TA Paris, 04/04/2023, n°2017329
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2020, la société anonyme (SA) Aquitaine Rail, représentée par Me Heymans, demande au tribunal :
1°) à titre principal, de condamner la société anonyme (SA) SNCF Réseau à lui payer la somme de 440 920,07 euros hors taxes (HT), soit 529 104,08 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre du solde du décompte du marché, assortie des intérêts à compter du 22 septembre 2019 et de leur capitalisation ;
2°) à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'apprécier les manquements commis par la SA SNCF Réseau et déterminer les préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de la SA SNCF Réseau la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, le cas échéant, l'intégralité des dépens.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de Paris est territorialement et matériellement compétent ;
- sa requête est recevable ;
- elle peut prétendre à l'indemnisation du transfert des joints isolants collés lié au transfert tardif du matériel nécessaire à leur confection et à leur installation par le maître de l'ouvrage, qui ne conteste pas sa responsabilité et chiffre ce poste à hauteur de 1 300 euros dans le décompte général ; cependant, il s'élève en réalité à 2 999,54 euros HT, si bien que la SA SNCF réseau reste redevable de la somme de 1 699,54 euros HT, soit 2 039,45 euros TTC ;
- le maître d'œuvre, qui a annulé des travaux programmés dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018, ne l'a prévenue que tardivement, si bien qu'elle n'a pas été en mesure de réaffecter ses moyens de production ; la SA SNCF réseau ne conteste pas le principe de cette réclamation, qu'elle a chiffré à 12 245,51 euros dans le décompte général ; cependant, ce poste s'élève en réalité à 26 235,92 euros HT, si bien que la SA SNCF réseau reste redevable de la somme de 13 990,41 euros HT ;
- le groupement a dû mobiliser des moyens supplémentaires, non prévus au contrat, pour effectuer des tractions en base arrière, à hauteur de 144 142,60 euros HT, soit 172 971,12 euros TTC ; la société requérante estime que cette dépense non prévue au contrat doit être prise en charge par la SA SNCF Réseau en raison : + de la faute commise, liée à l'évolution de la version des documents qui lui ont été remis entre l'appel d'offre et l'attribution du marché ; + de la faute commise, liée à la mise à disposition d'un linéaire de voie en base arrière inférieur à celui qui était contractuellement prévu ; + des prestations supplémentaires qu'elle lui a demandé ; + de la faute commise, liée à l'acceptation de son offre qui n'était pourtant pas conforme au marché ;
- il a également dû mobiliser des moyens supplémentaires en raison de la modification des conditions d'acheminement des trains travaux, passant de 30 km/h à 80 km/h, ce qui n'était pas initialement prévu par le contrat et a engendré un coût supplémentaire à hauteur de 142 937,41 euros HT, soit 171 524,89 euros TTC ;
- il a aussi dû mobiliser des moyens supplémentaires en raison de l'augmentation de la plage horaire journalière de mobilisation des trains, générant des coûts non prévus au contrat pour un montant de 91 561,39 euros HT, soit 109 873,67 euros TTC ;
- elle peut également prétendre au règlement d'autres sujétions imprévues qui ont occasionnés des coûts supplémentaires liées au retard de fermeture d'une voie dans la nuit du 23 au 24 juillet 2018, à un mouvement social le 9 octobre 2018 et au ramassage de coupons de rail de 12 ml, respectivement à hauteur de 11 064,39 euros HT, 8 243,50 euros HT et 280,83 euros HT ;
- elle conteste le montant des pénalités de retard qui lui ont été infligées, en particulier pour le non-respect des plages de travaux les 2 juillet, 10 septembre et 1er octobre ; elle estime à cet égard que ces pénalités s'élèvent à 56 250 euros, et non à 83 250 euros, si bien que la SA SNCF Réseau est redevable de 27 000 euros HT à son égard.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2021, la SA SNCF Réseau, représentée par Me Memlouk, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de la SA Aquitaine Rail en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SA SNCF Réseau soutient que :
- la requête de la SA Aquitaine Rail est irrecevable, compte tenu du caractère définitif du décompte général qui n'a pas été retourné signé au maître d'œuvre, en méconnaissance de l'article 13.35 du cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de travaux (CCCG Travaux) ;
- aucune des prétentions de la SA Aquitaine Rail n'est fondée.
Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2021, la SA Aquitaine Rail, représentée par Me Heymans, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que la fin de non-recevoir opposée en défense par la SA SNCF Réseau doit être écartée dès lors que, d'une part, en application de l'article 13.35 du CCCG Travaux, seule l'absence de communication par l'entrepreneur du décompte général dans le délai de quarante-cinq jours vaut décompte général et définitif du marché et que, d'autre part, elle a signé le décompte général avec réserves et l'a retourné le 22 janvier 2020 ; elle ajoute que la SA SNCF Réseau ne démonte pas avoir accompli des diligences pour s'assurer du caractère recevable ou non du mémoire en réclamation, alors qu'il lui appartenait de prouver qu'elle n'avait pas reçu le décompte général signé.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 2022, la SA SNCF Réseau, représentée par Me Memlouk, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.
Par un mémoire enregistré le 21 février 2022, la SA Aquitaine Rail, représentée par Me Heymans, conclut aux mêmes fins que dans sa requête, par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de travaux de la SNCF ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Grandillon, premier conseiller,
- les conclusions de Mme de Schotten, rapporteure publique,
- les observations de Me Quevarec, avocat de la société Aquitaine Rail,
- et les observations de Me juquin, avocat de la société SNCF Réseau.
Une note en délibéré, enregistrée le 22 mars 2023, a été produite pour la SA Aquitaine Rail.
Considérant ce qui suit :
1. L'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Réseau a, par un acte d'engagement signé le 10 janvier 2018 avec la SA Aquitaine Rail, mandataire du groupement conjoint Aquitaine Rail / Sferis, conclu un accord cadre à bon de commandes concernant plusieurs lots relatifs à des chantiers, dont le n° 23 intitulé " Chantier PL 02-01 " pour un montant de 840 864,01 euros HT. SNCF Réseau a, par un bon de commande n° 35780-0000046836 du 13 avril 2018, procédé à la commande de ce lot n° 23, laquelle a été acceptée par la société requérante le 28 avril suivant. A l'issue de la réalisation des travaux, SNCF Réseau a, par un ordre de service n° 2 daté du 18 juin 2019, procédé à la réception avec réserves des travaux effectués. Le 24 juin 2019, la SA Aquitaine Rail a transmis à SNCF Réseau un projet de décompte final du marché à hauteur de 1 285 632,41 euros HT. Ce dernier a arrêté le décompte général à 884 002,85 euros HT hors indemnisation et, après déduction des acomptes versés à l'entreprise, à hauteur de 120 904,36 euros TTC et l'a notifié à la société requérante le 9 décembre 2019. La SA Aquitaine Rail demande au tribunal de condamner la société anonyme (SA) SNCF Réseau, qui s'est substituée à l'EPIC du même nom en application de l'article 18 de l'ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019, à lui verser la somme de 440 920,07 euros HT, soit 529 104,08 euros TTC au titre du décompte général du marché.
Sur la fin de non-recevoir :
2. Aux termes de l'article 13.35 du cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de travaux (CCCG) : " l'entrepreneur dispose d'un délai de quarante-cinq jours pour signer et renvoyer au maître d'œuvre ce décompte général, sans ou avec réserves. () / Si la signature est donnée avec réserves, l'entrepreneur doit motiver ces réserves dans un mémoire en réclamation joint au renvoi du décompte qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires, en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et n'ayant pas fait l'objet de paiement définitif. () ". Selon l'article 13.36 du même cahier : " Si le décompte général n'est pas retourné dans le délai fixé au paragraphe 35 du présent article, il est censé être accepté par l'entrepreneur. Ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché ".
3. SNCF Réseau soutient que la SA Aquitaine Rail ne lui a pas renvoyé le décompte général reçu le 9 décembre 2019 signé, si bien que celui-ci est devenu définitif. Cependant, il résulte de l'instruction que la SA Aquitaine Rail a, le 22 janvier 2020 et par courrier recommandé avec accusé réception, adressé à SNCF réseau une lettre ayant pour objet " Réserves sur le décompte général " dans laquelle elle précise notamment accuser réception du décompte général reçu le 9 décembre dernier et le retourner signé avec réserves, ainsi qu'un mémoire en réclamation détaillant le montant des sommes dont le paiement est demandé accompagné d'une liste d'annexes, dont la pièce n° 4 correspond au décompte de liquidation, contrairement à ce que soutient SNCF Réseau qui indique que ce décompte ne figurait pas dans la liste des pièces annexées à la réclamation préalable. SNCF Réseau, qui se borne à soutenir qu'elle n'a pas reçu le décompte général signé, ne conteste toutefois pas avoir reçu l'ensemble des éléments qui lui ont été adressés et déposés au service postal le 22 janvier 2020 par la société requérante. En outre, à la suite de cette réception, elle n'a pas indiqué au titulaire que le décompte général signé annoncé dans son courrier manquait, et ne lui avait donc pas été transmis. Dans ces conditions, la société requérante doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant respecté la procédure de contestation du décompte général définie à l'article 13.35 du CCCG. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société SNCF Réseau doit être écartée.
Sur le décompte général :
En ce qui concerne les fautes contractuelles du maître de l'ouvrage :
4. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché dans la mesure où celle-ci justifie qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre.
S'agissant des manœuvres de traction en base arrière :
5. La SA Aquitaine Rail soutient que son mémoire technique de travaux ne prévoyait aucune manœuvre de traction en base arrière s'agissant des travaux de renouvellement de voie et de ballast et de renouvellement des appareils de voie. Elle explique que ce type de manœuvres n'était d'ailleurs pas requis, compte tenu de la configuration de ses trains de travaux, qui devaient pouvoir stationner en journée sur toute la longueur des quais mis à sa disposition à cet effet, et donc être chargés et déchargés sans moyen de traction, c'est-à-dire sans qu'une locomotive soit consacrée à leur déplacement en base arrière. Sur ce point, elle précise d'ailleurs que la longueur de ses trains a été défini en fonction du document intitulé " réservation des VS ", daté du 13 mars 2017, indiquant qu'elle disposerait notamment de deux voies H et I au poste B de la gare du Mans d'une longueur respective de 390 mètres et 550 mètres. Elle indique toutefois que le maître d'ouvrage a modifié les conditions d'exécution du marché au cours de son exécution, dès lors que le linéaire de voie prévu n'a finalement pas été mis à sa disposition, et qu'elle a donc été contrainte de recourir à des manœuvres de traction en base arrière pour l'organisation de ses trains à la demande de la société SNCF Réseau, ce qui l'a obligé à mobiliser des moyens matériels et humains non prévus, à l'origine de coût supplémentaires, qu'elle chiffre à 144 142,60 euros.
6. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la SA Aquitaine Rail, qui n'apporte pas d'éléments de nature à établir ses allégations tel, par exemple, qu'un attachement ou un constat contradictoire, n'aurait pas disposé de l'intégralité de la longueur des voies H et I pour y laisser ses trains dans la journée. Par ailleurs, si elle indique que le document " réservation des VS " qui lui a été remis avec la notice descriptive jointe au bon de commande en 2018 différait de la version remise en 2017, il ne résulte pas de l'instruction que la version rédigée en 2018 de ce document prévoyait, contrairement à celle de 2017, des prestations de traction en base arrière. Enfin, s'il ressort effectivement du RP 3 Travaux établi le 10 avril 2018 qu'un engin moteur a dû être utilisé pour la formation et la manœuvre des trains travaux en journée sur base arrière avec conduite autonome, cette seule indication, peu circonstanciée, est insuffisante pour conclure que le maître de l'ouvrage aurait demandé à la société requérante la mise en œuvre d'un dispositif de traction en base arrière. Dans ces conditions, la SA Aquitaine Rail ne démontre pas que les manœuvres de traction en base arrière découle d'une nouvelle demande de la part du maître de l'ouvrage consécutive à une modification des conditions d'exécution du marché, ni d'une erreur dans la détermination de ses besoins. Par suite, la demande présentée par la société requérante sur ce poste doit être rejetée.
S'agissant des manœuvres de traction supplémentaires :
7. La SA Aquitaine Rail soutient que le point 5.1 du mémoire technique du groupement prévoyait expressément que l'acheminement de ses trains travaux s'effectuerait à une vitesse de 30 km/h, conformément à l'article 208 des règles d'exploitation particulière élaborées par Réseau Ferré de France concernant la composition, l'utilisation et l'acheminement des trains-travaux et des engins-chantiers applicable à partir du 27 septembre 2010 et qui dispose que : " Certains [trains travaux] peuvent être composés d'un ou deux engins moteurs encadrés par des véhicules de part et d'autre. Le train devra être guidé comme une manœuvre et sa vitesse sera donc limitée à 30 km/h ". Elle indique toutefois que SNCF Réseau a modifié les conditions d'exécution du marché lors des réunions de préparation des 28 mars et 10 avril 2018 pour porter les vitesses d'acheminement des trains de travaux vers les zones de travaux à 80 km/h. Elle estime que ces nouvelles conditions d'exécution du contrat ont générées des coûts supplémentaires, qu'elle chiffre à 142 937,41 euros.
8. Comme l'indique la société requérante, il ressort du point 5.1 du mémoire technique du groupement que " Les plannings tiennent compte des durées d'acheminement par rapport aux distances entre le Mans Poste B et les gare de Sillié le Guillaume et Conlie : / - Le Mans Poste B - Sillié le Guillaume : environ 40 km ce qui correspond à un acheminement d'1 h 20 à 30 km/h / - Le Mans Poste B - Conlie : environ 30 km, ce qui correspond à un acheminement d'1 h 00 à 30 km/h. Les plannings sont établis dans le cas le plus défavorable, à savoir : 1 h 20 d'acheminement ". Toutefois, ces seuls éléments, qui ne sont corroborés par aucune autre pièce, sont insuffisants pour considérer que les parties avaient convenu que l'acheminement des trains travaux des bases arrières vers les zones de travaux s'effectueraient nécessairement à 30 km/h. En outre, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de l'article 208 des règles d'exploitation particulière élaborées par Réseau Ferré de France qui, à considérer même qu'il soit applicable aux parties au marché en cause, ne peut utilement être invoqué ici dès lors qu'il limite à 30 km/h uniquement la circulation des trains travaux composés d'un locotracteur encadré par des véhicules de part et d'autre et non, comme c'est le cas en l'espèce, de trains travaux composées de deux locomotives en tête et en queue d'un convoi. Enfin, en se bornant à produire un message électronique interne à son entreprise et daté du 13 avril 2018 indiquant que " la SNCF va prévoir une marche à MA80 avant le début de chantier ", la société requérante, qui ne produit aucun attachement ni constat contradictoire, ne démontre pas que SNCF Réseau aurait modifié les conditions d'exécution du marché, ce qui ne ressort pas non plus du compte rendu de la réunion RP 3. Par suite, la demande présentée par la société requérante sur ce poste doit être rejetée.
S'agissant du double poste BR 214 :
9. La société requérante soutient qu'elle a été contrainte de mobiliser des trains de nuit avec deux heures d'avance par rapport à ce qui avait été convenu contractuellement, si bien qu'elle a dû faire appel à un deuxième équipage de conduite et utiliser un deuxième poste de travail pour les deux locotracteurs BR 214. Cependant, elle ne démontre pas en quoi la mobilisation avec deux heures d'avance de ses trains de nuit, à supposer même qu'elle soit établie, aurait, comme elle l'affirme, eu pour conséquence le surcoût dont elle demande le remboursement. Sa demande ne peut donc qu'être rejetée.
S'agissant d'une demande de fermeture de la voie tardive :
10. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement de l'attachement n° 8 que durant la nuit du 23 au 24 juillet 2018, la demande de fermeture de la voie a été accordée à 2h09 au lieu de 22h25, soit avec près de 4 heures de retard. Toutefois, si la société requérante indique qu'en raison de ce retard, elle a été contrainte de mobiliser plusieurs moyens humains et matériels comprenant une bourreuse avec équipage de fin de semaine, un conducteur travaux, 4 poseurs de fin de semaine, l'ensemble du petit matériel voie et deux véhicules, elle n'établit pas ses allégations. Sa demande d'indemnisation de moyens supplémentaires du fait du retard de fermeture de la voie la nuit du 23 au 24 juillet 2018 ne peut donc qu'être rejetée.
S'agissant du mouvement social du 9 octobre 2018 :
11. Si la SA Aquitaine Rail soutient que, le 9 octobre 2018, un train situé en base arrière n'a pas pu être manœuvré en raison d'un mouvement social parmi les agents de SNCF Réseau, elle n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ses allégations. Sa demande d'indemnisation de moyens supplémentaires du fait d'un mouvement social ne peut donc qu'être rejetée.
S'agissant du ramassage de coupons rail de 12 ml :
12. Si la SA Aquitaine Rail soutient qu'elle a été contrainte d'évacuer trois rails entreposés sur la piste à la suite d'un ancien remplacement de rail, elle n'apporte, ici encore, aucun élément de nature à établir la réalité de ses allégations. Sa demande d'indemnisation de moyens supplémentaires de l'évacuation de rails ne peut donc qu'être rejetée.
En ce qui concerne les travaux supplémentaires :
13. D'une part, aux termes de l'article 10 du cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de travaux de la SNCF : " Contenu et caractère des prix. () / 10.11. Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux () / 10.22. Dans le silence du marché, les prix sont considérés comme fermes. Selon les stipulations du marché, les prix sont : soit fermes et s'il y a lieu actualisables, soit révisables en raison des variations des conditions économiques () ". Aux termes de l'article 14 du même cahier : " Paiement du prix des travaux non prévus. / 14.1. Le présent article concerne les travaux dont la réalisation ou la modification est décidée par ordre de service et pour lesquels le marché ne prévoit pas de prix. () Le maitre d'œuvre notifie à l'entrepreneur par ordre de service des prix provisoires, arrêtés après consultation de l'entrepreneur, pour le paiement des travaux nouveaux ou modificatifs. Ils sont obligatoirement assortis d'un sous-détail ou d'une décomposition. Les prix provisoires sont appliqués pour l'établissement des décomptes jusqu'à fixation des prix définitifs. / 14.2. L'entrepreneur est réputé avoir accepté les prix provisoires si, dans le délai d'un mois suivant l'ordre de service par lequel ces prix lui ont été notifiés, il n'a pas présenté d'observation au maître d'œuvre en indiquant, avec les justifications utiles, les prix qu'il propose () ". Il résulte de ce qui précède que les prix nouveaux mentionnés par ces stipulations ne sont applicables que pour les travaux qui n'étaient pas prévus par le contrat et qui sont réalisés par l'entrepreneur en application d'un ordre de service.
14. D'autre part, l'entreprise n'est fondée à réclamer un supplément de prix au maître d'ouvrage que pour autant qu'elle justifie avoir effectué des travaux non prévus au marché, sur ordre de service, ou que ces travaux présentent un caractère indispensable à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art et ce quel qu'en soit le montant. Si les travaux ne sont pas indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché ou ont été nécessités par des manquements imputables au titulaire du marché, celui-ci n'a droit à aucune indemnité, alors même que les travaux auraient été utiles à l'administration.
S'agissant du transfert des joints isolants collés (DRC PN 4) :
15. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'attachement n° 1 pris à l'initiative du maître d'œuvre le 3 juillet 2018 et signé le 4 juillet suivant par le titulaire du marché que le maître de l'ouvrage a livré tardivement, le 19 juin 2018, quatre joints isolants collés nécessaires à la réalisation des travaux par la société requérante. Cette dernière a alors été obligée de transférer ces quatre joints isolants collés, ce qu'elle a fait spontanément. Il résulte également de l'instruction que si, dans son projet de décompte final, la société Aquitaine Rail a chiffré à 2 999,54 euros HT ce travail supplémentaire en se fondant sur un sous-détail de prix de bordereau établi le 26 novembre 2018, SNCF Réseau ne l'a payé qu'à hauteur de 1 300 euros HT, en se fondant sur des déclarations orales de la société requérante au cours du chantier.
16. Si la société requérante démontre que le prix des postes intitulés : " pelle rail route 22 t ", " conducteur d'engins nuit semaine " et " Fourgon de conducteur d'engins (Jumpy) dont la somme globale s'élève à 890,83 euros HT est conforme à un autre sous-détail de prix de bordereau, elle ne démontre pas que les sommes de 1 000 euros HT et 500 euros HT qu'elle réclame au titre des postes " transport de rail en plateau allongé " et " plus-value demande urgente transport " seraient conformes à des décompositions des prix forfaitaires ou des sous-détails de prix unitaires établies en application de l'article 10.41 du CCCG. Elle ne démontre pas davantage que ces deux sommes correspondent au prix de prestations ou de travaux les plus analogues. Enfin, la société Aquitaine Rail, qui ne conteste pas le fait que le maître de l'ouvrage s'est fondé sur ses déclarations orales tenues en cours de chantier pour fixer à 1 300 euros HT le montant des prestations en cause, n'établit ni même n'allègue avoir, avant l'établissement du projet de décompte général, informé SNCF Réseau qu'elle réclamait ces sommes en vue d'en arrêter le montant contradictoirement. Par suite, la demande de la société Aquitaine Rail concernant ce poste doit être rejetée.
S'agissant de l'immobilisation de matériel et de personnel (DRC PN 5) :
17. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement de l'attachement n° 5 pris sur demande de la société requérante que l'annulation de la nuit de travail du 5 au 6 juillet 2018 a entraîné l'immobilisation de moyens matériels, dont un dispositif de traction composé d'une G1206 avec PAM 1 poste, une BR214 avec conducteur et PAM 1 poste et vingt wagons de type R 9, une bourreuse avec équipage, trois pelles RR avec conducteur et une équipe, composée d'un conducteur de travaux, d'un chef de chantier, d'un chef d'équipe et de quatre poseurs. Il résulte également de l'instruction que si, dans son projet de décompte final, la société Aquitaine Rail a chiffré à 26 235,92 euros HT cette immobilisation en se fondant sur un sous-détail de prix de bordereau établi le 26 novembre 2018, SNCF Réseau ne l'a payé qu'à hauteur de 12 254,51 euros HT, après avoir appliqué un coefficient d'abattement pour le matériel immobilisé.
18. D'une part, il résulte de l'instruction que pour évaluer le coût de l'immobilisation des moyens matériels, SNCF Réseau a appliqué un coefficient d'immobilisation aux taux de marché J, en se fondant sur la méthode pour la détermination des charges d'emploi des principaux matériels du génie civil établie par la fédération nationale des travaux publics en 1986. Cette méthode, si elle ne s'impose pas au juge administratif, constitue toutefois un instrument susceptible d'être utilisé pour apprécier les conséquences de l'immobilisation de moyens matériels qui, du fait de leur nature, ne peuvent être indemnisés au taux plein du marché et auxquels doit être appliqué un coefficient réducteur. Ce coefficient vise à tenir uniquement compte des frais d'amortissement des engins inutilisés et non, contrairement à ce que soutient la société Aquitaine Rail, des frais généraux relatifs notamment à l'assurance et au coût de l'entretien périodique qui auraient, en tout état de cause, dû être exposés par elle. Si la société requérante indique par ailleurs que cette méthode est obsolète dans la mesure où elle a fait l'objet d'une actualisation en 2014, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que cette actualisation ait porté sur les données utiles au calcul du coefficient d'immobilisation des engins concernés, à savoir les charges d'immobilisation et les charges journalières courantes. La société Aquitaine Rail, qui ne démontre pas que le taux de marché J pris en compte par SNCF Réseau pour calculer le coût de l'immobilisation de son matériel ne serait pas conforme aux prix du marché et qui ne conteste pas les coefficients retenus pour chacun des engins immobilisés, n'est donc pas fondée à prétendre au paiement d'une somme supplémentaire à ce titre.
19. D'autre part, il ne résulte ni de l'attachement n° 5 cité au point 17, ni d'aucune autre pièce que l'annulation de la nuit de travail du 5 au 6 juillet 2018 a entraîné l'immobilisation d'engins utilitaires. Par suite, la société Aquitaine Rail n'est pas fondée à demander à SNCF Réseau une indemnisation à ce titre. Elle n'est pas non plus fondée à lui demander la prise en charge des frais généraux relatifs à ses bâtiments et à son personnel administratif dès lors qu'elle aurait, en tout état de cause, été contrainte d'exposer de tels frais et qu'elle n'établit ni même n'allègue en quoi l'annulation de la nuit de travail a eu des répercussions sur ses bâtiments et son personnel administratif.
20. Enfin, s'il résulte de l'attachement n° 5 qu'un conducteur de travaux a bien été immobilisé en raison de l'annulation de la nuit de travail du 5 au 6 juillet 2018, la société requérante, qui se borne à produire un sous-détail de prix de prix de bordereau, ne démontre pas que l'immobilisation de ce personnel justifie le paiement d'une somme de 519,94 euros. Par suite, la demande de la société Aquitaine Rail concernant ce poste doit être rejetée.
En ce qui concerne les pénalités :
21. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
22. Aux termes de l'article 11.3.1 du cahier des prescriptions spéciales concernant les travaux de voies ferrées Hors Suites rapides du 1er septembre 2018 dits A 2018-1 relatif au non-respect des plages travaux : " La régularité des circulations ferroviaires est une condition essentielle pour le maître de l'ouvrage qui est susceptible de subir un préjudice important du fait d'un retard dans la restitution de la voie, notamment au titre des perturbations du trafic et des conséquences de toutes natures qu'un tel retard peut engendrer. / () ". A la suite de ce paragraphe, sous cet article, figure un tableau dans lequel il est indiqué que pour " les chantiers à forte sensibilité pour la régularité des circulations ", les " minutes de retard en deçà d'un dépassement - d ( = 30 mn ", implique le versement d'une pénalité de 150 euros par minute tandis que les " minutes de retard au-delà d'un dépassement - d ) 30 mn " implique le versement d'une pénalité de 450 euros par minute.
23. Compte tenu de l'objectif visé par le système de pénalités prévu en l'espèce, qui cherche à inciter au respect rigoureux, par l'entrepreneur, des plages de travaux contractuellement prévues dans le but d'assurer la continuité du service ferroviaire et eu égard à la fonction dissuasive de ce système, la SA Aquitaine Rail n'est pas fondée à soutenir que le dépassement de plus de trente minutes de la durée contractuelle des plages travaux concernant les chantiers à forte sensibilité implique le versement d'une pénalité de 150 euros par minute pour les trente premières minutes, puis de 450 euros pour toutes les minutes de retard supplémentaires. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les modalités de calcul des pénalités de retard qui lui ont été infligées concernant les restitutions tardives des 2 juillet, 10 septembre et 1er octobre 2018 sont erronées. Ses demandes présentées à ce titre ne peuvent donc qu'être rejetées.
24. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la SA Aquitaine Rail doivent être rejetées dans leur ensemble.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacles à ce que soit mise à la charge de SNCF Réseau, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent la société Aquitaine Rail au titre des frais liés au litige. En outre, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Aquitaine Rail une somme de 1 500 euros à verser à SNCF Réseau en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SA Aquitaine rail est rejetée.
Article 2 : La SA Aquitaine Rail versera une somme de 1 500 euros à la SA SNCF Réseau en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société anonyme Aquitaine Rail, à la société par actions simplifiée Sféris et à la société anonyme SNCF Réseau.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Simonnot, président,
M. Grandillon, premier conseiller,
M. Perrot, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le rapporteur,
J. GRANDILLONLe président,
J-F. SIMONNOT
La greffière
S. RAHMOUNI
La République mande et ordonne au préfet ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.