TA Pau, 03/07/2023, n°2100572

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 9 mars 2021, la société par actions simplifiée (SAS) Cogite, représentée par Me Morandi, demande au tribunal :

1°) d'annuler le marché de mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'exploitation du service d'eaux usées conclu entre le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et la société Espelia ;

2°) à titre subsidiaire, de résilier ce marché ;

3°) de mettre à la charge du syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le syndicat mixte a commis une erreur de fait s'agissant de la notation du critère " Délai ", affectant la détermination des délais d'exécution ; dans son offre, le délai de remise du rapport de phase 2 était bien de sept mois, à compter de la notification du marché, soit trois mois pour la phase 1 et quatre mois pour la phase 2, conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement de la consultation ; le rapport d'analyse des offres retient un délai total d'exécution des prestations de quatorze mois la concernant alors que le délai proposé dans son offre était de onze mois ; la notation opérée au titre du critère " délai " de 3,60 sur 10 pour son offre est donc affectée d'une erreur de fait qui est manifeste ; compte tenu de cette erreur, son offre aurait dû être classée en première position et elle aurait dû être déclarée attributaire du marché ; cette erreur fonde l'annulation du marché ;

- le marché attaqué est entaché d'illicéité car l'offre de la société attributaire ne respecte pas le monopole de la profession d'avocat tel qu'il résulte de l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; dès lors qu'un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage comporte des prestations de consultations juridiques, il entre dans le champ d'application de cet article, en particulier les prestations de conseil juridique personnalisé pour sécuriser les procédures de passation de la commande publique ; le non-respect de cette obligation constitue un manquement grave d'un acheteur public fondant l'annulation du marché en cause ; au cas d'espèce, les prestations prévues par l'article 3 " Contenu de la mission " du règlement de la consultation constituent, par leur nature et par leur ampleur, des prestations de rédaction d'actes juridiques et de conseil juridique personnalisé pour sécuriser les procédures afférentes du syndicat mixte ; l'exécution de telles prestations ne constituait pas la suite de l'activité principale de conseil en gestion de la société Espelia, de sorte que ces prestations juridiques, déconnectées des prestations de conseil en gestion de la société Espelia prévues au marché, ne relevaient pas directement de son activité principale et ne pouvaient être regardées comme étant l'accessoire nécessaire à celle-ci ; l'attributaire ne comprenait pas de cabinet d'avocats en tant que membre du groupement puisque le syndicat mixte reconnaît que la société Espelia devra collaborer avec un " avocat extérieur ", ce qui revient à sous-traiter les prestations juridiques alors que cela est interdit et affecte le marché d'une illégalité pour cause illicite.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 juillet 2021, le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons, représenté par Me Gallardo, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- en aucun cas, l'acheteur public n'a considéré que la durée d'exécution des phases 1 et 2, telle que proposée par la société Cogite dans son offre, était de onze mois au lieu de sept mois ; la ligne " Total " du tableau figurant dans le rapport d'analyse des offres n'est pas le total de la durée d'exécution totale du marché proposée par le candidat mais il s'agit du total en mois des différents délais d'exécution proposés par les candidats et considérés par l'acheteur public au titre de la notation du critère " Délais " ; cet ensemble de délais particuliers est mesuré par le pouvoir adjudicateur pour juger la performance globale des candidats ; par ailleurs, c'est à tort que la société Cogite écrit dans sa requête que son délai d'exécution des phases 1 et 2 était de onze mois alors qu'il ressort de son offre que le délai d'exécution des phases 1 et 2 qu'elle proposait est de sept mois à compter de la notification du marché ;

- il est erroné en droit d'affirmer que pour l'ensemble des marchés d'assistance à maîtrise d'ouvrage, la présence d'un avocat serait obligatoire ; cette affirmation n'est exacte que dans l'hypothèse où le marché repose principalement sur l'identification d'une prestation relevant du monopole de la profession d'avocat à titre principal ; lorsque l'objet d'un marché englobe différentes catégories de prestations dont certaines relèvent du monopole attribué à une profession, une entreprise qui ne relève pas de cette profession peut être candidate à la condition que l'offre précise les modalités d'intervention de la profession réglementée ; un candidat ne bénéficiant pas du monopole professionnel des avocats peut soumissionner à un marché englobant des prestations juridiques relevant de ce monopole dès lors que les éléments de sa candidature ou de son offre permettent d'établir que les prestations relevant du monopole sont bien exécutées par des avocats ; l'intervention d'un avocat pour les missions relevant du monopole peut être assurée par un contrat de sous-traitance ; l'article 30 de la loi du 31 décembre 1971 admet le conseil juridique accessoire d'entreprises de conseil bénéficiant d'une qualification délivrée par un organisme professionnel de qualification des conseils en management (OPQCM) ; dans l'arrêt cité par la société requérante, c'est seulement parce que la cour administrative d'appel de Bordeaux identifie une prestation essentiellement juridique qu'elle a refusé à la société Espelia le droit de réaliser des consultations à titre accessoire ; dans le marché en litige, l'essentiel des prestations demandées sont économiques ou techniques, donc extra-juridique si bien que la société Espelia est habilitée à exercer une mission de conseil juridique accessoire d'autant que la société Espelia est bien titulaire de la qualification OQPCM qui lui donne le droit de réaliser des activités de consultation juridique à titre accessoire ; le caractère accessoire de la prestation juridique est encore démontré par les offres des candidats et, notamment par l'offre de la société Espelia, laquelle expose un temps de travail global d'approximativement quarante jours dont quatre jours pour le service juridique interne et un jour pour le cabinet d'avocats ; l'offre de la société Espelia repose sur un conseil juridique à deux niveaux qui repose à titre principal sur l'utilisation d'un guide juridique et de modèles d'actes préformatés et à titre éventuel, sur l'intervention d'un cabinet d'avocats spécialisé en droit de la commande publique ; l'offre financière de la société requérante montre que le temps de travail de l'avocat du groupement serait seulement de 2,5 jours sur 42,5 ; le mode d'organisation en co-traitance n'est pas obligatoire ; le recours à la sous-traitance est évidemment possible ; l'offre de la société Espelia répond aux exigences de l'article R. 2193-1 du code de la commande publique ;

- la société requérante est un candidat évincé demandant l'annulation d'un marché public ; les moyens qu'elle soulève ne sont pas opérants au regard des jurisprudences Tarn-et-Garonne ainsi que Commune de Béziers I du Conseil d'Etat dans la mesure où d'une part, le moyen tenant à la notation du critère " Délai " ne relève pas de la catégorie des illicéités du contenu d'un contrat pouvant justifier une annulation et d'autre part, l'offre de la société Espelia prévoyant l'intervention d'un cabinet d'avocats, il n'existe aucune atteinte au monopole légal.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2022, la SAS Espelia, représentée par Me Kermarrec, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le syndicat mixte n'a pas respecté le secret des affaires dans le cadre de la présente procédure, le syndicat mixte ayant non seulement communiqué le rapport d'analyse des offres non occulté des mentions relatives aux candidats évincés, mais également l'offre de prix détaillée de la société Espelia et son mémoire technique ;

- l'offre de la société requérante proposait l'établissement des rapports des phases 1 et 2 du marché dans un délai de trois mois et sept mois à compter de la notification du marché, ce que le rapport d'analyse des offres a correctement reporté ;

- le dossier de consultation de la société Espelia avait proposé un délai de deux mois pour la phase 1 à compter de la notification et un délai de quatre mois pour la phase 2 à compter de la notification, ce qui a été correctement repris dans le rapport d'analyse des offres ; aucune rupture dans l'égalité de traitement des candidats ne peut donc être relevée en l'espèce ;

- la société requérante conteste la méthode de notation choisie par l'acheteur et son caractère secret alors qu'il est de jurisprudence constante, que la méthode de notation est librement choisie par l'acheteur, lequel n'est nullement tenu de la communiquer aux candidats ; la circonstance que la méthode de notation n'ait pas été portée à la connaissance des candidats ne saurait donc entacher le marché d'irrégularité ;

- le fait de calculer, comme le soutient la société requérante, le report des délais en cause isolément pour chaque phase et depuis la date de notification du marché, aurait été possible, mais cette décision est à la discrétion de l'acheteur ; si l'appréciation portée par l'acheteur avait suivi la méthode proposée par la société Cogite, cela n'aurait eu strictement aucune incidence sur le classement de la société Cogite dans cette consultation, la note obtenue par la société Espelia, qui a présenté la meilleure offre sur ce critère, aurait toujours été de 10 et la note de la société requérante aurait quant à elle était de 3,1 ; ainsi, sa note sur ce critère aurait été inférieure à la note de 3,6 obtenue avec la méthode appliquée par le syndicat mixte ; la société Cogite aurait donc conservé sa deuxième place et la société Espelia aurait également été attributaire ;

- c'est à tort que la société Cogite soutient que le cabinet d'avocats en cause intervenait dans le cadre d'une sous-traitance ; l'offre présentée par la société Espelia, mandataire du groupement, intègre l'intervention d'un avocat partenaire, co-traitant du cabinet Espelia pour la réalisation de prestations clairement définies ; le groupement, constitué de la société Espelia et du cabinet Soler-Couteaux, est un groupement conjoint ; à aucun moment l'offre de la société Espelia ne mentionne une quelconque sous-traitance ;

- il n'est pas contesté par la société requérante que la mission ne relève pas dans son intégralité d'une mission juridique ; l'objet du marché est une assistance technique, juridique et financière conformément à l'article 1er du dossier de consultation ; la société Espelia a estimé que l'intervention d'un cabinet d'avocats partenaire en co-traitance était nécessaire au regard du besoin exprimé par la personne publique ; dès lors que le groupement attributaire comprenait bien en son sein un avocat, habilité à effectuer des consultations juridiques à titre principal, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi du 31 décembre 1971 ne saurait être accueilli ; l'affirmation de la société requérante selon laquelle la société Espelia n'interviendrait pas en accessoire de son objet principal est donc inopérante conformément à l'article R. 2142-25 du code de la commande publique ; l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 juillet 2020, n°18BX03424, citée par la société requérante, a été annulée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 20 juillet 2021, n°443446 et dans cette espèce, la société Espelia n'avait pas répondu en cotraitance avec un cabinet d'avocats ;

- en complément de l'intervention de l'avocat partenaire et sur l'ensemble des aspects de la mission relevant du monopole des avocats, les juristes de la société Espelia sont habilités à exécuter des prestations relevant du droit à titre accessoire, dans le respect du périmètre du droit ; dans le cadre de l'article 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ainsi que de l'arrêté du 19 décembre 2000 modifié, la société Espelia est habilitée à réaliser des prestations juridiques à titre accessoire de son activité principale de conseil pluridisciplinaire car elle dispose de la qualification délivrée par l'OPQCM depuis 2014 et ses juristes sont titulaires d'un master en droit public.

Par ordonnance du 29 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er février 2023.

Un mémoire produit pour la société Cogite a été enregistré le 30 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- l'arrêté du 19 décembre 2000 conférant l'agrément prévu par l'article 54-I de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Corthier ;

- les conclusions de M. Clen, rapporteur public ;

- et les observations de Me Gallardo, représentant le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons a engagé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché public de service d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la conclusion d'un contrat d'exploitation du service d'eaux usées. La société Cogite, ayant pour activité l'assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'exploitation de service d'eaux usées, a présenté une offre. Trois autres entreprises ont déposé une offre recevable. Par une lettre du 8 janvier 2021, reçue le 15 janvier 2021, le syndicat mixte a informé la société Cogite que son offre était rejetée. Par une lettre du 26 janvier 2021, la société Cogite a formé un recours gracieux, rejeté par décision du 23 février 2021. La société Cogite demande l'annulation à titre principal et la résiliation à titre subsidiaire du marché de mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'exploitation du service d'eaux usées conclu entre le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et la société Espelia.

Sur les conclusions à fin d'annulation ou de résiliation du marché en litige :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

3. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

4. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.

5. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

6. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne l'appréciation du critère du délai :

7. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le dossier de consultation du marché d'assistance à maître d'ouvrage pour l'exploitation du service public d'eaux usées en litige prévoit en son article 7 " Remise des offres et critères de jugement " que les critères de sélection des offres étaient tout d'abord la valeur technique valant 50 % de la note, ensuite le prix des prestations à hauteur de 40 % et enfin le délai pour 10 % de la note. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Cogite a reçu la note de 9,25 pour le critère valeur technique, proratisé à 4,63, la note de 7,25 pour le critère prix, proratisé à 2,90 et la note de 3,60 pour le critère délais, proratisé à 0,36, soit la note finale de 7,89, la classant en deuxième place. L'offre de la société Espelia a, quant à elle, était évaluée à la note de 10 pour le critère de la valeur technique, proratisé à 5, la note de 4,94 pour le critère du prix, proratisé à 1,97 et enfin, la note de 10 pour le critère délais, proratisé à 1, soit la note finale de 7,97 lui ayant permis d'obtenir la première place. Au regard du faible écart de 0,8 entre les notes finales obtenues par la société Cogite et la société Espelia, il y a lieu de considérer que la société requérante justifie d'un intérêt à agir, l'évaluation du critère délais ayant conditionné le classement des offres.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les prestations objet du marché en litige, telles que décrites par l'article 3 " Contenu de la mission " du dossier de consultation, sont réparties en deux phases distinctes, à savoir la phase 1 " Bilan du contrat arrivant à échéance en vue de sa liquidation " et la phase 2 " Présentation des modes de gestion envisageables ", complétées par trois tranches conditionnelles. L'article 4 " Délais de réalisation " de ce dossier précise que le calendrier de réalisation de l'étude distingue l'établissement du rapport de la phase 1, qui se calcule en nombre de mois à partir de la notification et l'établissement du rapport de la phase 2, lequel se calcule également en nombre de mois à partir de la notification. Il résulte de l'instruction que la société Cogite a indiqué, au sein du dossier de consultation qu'elle a renseigné dans le cadre de son offre, un délai de trois mois à partir de la notification pour l'établissement du rapport de la phase 1 et un délai de sept mois à partir de la notification pour l'établissement du rapport de la phase 2 alors que la société Espelia a respectivement renseigné un délai de deux mois et un délai de quatre mois. Le rapport d'analyse des offres retient ces délais, auxquels ont été ajoutés ceux des tranches conditionnelles, permettant de déterminer un délai total de 8,5 mois pour la société Espelia et un délai total de quatorze mois pour la société Cogite. Ainsi, la ligne " Total " relative au critère délai du tableau figurant dans le rapport d'analyse des offres constitue une computation de l'ensemble des délais d'exécution de chaque phase tels que proposés par les candidats et ne représente pas la durée totale d'exécution du marché. Dès lors, la société Cogite n'est pas fondée à soutenir que le maitre d'ouvrage aurait commis une erreur de fait en considérant que la durée totale d'exécution des phases 1 et 2 proposée par la société Cogite était de onze mois au lieu de sept mois.

10. En troisième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que si l'appréciation du critère du délai par l'acheteur avait suivi la méthode proposée par la société requérante, cela n'aurait eu aucune incidence sur le classement de la société Cogite dans cette consultation tel qu'il résulte de la méthode mise en œuvre par le syndicat mixte dans la mesure où la note obtenue par la société Espelia, qui a présenté la meilleure offre sur ce critère, aurait toujours été supérieure à celle de la société requérante. Il s'ensuit que, dans ces conditions, la société Cogite aurait conservé sa deuxième place. Par suite, la société Cogite n'est pas fondée à soutenir que l'erreur du syndicat mixte dans l'appréciation du critère du délai, à la supposer établie, aurait eu pour effet d'entraîner son éviction.

En ce qui concerne le monopole de la profession d'avocat :

11. D'une part, aux termes de l'article R. 2142-25 du code de la commande publique : " L'appréciation des capacités d'un groupement d'opérateurs économiques est globale. Il n'est pas exigé que chaque membre du groupement ait la totalité des capacités requises pour exécuter le marché. ".

12. D'autre part, aux termes de l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 susvisée : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56,57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci. / Pour chacune des catégories d'organismes visées aux articles 61,63,64 et 65, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire, par un arrêté qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes pratiquant le droit sous l'autorité de ces organismes. () ". Aux termes de l'article 56 de la même loi : " Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avocats inscrits à un barreau français, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs disposent concurremment, dans le cadre des activités définies par leurs statuts respectifs, du droit de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seing privé pour autrui. ". Aux termes de l'article 58 de la même loi " Les juristes d'entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d'un contrat de travail au sein d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises peuvent, dans l'exercice de ces fonctions et au profit exclusif de l'entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l'activité desdites entreprises. ". Aux termes de l'article 60 de la même loi : " Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité. ".

13. Il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public portant sur des activités dont l'exercice est réglementé, de s'assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Tel est le cas des consultations juridiques et de la rédaction d'actes sous seing privé qui ne peuvent être effectuées à titre habituel que par les professionnels mentionnés par l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

14. D'une part, il résulte de l'instruction que l'objet du marché en litige d'assistance au maître d'ouvrage pour l'exploitation du service public d'eaux usées est, selon l'article 1er du dossier de consultation, de fournir au syndicat mixte une assistance technique, juridique et financière pour préparer la liquidation du contrat et étudier les différents modes de gestion envisageables à partir de 2023. Il comporte donc des prestations de consultations juridiques et de rédactions d'actes sous seing privé relevant du champ d'application des dispositions de la loi n° 71-1131 du 31 septembre 1971 précitées.

15. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'offre, présentée par la société Espelia dans le cadre de sa note méthodologique, intègre, pour les aspects juridiques, l'intervention, au sein de son équipe projet, d'un avocat partenaire Me Zimmer du cabinet Soler-Couteaux ainsi qu'un consultant juriste et un expert juriste, tous deux titulaires d'un master en droit. La société Espelia dispose, en outre, d'un certificat de qualification professionnelle des sociétés et ingénieurs conseils en management dans les domaines finances et assurances, management de projets, approche globale des organisations et achats, délivré en application de l'arrêté du 19 décembre 2000 susvisé. Par ailleurs, si la société requérante fait état du courrier du 23 février 2021 par lequel le syndicat mixte indique que " pour la question de la mission d'assistance juridique : le bureau d'études retenu dispose d'un avocat au sein de l'équipe et la collaboration avec un avocat extérieur est prévue ", il ne résulte toutefois pas de l'instruction que l'offre de la société attributaire comprenait la sous-traitance de missions juridiques à un avocat extérieur à son équipe projet. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le marché attaqué serait entaché d'illicéité car l'offre de la société attributaire ne respecterait pas le monopole de la profession d'avocat tel qu'il résulte de l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société Cogite aux fins d'annulation ou de résiliation du marché de mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'exploitation du service d'eaux usées conclu entre le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et la société Espelia ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et la société Espelia, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Cogite demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

18. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés par le syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et la société Espelia et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Cogite est rejetée.

Article 2 : La société Cogite versera au syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et à la société Espelia une somme de 1 500 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Cogite, au syndicat mixte eau et assainissement des trois cantons et à la société Espelia.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Sellès, présidente,

Mme Neumaier, conseillère,

Mme Corthier, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé

Z. CORTHIER

La présidente,

Signé

M. SELLES

La greffière,

Signé

P. SANTERRE

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition :

La greffière,