communauté de communes Terres de Haut Berry et à la société Neuilly.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Best-De Gand, première conseillère,

Mme Keiflin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

La rapporteure,

Armelle BEST-DE GAND

La présidente,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

La greffière,

Nadine PENNETIER-MOINET

La République mande et ordonne au préfet du Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.