TA Paris, 24/08/2023, n°2318550
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 4 et 17 août 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Cube Solution, représentée par Me Vamour, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-5 du code de justice administrative :
1°) de suspendre la signature et la procédure de passation de l'accord-cadre n° 2023/S065-19014 portant sur la réalisation et le suivi opérationnel des prestations du " Guichet Emprunts et Traversées ", liées à la gestion de l'instruction des demandes d'autorisations temporaires du domaine public ferroviaire, lancée par SNCF Réseau, jusqu'à ce qu'elle se conforme à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
2°) d'enjoindre à SNCF Réseau de lui communiquer sans délai l'ensemble des informations devant être communiquées aux soumissionnaires évincés, notamment les caractéristiques de l'offre de l'attributaire, les méthodes d'évaluation, le rapport d'analyse des offres, les notes sur les critères prix et technique, ainsi que le détail des notes sur les sous-critères techniques obtenues par l'attributaire ;
3°) d'enjoindre à SNCF Réseau, à titre principal, de reprendre la procédure de passation au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société attributaire, ou, à titre subsidiaire, de la reprendre au stade de l'examen des candidatures, après avoir écarté celle de la société attributaire, enfin, à titre infiniment subsidiaire, de la reprendre dans son intégralité ;
4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- SNCF Réseau a méconnu son obligation d'information des candidats évincés, dans la mesure où elle ne leur a pas communiqué les motifs de rejet de leur offre, le rapport d'analyse des offres, le détail des notes obtenues par l'attributaire, ni les motifs justifiant cette notation ;
- l'offre de l'attributaire est irrégulière et inappropriée et devait être écartée en application des dispositions de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique ; la sous-traitance totale est interdite, alors que l'attributaire ne peut qu'être regardé comme y ayant exclusivement recours, n'ayant aucun salarié déclaré ; il n'a pas pu remplir la condition du chiffre d'affaires minimal exigée par les documents de la consultation ; il ne dispose manifestement pas des capacités techniques et professionnelles suffisantes pour assurer l'exécution du marché ; il ne présente pas de garanties financières suffisantes ;
- l'offre de l'attributaire constitue une offre anormalement basse ;
- l'entité adjudicatrice n'a pas clairement défini son besoin ;
- SNCF Réseau, qui n'a pas apporté de précisions suffisantes sur le contenu des sous-critères techniques " méthodologie d'intervention ", " moyens humains " et " moyens techniques et informatiques ", a méconnu les principes de transparence, de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats ;
- la méthode de notation est illégale dès lors qu'au titre des sous-critères " méthodologie d'intervention " et " moyens techniques et informatiques ", son offre a été évaluée par rapport aux prestations qu'elle fournit dans le marché dont elle est actuellement l'attributaire ; l'absence de clarté de la présentation du logiciel, ne pouvait être également sanctionnée au titre d'un autre sous-critère ;
- son offre a été dénaturée dès lors que, s'agissant du sous-critère relatif aux " moyens humains ", SNCF Réseau ne pouvait estimer que l'équipe proposée était mal calibrée ;
- la procédure de passation ne prévoit pas de montant maximum en quantité, en méconnaissance de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique ;
- SNCF Réseau a méconnu les dispositions de l'article L. 2113-11 du code de la commande publique en ne procédant pas à l'allotissement des prestations ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2023, SNCF Réseau, représentée par Me Letellier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Cube Solution une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les conclusions tendant à la communication d'informations sont irrecevables ;
- les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision d'éviction, de ce que certains sous-critères techniques ne seraient pas assortis de précisions suffisantes et de la dénaturation de l'offre de la requérante sont inopérants ;
- les autres moyens ne sont pas fondés.
SNCF Réseau a produit, le 14 août 2023, un mémoire en production de pièces relevant du secret des affaires en application de l'article R. 611-30 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 15 août 2023, la société Multani, représentée par Me Beauthier de Montalembert, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Cube Solution la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Cube Solution ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Degand pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degand, juge des référés ;
- les observations de Me Thoor, représentant la société Cube Solution, qui a développé les moyens soulevés dans la procédure écrite ;
- les observations de Me Lebel, représentant SNCF Réseau, qui a développé les moyens soulevés dans la procédure écrite
- et les observations de Me Beauthier de Montalembert, représentant la société Multani, qui a développé les moyens soulevés dans la procédure écrite.
A l'issue de l'audience publique, la clôture de l'instruction a été reportée au 21 août 2023 à 12 heures.
Une note en délibéré et des pièces complémentaires présentées par la société Multani ont été enregistrées les 20, 21 et 22 août 2023.
Des notes en délibéré et des pièces complémentaires présentées par SNCF Réseau ont été enregistrées les 21 et 22 août 2023.
Une note en délibéré présentée par la SAS Cube Solution a été enregistrée le 21 août 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Journal Officiel de l'Union Européenne (JOUE) et sur le portail électronique d'achats du groupe SNCF le 31 mars 2023, SNCF Réseau a lancé une procédure formalisée négociée avec mise en concurrence préalable, en vue de l'attribution d'un accord-cadre n° 2023/S065-19014 ayant pour objet la réalisation et le suivi opérationnel des prestations liées à la gestion de l'instruction des demandes d'autorisations temporaires d'occupation du domaine public ferroviaire présentées à SNCF Réseau par des tiers, et à leurs rédactions et signatures avant travaux en vue de l'implantation de canalisations et de réseaux de toutes natures et des équipements associés. Par un courriel en date du 26 juillet 2023, SNCF Réseau a informé la société Cube Solution du rejet de son offre, au motif que cette dernière n'était pas l'offre économiquement et techniquement la plus avantageuse. Par la présente requête, la société Cube Solution demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-5 du code de justice administrative, de suspendre la procédure de passation que SNCF Réseau a initiée et de la reprendre, après en avoir écarté la société Multani, au stade de l'analyse des offres, de l'analyse des candidatures, ou dans son intégralité, en se conformant à ses obligations de mise en concurrence.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 551-5 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-6 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat () ". En application de ces dispositions, il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions tendant à la communication de divers documents :
3. La société requérante demande qu'il soit enjoint à SNCF Réseau de lui communiquer les caractéristiques de l'offre de l'attributaire, les méthodes d'évaluation, le rapport d'analyse des offres, les notes sur les critères prix et technique, ainsi que le détail des notes sur les sous-critères techniques obtenues par l'attributaire. Toutefois, il n'entre pas dans l'office du juge des référés précontractuels, tel que défini par les dispositions précitées de l'article L. 551-6 du code de justice administrative, d'ordonner la communication de tels documents ou éléments d'information. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par SNCF Réseau doit être accueillie et il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins d'injonction de communication de ces éléments comme irrecevables.
Sur les conclusions tendant à la suspension de la signature du marché :
4. Aux termes de l'article L. 551-9 du code de justice administrative : " Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification à l'entité adjudicatrice de la décision juridictionnelle ". Eu égard à l'effet suspensif attaché, s'agissant de la signature du contrat, à la saisine du tribunal administratif dans les conditions prévues par les dispositions des articles L. 551-5 et L. 551-6 du code de justice administrative, les conclusions de la société Cube Solution tendant à la suspension de la signature sont dépourvues d'objet et il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-5 du code de justice administrative :
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation d'information des candidats évincés :
5. Aux termes des dispositions de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Enfin, aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. "
6. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à cette société de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 précités a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
7. La société Cube Solution soutient que SNCF Réseau, qui, dans le courriel du 26 juillet 2023 l'informant du rejet de son offre, n'a précisé ni ses notes, ni celles de la société attributaire, ni les éléments justifiant l'écart entre ces notes, puis, dans sa réponse par un courrier du 1er août 2023 à une demande de communication de motifs, ne lui a pas non plus communiqué le rapport d'analyse des offres, le détail des notes obtenues par l'attributaire, ni les motifs justifiant cette notation, a manqué à son obligation d'information des candidats évincés. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce courrier du 1er août 2023 indiquait à la société Cube Solution les notes attribuées pour chaque critère et sous-critère, ainsi que son classement, et précisait, s'agissant de la société Multani, classée première, la note globale obtenue et le prix du marché attribué. Ce courrier contenait en outre des " axes de progression d'ordre technique " détaillant les éléments pris en compte au titre de chaque sous-critère et justifiant les notes obtenues. Dans ces conditions, et alors que SNCF Réseau n'était pas tenue de lui communiquer le rapport d'analyse des offres, ce courrier a permis à la société Cube Solution de comprendre les raisons du rejet de son offre et de le contester devant le juge du référé précontractuel. Par suite, le moyen tiré de ce que SNCF Réseau a méconnu son obligation d'information des candidats évincés doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré du caractère irrégulier et inapproprié de l'offre de l'attributaire :
8. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article L. 2152-4 de ce code : " Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation. "
9. Aux termes de l'article R. 2142-25 du code de la commande publique : " L'appréciation des capacités d'un groupement d'opérateurs économiques est globale. Il n'est pas exigé que chaque membre du groupement ait la totalité des capacités requises pour exécuter le marché ".
10. D'une part, la société Cube Solution soutient que l'offre de la société Multani aurait dû être écartée car irrégulière, dès lors qu'elle ne peut qu'être regardée que comme ayant exclusivement recours à de la sous-traitance, n'ayant aucun salarié selon les informations disponibles sur Internet. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante et ainsi que SNCF Réseau le fait valoir en défense, il ne résulte pas de l'instruction que l'attributaire, qui a déposé sa candidature au nom d'un groupement devrait sous-traiter l'intégralité de ce marché.
11. D'autre part, aux termes de l'article 1 de la section III de l'avis d'appel public à la concurrence : " 2) Capacité économique et financière / Liste et description succincte des critères de sélection : / Les dossiers de candidatures devront comporter les pièces listées portant sur la capacité financière des candidats à savoir : / Une déclaration indiquant le chiffre d'affaires annuel global et le chiffre d'affaire relatif aux prestations faisant l'objet de l'accord-cadre (3 derniers exercices). / Les soumissionnaires autorisés à candidater à cet appel d'offre devront posséder un chiffre d'affaires supérieur ou égal à : 2 000 000 € (en cas de groupement : Toutes les capacités s'analysent au global au niveau du groupement) ".
12. Si la société requérante, se fondant là encore sur les informations trouvées sur Internet, soutient que la société attributaire n'a pas pu remplir la condition du chiffre d'affaires minimal exigée par les documents de la consultation en raison de la tardiveté de sa constitution, il ne résulte pas davantage de l'instruction, au vu des pièces transmises, que la société Multani ne remplit pas cette exigence, ni, d'ailleurs, qu'elle ne présente pas les capacités techniques et professionnelles requises, non plus que les garanties financières suffisantes. Par suite, le moyen tiré de ce que son offre était irrégulière et inappropriée ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'offre de l'attributaire est anormalement basse :
13. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ".
14. Il résulte des dispositions précitées, d'une part que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe à l'acheteur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient à l'acheteur de rejeter l'offre, sauf à porter atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Pour contrôler le caractère anormalement bas ou non d'une offre, le juge du référé précontractuel ne peut se borner à relever un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier sans rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
15. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société attributaire s'élevait à un montant total de 2 938 043,64 euros HT, tandis que le montant de l'offre de la société Cube Solution atteignait 3 683 985 euros HT. Toutefois, d'une part, l'important écart de prix entre l'offre de la société requérante et de la société attributaire n'est pas, à lui seul, susceptible de caractériser une offre anormalement basse d'autant plus qu'il est constant qu'en l'espèce seules ces deux offres étaient en concurrence pour l'attribution du marché. En outre, sollicité par SNCF Réseau pour suspicion d'offre anormalement basse, le groupement Multani a en réponse développé sa structure de coûts, permettant d'écarter les suspicions de SNCF Réseau. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le prix proposé par elle pour les prestations du marché serait manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'offre de l'attributaire devait être écartée car anormalement basse doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante définition par l'entité adjudicatrice de son besoin :
16. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur doit définir ses besoins avec suffisamment de précision pour permettre aux candidats de présenter une offre adaptée aux prestations attendues, compte tenu des moyens nécessaires pour les réaliser. Le juge du référé précontractuel exerce sur le choix que fait le pouvoir adjudicateur, lorsqu'il procède à la définition de son besoin et de l'objet même de la commande qui donne lieu à la passation du marché, un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
17. Si la société Cube Solution soutient que l'exigence d'une nouvelle plateforme informatique, dont le défaut lui a été reproché à l'occasion de l'évaluation de son offre, n'était pas clairement définie dans les documents de la consultation, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle exigence ait été prévue, au-delà d'un développement d'une extension dédiée au " reporting ", explicitement prévu par les documents de la consultation pour faire face à des besoins précisément définis. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'ambiguïté de ces dispositions pour l'attributaire sortant. Par suite, le moyen tiré de ce que SNCF Réseau n'aurait pas défini ses besoins avec suffisamment de précisions ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'imprécision des critères de sélection des offres :
18. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire ". Aux termes de l'article L. 2152-8 de ce code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat". Aux termes de l'article R. 2152-11 du même code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".
19. Il résulte des dispositions précitées que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En outre, si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en œuvre dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.
20. Il résulte de l'instruction que l'article 7 du règlement de consultation mentionne deux critères, le premier financier, pondéré à hauteur de 30%, et le second technique, pondéré à 70% et séquencé en trois sous-critères " méthodologie d'intervention ", " moyens humains " et " moyens techniques et informatiques ". La société Cube Solution soutient que SNCF Réseau n'a pas défini avec précision ses attentes s'agissant de ces trois sous-critères, ce qui n'a pas permis aux soumissionnaires d'adapter leur offre aux besoins de l'acheteur. Toutefois, des précisions étaient apportées, d'une part, par le règlement de la consultation, quant aux pièces et informations que devaient fournir les candidats pour l'appréciation de la valeur technique de l'offre, notamment des documents relatifs à la méthodologie d'exécution de la mission et de son suivi, la présentation des équipes et leur adéquation avec la mission, et, d'autre part, par le cahier des charges du marché, qui donnait aux soumissionnaires des indications importantes sur les attentes de l'entité adjudicatrice, en particulier en ce qui concerne les livrables. Ces précisions étaient suffisantes pour permettre aux candidats de formuler leur offre et d'identifier les éléments sur lesquels porterait leur évaluation. La circonstance que l'acheteur ait précisé, au titre du sous-critère " méthodologie d'intervention ", que les candidats étaient libres de fournir, en plus des éléments requis, " tout autre élément qu'il jugera utile pour illustrer la pertinence de sa méthodologie " ne permet pas de considérer sa décision d'attribution comme discrétionnaire. En outre, s'agissant des sous-critères relatifs aux " moyens humains " et aux " moyens techniques et informatiques ", les informations données par le cahier des charges peuvent être regardées, contrairement à ce que soutient la requérante, comme suffisamment détaillées pour permettre à tous les candidats de présenter une offre pertinente au titre de ces sous-critères. Par suite, la société Cube Solution n'est pas fondée à soutenir que SNCF Réseau a méconnu les principes de transparence, de libre accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats en n'assortissant pas ces sous-critères de précisions suffisantes.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation :
21. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.
22. La société Cube Solution fait valoir qu'au titre des sous-critères " méthodologie d'intervention " et " moyens techniques et informatiques ", son offre a été évaluée au regard d'éléments relatifs au marché dont elle est actuellement attributaire, privant ainsi les critères de sélection de leur portée. D'une part, il résulte de l'instruction que, s'agissant du sous-critère " moyens techniques et informatiques ", et en particulier en ce qui concernait l'évolution de la plateforme opérationnelle, SNCF Réseau a estimé que sa proposition était sommaire et trop proche des outils déjà à disposition. Or, compte tenu de ce qui a été dit au point 17, il résulte de l'instruction que le cahier des charges prévoyait le développement d'une nouvelle extension pour la gestion du " reporting ". Ainsi, si la société Cube Solution soutient que son offre a été évaluée au regard de ses performances dans le marché précédent et non au regard du projet développé dans son offre, SNCF Réseau ne peut qu'être regardée comme s'étant bornée à estimer que la requérante ne pouvait se contenter de mobiliser les outils existants sans les faire évoluer. Dès lors, la circonstance que la société Cube Solution ait elle-même été le précédent attributaire ne suffit pas à caractériser une illégalité de la méthode de notation de SNCF Réseau dans son évaluation des offres des candidats au regard du sous-critère " moyens techniques et informatiques ". D'autre part, il est constant que la société requérante a obtenu la note globale de 13,29 sur 20 points, et qu'à supposer qu'elle eut obtenu la note maximale de 20/20 au sous-critère relatif à la " méthodologie d'intervention ", sa note globale finale aurait en tout état de cause été inférieure à celle de 17,62 sur 20 points obtenue par la société Multani attributaire du marché litigieux. Dès lors, même à supposer que SNCF Réseau se soit fondée sur des éléments extérieurs à la procédure d'attribution, tels que les conditions d'exécution d'un précédent marché, pour noter l'offre de la société Cube Solution au regard du sous-critère relatif à la " méthodologie d'intervention ", un tel manquement n'est pas susceptible d'avoir lésé la société requérante. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation doit être écarté dans ses deux branches.
En ce qui concerne le moyen tiré de la dénaturation de l'offre de la société requérante :
23. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats.
24. La société Cube Solution soutient que SNCF Réseau a dénaturé son offre en estimant que l'équipe proposée n'était pas calibrée pour répondre aux missions du marché. Toutefois, ce faisant, la société conteste en réalité l'appréciation portée sur les mérites de son offre et ne démontre pas une quelconque dénaturation du contenu de celle-ci. Il en résulte que le moyen tiré de la dénaturation de l'offre de la société requérante doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de mention de la valeur maximale de l'accord cadre :
25. Aux termes des dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ".
26. Si l'acheteur public n'a pas fixé le montant maximum en valeur de l'accord-cadre, l'avis de publicité précisant que cet accord était " sans engagement de montant ", il résulte de l'instruction que ce même avis mentionnait que le montant global de l'accord-cadre d'une durée de vingt-quatre mois était évalué à 4 982 577,91 euros hors TVA et que le cahier des charges précisait le montant prévisionnel indicatif du volume de dossiers à traiter à l'année, ainsi que leur facturation à l'unité. Dans ces conditions, et alors que la société était titulaire du précédent marché, il ne résulte pas de l'instruction que le manquement relevé aurait été susceptible de la léser dans le déroulement de la procédure.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut d'allotissement du marché :
27. Aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. / () " Aux termes de l'article L. 2113-11 du même code : " L'acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l'un des cas suivants : / 1° Il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ; / 2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations. / Lorsqu'un acheteur décide de ne pas allotir le marché, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ".
28. Saisi d'un moyen tiré de l'irrégularité de la décision de ne pas allotir un marché, il appartient au juge du référé précontractuel de déterminer si l'analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu'il fournit sont entachées d'appréciations erronées, eu égard à la marge d'appréciation dont il dispose pour décider de ne pas allotir lorsque la dévolution en lots séparés présente l'un des inconvénients que mentionnent les dispositions de l'article L. 2113- 11 du code de la commande publique.
29. Il résulte de l'instruction que le marché en litige, ayant pour objet la réalisation et le suivi opérationnel des prestations liées à la gestion de l'instruction des demandes d'autorisations temporaires d'occupation du domaine public ferroviaire présentées à SNCF Réseau par des tiers, et à leurs rédactions et signatures avant travaux en vue de l'implantation de canalisations et de réseaux de toutes natures et des équipements associés, constitue une unité fonctionnelle avec une même finalité pour laquelle un allotissement aurait pour effet d'en accroître les difficultés techniques. Par suite, SNCF Réseau ne saurait être regardée comme ayant manqué à ses obligations de mise en concurrence en recourant à un marché global.
30. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Cube Solution doit être rejetée en toutes ses conclusions.
Sur les frais liés au litige :
31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de SNCF Réseau et de la société Multani, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par la société Cube Solution au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Cube Solution une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par SNCF Réseau et non compris dans les dépens ainsi qu'une somme identique au titre des frais exposés par la société Multani et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Cube Solution tendant à la suspension de la signature du marché litigieux.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La société Cube Solution versera à SNCF Réseau une somme de 3 000 euros et à la société Multani une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Cube Solution, à SNCF Réseau et à la société Multani.
Fait à Paris, le 24 août 2023
Le juge des référés,
N. DEGAND
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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