TA Paris, 16/01/2023, n°2226252
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2022 et un mémoire du 6 janvier 2023, la société de Spectacles et d'Evènements, représentée par Me Bouhenic, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision du 8 décembre 2022 par laquelle l'Association pour la gestion des œuvres sociales des personnes des administrations parisiennes (AGOSPAP) a rejeté son offre ;
2°) d'enjoindre à l'AGOSPAP de respecter ses obligations de publicité et de mise en concurrence et de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure ; d'ordonner la suspension de la passation du contrat et toutes décisions y afférant ;
3°) d'enjoindre à l'AGOSPAP de réévaluer sa candidature ;
4°) d'enjoindre à l'AGOSPAP de produire à l'audience les éléments objectifs de ses critères notamment le nombre de " demandes de public individuel " par rapport aux 150 000 personnes éligibles aux billets subventionnés ;
5°) d'enjoindre à l'AGOSPAP de produire à l'audience la déclaration de sous-traitant (DC4) ;
6°) à défaut, écarter la candidature de la société l'Evènement spectacle de la procédure de passation ;
7°) de mettre à la charge de l'AGOSPAP une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la juridiction administrative est bien compétente pour connaître ce litige et qu'ensuite l'AGOSPAP a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que :
- concernant le critère relatif au prix, les notes attribuées tant à elle qu'à l'attributaire ne sont pas justifiées ; l'octroi d'une note maximale de 20/20 au prix le plus bas n'est pas prévu par les documents contractuels et le règlement de la consultation ; la note de 13,30 pour un prix de place à 8 euros n'est pas non plus justifiée ; il n'y a pas de logique entre les notes ; les notes doivent nécessairement se décliner en fonction de la différence proportionnelle entre les prix offerts ; si le prix de 6,50 euros mérite la note de 20/20, le prix de 8 euros mérite la note de 16,25/20 ;
- la formule figurant dans le courrier du 16 décembre 2022 ne figurait pas dans le règlement de la consultation ; le règlement de consultation n'indique pas les modalités de calcul du critère du prix ; l'AGOSPAP ne pouvait pas se dispenser de faire
apparaître la méthode de notation dans le règlement de consultation ;
- la formule est abscons car le signe " : " littéraire a été utilisé au lieu du signe de division ; cette formule permet en outre des écarts de notes abyssaux ; l'utilisation du 2 a pour conséquence que le critère prix représente bien de plus de 50% ;
- du fait du nombre de 35 000 places gratuites, le prix de la société attributaire doit être évalué à 5,86 euros par place ;
- concernant le critère de nouveauté, la même note ne peut être attribuée aux deux candidats, il y a erreur d'appréciation ; le spectacle du cirque Gruss a 3 ans d'ancienneté ; dans le catalogue des spectacles proposés par l'AGOSPAP à ses ouvrants droits pour la période du 01/10/2022 au 5/03/2023 figure déjà le spectacle LES FOLIES GRUSS ; cet écart d'un point, aura pour effet immédiat de la désigner comme attributaire ;
- concernant le critère d'attractivité, même si elle est mieux-disante, l'écart n'est pas justifié ; pour comprendre, il est nécessaire de communiquer les éléments objectifs de ses critères notamment le nombre de demandes de public individuel par rapport aux 150 000 personnes éligibles aux billets subventionnés ;
- la société ne justifie pas avoir déposé une déclaration de sous-traitant ; l'AGOSPAP a méconnu tant le principe d'égalité entre les candidats que le principe de transparence.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 janvier 2023 et un mémoire du 9 janvier 2023, l'AGOSPAP, représentée par la selarl Cabanes, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'ordre administratif n'est pas compétent et que les moyens invoqués par la société de spectacles et d'évènements ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2023, la société l'Evènement Spectacle, représentée par Me Mousaei, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par la société de Spectacles et d'Evènements ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme A, en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, Mme A, en présence de Mme Tardy-Panit, greffière, a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Bouhenic pour la société de Spectacles et d'Evènements, qui reprend les conclusions et moyens de ses écritures ;
- les observations de Me Dalil pour la société l'Evènement Spectacle qui conclut aux mêmes fins que son mémoire par les mêmes moyens ;
- les observations de Me Pezin pour l'AGOSPAP, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été différée au 11 janvier 2023 à 14 heures.
Par un mémoire enregistré le 9 janvier 2023, l'AGOSPAP maintient ses conclusions et moyens et produit de nouvelles pièces.
La société l'Evènement Spectacle a produit des pièces complémentaires le 11 janvier 2023.
Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2023 à 15 heures 20, la société de Spectacles et d'Evènements maintient ses conclusions et moyens. Ce mémoire n'a pas été communiqué.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 4 octobre 2022 au JOUE, l'AGOSPAP a lancé une consultation pour la passation d'un marché ayant pour objet l'acquisition de place de spectacles à destination des enfants de 3 à 12 ans de ses ouvrants droits. Par un courrier reçu le 8 décembre 2022, la société de Spectacles et d'Evènements a été informée du rejet de son offre aux motifs que celle-ci était classée en deuxième position. Par la présente requête, la société de Spectacles et d'Evènements conteste la procédure d'attribution de ce marché.
Sur la compétence de l'ordre administratif :
2. D'une part, une personne privée créée à l'initiative de plusieurs personnes publiques dont l'une contrôle, seule ou conjointement avec l'autre, l'organisation et le fonctionnement et lui procure l'essentiel de ses ressources doit être regardée comme "transparente".
3. D'autre part, sauf si la loi en dispose autrement, les contrats conclus entre personnes privées sont des contrats de droit privé, hormis le cas où l'une des parties agit pour le compte d'une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l'accessoire d'un contrat de droit public.
4. En réponse à l'exception d'incompétence soulevée par l'AGOSPAP, la société requérante fait valoir que le juge administratif est compétent pour connaître du présent litige, dès lors que l'AGOSPAP est contrôlée par des personnes publiques et agit pour leur compte. Il résulte de l'instruction que l'AGOSPAP a pour objet de mettre en œuvre et de gérer la politique sociale en faveur des personnels relevant des établissements adhérents, qui comprennent d'une part les administrations fondatrices, à savoir la ville de Paris et l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et d'autre part, des établissements conventionnés, qui sont au nombre de 11 au 1er janvier 2023. Il résulte du rapport d'activité et de gestion de l'année 2021 que l'essentiel de ses ressources provient des subventions d'exploitations des administrations fondatrices. Toutefois, il résulte des statuts de l'AGOSPAP, notamment des articles 8 et 11 relatifs à la composition de ses instances de décision, que son organisation est paritaire, puisque tant l'assemblé générale que le conseil d'administration comprennent un nombre égal de représentants du personnel et de représentants des administrations fondatrices. En outre, il résulte des articles 16 et 17 des statuts que malgré l'existence d'une présélection par la ville de Paris et l'AP-HP, le choix du président relève d'une décision autonome du conseil d'administration et une fois nommé, il dispose de larges pouvoirs en matière de recrutement et met en œuvre la politique générale de l'association et les orientations définies par le conseil d'administration, lequel, selon l'article 12 des statuts, arrête notamment la création ou la suppression de prestations, la définition des bénéficiaires, et les conditions auxquelles sont versées ces prestations. Il ne ressort pas non plus des conventions passées avec l'AP-HP ou la ville de Paris que l'une de ces deux personnes publiques exercerait sur l'AGOSPAP un contrôle dans des conditions telles que l'AGOSPAP devrait être regardée comme "transparente". Dès lors qu'aucune des personnes publiques ne contrôle, seule ou conjointement avec une autre, l'organisation et le fonctionnement de cette association, l'AGOSPAP ne peut être regardée comme "transparente". Par ailleurs, elle n'a pas agi au nom et pour le compte des administrations fondatrices ou des établissements conventionnés mais en son nom et pour son propre compte.
5. Par conséquent, en l'état de l'instruction, le contrat en litige que l'AGOSPAP entend conclure, en tant que personne morale de droit privé agissant pour son compte avec un opérateur de droit privé, est un contrat de droit privé. Dès lors, le présent litige relève de la compétence exclusive des tribunaux de l'ordre judiciaire. Par suite, la requête de la société de Spectacles et d'Evènements doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société de Spectacles et d'Evènements les sommes de 750 euros à verser respectivement à l'AGOSPAP et à la société l'Evènement Spectacle au titre des frais exposés par elles.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société de Spectacles et d'Evènements est rejetée.
Article 2 : La société de Spectacles et d'Evènements versera respectivement à l'AGOSPAP et à la société l'Evènement Spectacle les sommes de 750 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société de Spectacles et d'Evènements, à la société l'Evènement Spectacle et à l'Association pour la gestion des œuvres sociales des personnes des administrations parisiennes.
Fait à Paris, le 16 janvier 2023.
La juge des référés,
T. A
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N°2226252