TA Paris, 19/04/2024, n°2403817


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2024, la société anonyme CSL Behring, représentée par Me Moiroux et Me Pacton, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la notification de la présente ordonnance, à lui verser la provision de 274 899,75 euros correspondant aux sommes qu'il lui doit dans le cadre du lot n° 46 du marché n°2021019 relatif à la fourniture de médicaments en monopole, augmentée de la somme de 16 845,95 euros au titre des intérêts moratoires et de 440 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Pointe-à-Pitre la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- malgré une mise en demeure et un mémoire en réclamation sollicitant le règlement de factures restées impayées, le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre n'y a pas procédé ; l'obligation est non sérieusement contestable ;

- elle a droit, en outre, aux intérêts moratoires et à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, représenté par Me Cariou, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de la société CSL Behring est irrecevable, dès lors que son courrier du 11 octobre 2023 ne saurait être regardé comme un mémoire de réclamation au sens du cahier des clauses administratives générales ;

- l'obligation dont se prévaut la société CSL Behring est sérieusement contestable ; la société requérante ne produit aucun bon de livraison ; les factures dont elle se prévaut, qui ne mentionnent pas la date de livraison des prestations, ne permettent pas d'attester de la livraison effective des prestations commandées par le centre hospitalier ; les factures produites par la société CSL Behring ne peuvent être rattachées de manière certaine au marché litigieux, dès lors qu'elles ne comportent pas l'ensemble des mentions prévues à l'article 15.02 du cahier des clauses administratives particulières.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Le Roux, vice-présidente de section, pour statuer sur les demandes de référé.

Considérant ce qui suit :

1. Le GIP Réseau des acheteurs hospitaliers dont le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre est adhérent, a conclu 5 mai 2021 avec la SA SCL Behring un marché public n° 2021-019 relatif à la fourniture de spécialités pharmaceutiques. Par un courrier du 11 septembre 2023, notifié le 18 septembre suivant, la CSL Behring a adressé au centre hospitalier de Pointe-à-Pitre une mise en demeure de lui régler, dans un délai de quinze jours, la somme 973 878, 35 euros au titre de factures impayées. Par un courrier du 11 octobre 2023, notifié le 17 octobre suivant, la société requérante a sollicité du centre hospitalier le versement d'une somme de 995 305, 35 euros en principal, augmentée d'intérêts moratoires à hauteur de 157 545, 57 euros et de frais de recouvrement d'un montant de 1480 euros. L'établissement public de santé ne s'étant pas acquitté de la totalité des sommes réclamées, la SA SCL Behring demande au juge des référés du tribunal de condamner le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser, à titre de provision, la somme totale de 292 185,70 euros.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

3. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services, alors applicable : " Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation. "

4. Ces stipulations prévoyant la mise en œuvre d'une procédure de recours préalable avant la saisine du juge administratif, l'existence même de ce recours prévu au contrat ne permet pas à l'une des parties de saisir directement le juge administratif, y compris le juge statuant en référé.

5. En outre, l'apparition d'un différend, au sens des stipulations précitées, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. En revanche, en l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend au sens des stipulations précédemment citées.

6. Enfin, un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.

7. Il résulte de l'instruction que la société CSL Behring a adressé le 11 septembre 2023 au centre hospitalier de Pointe-à-Pitre un courrier, reçu le 17 septembre suivant, le mettant en demeure de régler dans un délai de quinze jours le solde de 973 878, 35 euros au titre de factures qui n'auraient pas fait l'objet de règlements dans le cadre de l'exécution de trois marchés publics, dont le marché public n° 2021-019 relatif à la fourniture de spécialités pharmaceutiques conclu avec le GIP réseau des acheteurs hospitaliers. Le différend doit, ainsi, être regardé comme né à la date du 2 octobre 2023, faute de paiement dans le délai imparti par la mise en demeure. La société requérante disposait, à compter de cette date, d'un délai de deux mois pour déposer un mémoire en réclamation conformément aux stipulations de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services. A cet égard, si la société requérante a adressé le 11 octobre 2023 un nouveau courrier, réceptionné le 17 octobre 2023, sollicitant cette fois au titre de l'exécution de ces mêmes marchés publics le règlement d'une somme de 995 305, 35 euros qui correspondrait à 37 factures ainsi que le versement d'intérêts moratoires à hauteur de 157 545, 57 euros et d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 1 480 euros, ce courrier se borne à réitérer la demande de paiement, sans comporter l'exposé détaillé et précis des chefs de contestations, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Ce courrier ne peut, dès lors, être regardé comme constituant un mémoire en réclamation au sens des stipulations de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services. Dans ces conditions, la société CSL Behring ne justifie nullement avoir adressé au centre hospitalier de Pointe-à-Pitre un mémoire en réclamation préalablement à la saisine du juge des référés. Par suite, les conclusions présentées directement par la société requérante aux fins d'octroi d'une provision sont irrecevables. La fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier en défense doit, dès lors, être accueillie.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'obtention d'une provision présentée par la société CSL Behring doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société CSL Behring demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société CSL Behring est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société anonyme CSL Behring et au centre hospitalier de Pointe-à-Pitre.

Fait à Paris, le 19 avril 2024.

Le juge des référés,

M.-O. Le Roux

La République mande et ordonne au ministre de la santé en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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