TA Rennes, 06/04/2023, n°2000718

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 février 2020, le 19 janvier 2022, le 23 septembre 2022 et le 27 février 2023, le département du Finistère, représenté par

Me Gaël Collet, avocat de la SELARL ARES, demande au tribunal :

1°) de condamner conjointement et solidairement M. B C, ou à défaut la SARL Grignou-Stephan Architectes, la société Sofresid Engineering, la société Clairalu et la société Socotec Construction, ou à défaut la société Holding Socotec, à lui verser la somme de 333 790,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et de la capitalisation des intérêts échus, en réparation des désordres affectant les façades des locaux administratifs du centre communal d'action sociale (CCAS) de Brest ;

2°) de condamner conjointement et solidairement M. B C, ou à défaut la SARL Grignou-Stephan Architectes, la société Sofresid Engineering, la société Bihannic et la société Socotec Construction, ou à défaut la société Holding Socotec, à lui verser la somme de 220 379,04 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et de la capitalisation des intérêts échus, en réparation des désordres affectant la couverture des locaux administratifs du centre communal d'action sociale de Brest ;

3°) de condamner conjointement et solidairement M. B C, ou à défaut la SARL Grignou-Stephan Architectes, la société Sofresid Engineering, la société Bihannic, la société Clairalu et la société Socotec Construction, ou à défaut la société Holding Socotec, à lui verser la somme de 24 339,78 euros correspondant aux frais et honoraires de l'expertise judiciaire ;

4°) de mettre à la charge conjointement et solidairement de M. B C, ou à défaut de la SARL Grignou-Stephan Architectes, de la société Sofresid Engineering, de la société Bihannic, de la société Clairalu et de la société Socotec Construction, ou à défaut de la société Holding Socotec, le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la construction des locaux administratifs destinés au Centre d'action sociale de Brest Rive Droite a été confiée en 2002, à un groupement de maîtrise d'œuvre dont le mandataire était M. C, architecte, et les travaux de couverture et bardage, dévolus, en 2004 à la société Entreprise Bihannic et les travaux de menuiseries extérieures à la société Clairalu ;

- des désordres par infiltrations se sont manifestés dès la première année d'occupation des lieux, à partir de la fin de l'année 2006, par la façade et par la toiture, et se sont amplifiés au cours des années, en dépit de diverses interventions en réparation ;

- l'expert judiciaire, qui a remis son rapport le 7 novembre 2019, a dénombré 23 points de fuite en périphérie des fenêtres, concernant la quasi-totalité des bureaux dans la partie du bâtiment sur laquelle les façades ont fait l'objet d'un procédé de bardage extérieur de dénomination commerciale " E " ;

- l'expert, qui met en cause tant le mode constructif retenu par pose du procédé " E " sur ossature métallique que les graves fautes de mise en œuvre constatées sur les maçonneries support en béton armé, impute ces désordres à des fautes de conception de la maîtrise d'œuvre, à l'absence de réserves du contrôleur technique et aux défauts de réalisation imputables à la société Clairalu et à son sous-traitant, la société Métal Structure ;

- il est bien fondé à solliciter, à titre principal, s'agissant des désordres affectant les façades, la condamnation conjointe et solidaire, sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, de M. C, ou à défaut de la SARL Grignou-Stephan Architectes, de la société Sofresid Engineering, de la société Clairalu et de la société Socotec Construction ou, à défaut de la société Holding Socotec et, à titre subsidiaire, la condamnation du maître d'œuvre pour faute dans sa mission d'assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception ;

- la responsabilité de M. C est incontournable, compte tenu de la mission de conception complète, incluant les détails de conception à travers la mission " EXE ", qui lui avait été confiée ;

- la responsabilité de la société Sofresid est également engagée, dès lors que l'expert a relevé que la mission DET qui lui incombait comprenait les études particulières des ouvrages de structure, incluant la prise en compte des bardages extérieurs relevant du procédé " E " ;

- les membres du groupement de maîtrise d'œuvre doivent être regardés comme solidairement engagés pour l'ensemble des missions confiées, dans la mesure où aucune pièce du marché ne précisait la répartition des tâches entre les membres de ce groupement ;

- l'expert a chiffré les travaux et prestations nécessaires pour réaliser les réparations des façades concernées par la pose de bardage selon le procédé " E " à la somme globale de 214 790,40 euros TTC, à laquelle doit être ajouté le coût du déménagement et de la location de locaux pendant la durée des travaux, soit une somme supplémentaire de

119 000 euros TTC, correspondant à un préjudice s'élevant à la somme de 333 790, 40 euros ;

- l'expert judiciaire, qui avait initialement constaté 36 points de fuite en faux plafonds, a relevé 64 zones d'infiltration par la couverture avant la troisième réunion d'expertise du

31 janvier 2018 ;

- ces désordres affectant la couverture de l'ouvrage résultent, selon l'expert, de nombreux défauts d'exécution de la société Bihannic, d'un défaut de contrôle par le cabinet d'architecture C et d'un défaut de contrôle par le contrôleur technique ;

- il est bien fondé à solliciter, à titre principal, s'agissant des désordres affectant la couverture de l'ouvrage, la condamnation conjointe et solidaire, sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, de M. C, ou à défaut de la SARL Grignou-Stephan Architectes, de la société Sofresid Engineering, de la société Socotec Construction, ou à défaut de la société Holding Socotec et, à titre subsidiaire, la condamnation de M. C et de la société Sofresid Engineering pour faute dans sa mission d'assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception ;

- l'expert a évalué le coût des travaux de réfection totale des couvertures à la somme de 220 379,04 euros TTC ;

- aucun abattement pour vétusté ne s'impose, puisque nul ne conteste que les deux séries de désordres en litige sont apparues dès l'année 2006, soit lors de la première année du délai d'épreuve décennal ;

- il a droit, par principe, à une indemnisation incluant la taxe sur la valeur ajoutée, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat ;

- il est également bien fondé à demander le remboursement des frais et honoraires d'expertise, dont il a fait l'avance en exécution de l'ordonnance du 25 novembre 2019 du président du tribunal administratif de Rennes liquidant et taxant les frais et honoraires de l'expert judiciaire à la somme de 24 339,78 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2021, M. B C et la SARL Grignou-Stephan Architectes, représentés par Me Isabelle Bouchet-Bossard, avocate du cabinet Belwest, concluent :

1°) au rejet de la requête du département du Finistère ;

2°) à la condamnation de la société Sofresid Engineering, de la société Bihannic, de la société Socotec Construction, ou à défaut de la société Holding Socotec, à le garantir de toutes les demandes dirigées à leur égard à hauteur de 90 % ;

3°) à ce qu'un abattement pour vétusté soit appliqué aux demandes de condamnation présentées par le département du Finistère ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge du département du Finistère le paiement d'une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les demandes présentées par le département du Finistère à l'égard de la SARL Grignou-Stephan Architectes ne peuvent prospérer dès lors que l'acte d'engagement du marché litigieux a été signé par M. C, à titre personnel ;

- l'analyse de l'expert s'agissant des désordres affectant les façades de l'ouvrage est particulièrement sévère pour le cabinet d'architecture puisque la faute de conception identifiée est en réalité un détail constructif particulier qui ne relève pas de la conception générale mais des plans d'exécution, lesquels n'étaient pas compris dans la mission de l'architecte ;

- la société Etude et Innovation, dont la principale mission était la conception technique par la rédaction du Cahier des clauses techniques particulières (CCTP), a commis une faute plus importante en ne se référant pas aux Documents techniques unifiés (DTU), ni au cahier des charges, ni à l'étude de la Socotec, de sorte que le taux de responsabilité dans les dommages doit être inversé, la part incombant à la société Etude et Innovation devant être fixée à 20 % et celle de l'architecte limitée à 10 % ;

- les désordres affectant la couverture de l'ouvrage résultent, selon l'expert, d'un défaut généralisé de serrage et d'écrasement consécutif à un défaut de réglage ou à l'usure des galets de l'appareil à sertir, lesquels n'étaient pas décelables par le maître d'œuvre ;

- le département du Finistère ne démontre pas que les malfaçons affectant la couverture de l'ouvrage étaient apparentes et auraient pu faire obstacle à la réception sans réserve de ce lot des travaux.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 octobre 2021 et le 14 décembre 2021, la société Entreprise Bihannic, représentée par Me Bruno Hallouet, avocat du cabinet Chevalier et Associés, conclut :

1°) à ce que sa responsabilité au titre des désordres affectant la couverture des locaux du CCAS de Brest n'excèdent pas 70 % ;

2°) à la condamnation de M. C, de la société Sofresid Engineering et de la société Socotec à la garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre à hauteur de 30 % ;

3°) à ce que la demande de garantie présentée par M. C à son encontre au titre des désordres affectant le bardage de l'ouvrage soit rejetée ;

4°) à ce qu'un abattement de 20 % au titre de la vétusté soit appliqué au montant des condamnations qui seront prononcées au titre des travaux de réparation ;

5°) à ce que la taxe sur la valeur ajoutée ne soit pas appliquée au montant des condamnations prononcées au titre des travaux réparatoires ;

6°) à ce que sa condamnation au titre des frais d'expertise judiciaire n'excède pas la somme de 6 775,50 euros ;

7°) à ce que les sommes allouées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient réduites à de plus justes proportions.

Elle fait valoir que :

- les infiltrations provenant de la couverture du bâtiment résultent, selon l'expert judiciaire, d'un mauvais pliage des joints debout face aux vents dominants et d'un défaut généralisé de sertissage des joints debout ;

- le sertissage défectueux des joints debout litigieux, observé dans le cadre des opérations d'expertise, était tout à fait visible, tant au cours du chantier qu'au moment de la réception des travaux ;

- le fait que certains joints aient été pliés dans le sens des vents dominants était également observable et n'aurait pas dû échapper à la vigilance du maître d'œuvre ;

- la société Sofresid, qui participait à l'exécution de la mission DET, est également tenue de supporter les défauts de contrôle imputés à l'équipe de maîtrise d'œuvre ;

- il incombait également au contrôleur technique de procéder aux contrôles et vérifications nécessaires, et particulièrement de s'assurer que les travaux de couverture étaient bien réalisés selon les règles de l'art et de signaler les éventuelles malfaçons au maître d'œuvre ;

- le partage de responsabilité préconisé par l'expert judiciaire est cohérent au regard des fautes commises par chaque intervenant et conforme à l'état de la jurisprudence en la matière ;

- elle est fondée à solliciter la garantie de l'architecte, de la société Sofresid et de la société Socotec pour l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre à hauteur de 30 % ;

- elle n'est pas intervenue dans le cadre des travaux de bardage, de sorte que la demande de garantie formulée à ce titre par l'architecte à son égard ne peut qu'être rejetée ;

- la demande du département du Finistère a été introduite plus de 15 ans après la réception des ouvrages, ce qui justifie d'appliquer un abattement de vétusté sur le montant des condamnations sollicitées au titre des travaux réparatoires ;

- le montant des condamnations prononcées à son encontre devra être retenu hors taxe, puisque le département du Finistère est éligible au Fonds de compensation pour la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et bénéficiera, pour la réalisation des travaux de réparation de la couverture, d'une dotation de l'Etat venant compenser la charge correspondant à la TVA non récupérable ;

- sa condamnation au titre des frais d'expertise judiciaire ne pourra excéder

6 775,50 euros, dès lors que les travaux réparatoires mis à sa charge aux termes du rapport d'expertise correspondent à 27,84 % de la totalité des travaux de réparation préconisés dans le cadre du litige.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 novembre 2021, le 11 janvier 2022, le

10 février 2022 et le 19 décembre 2022, la société Sofresid Engineering, représentée par Me Véronique Majerholc-Oiknine, avocate, conclut :

1°) à titre principal, à l'irrecevabilité des conclusions présentées par le département du Finistère et au rejet de l'ensemble des demandes formulées à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que le montant des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, toutes causes confondues, soit limité à la somme de 16 689,52 euros TTC et à ce qu'aucune condamnation solidaire ou in solidum soit prononcée à son encontre ;

3°) à titre plus subsidiaire, à ce que, dans l'hypothèse où elle serait condamnée à une somme supérieure à 16 689,52 euros TTC, toutes autres parties succombantes soient condamnées in solidum à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre au-delà de cette somme ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de toutes parties succombantes le paiement d'une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'action en responsabilité contractuelle du département du Finistère est prescrite, faute d'avoir été engagée dans les cinq ans suivant la réception de l'ouvrage, soit avant le

19 septembre 2010, et, en tout état de cause, dans les cinq ans suivant l'apparition des désordres, soit au plus tard à la fin de l'année 2011 ;

- le département du Finistère ne saurait lui réclamer, solidairement avec l'architecte, une quelconque condamnation fondée sur le manquement au devoir de conseil au moment de la réception des travaux puisqu'elle n'était nullement chargée d'assister le maître d'ouvrage aux opérations de réception et qu'elle intervenait dans le groupement de maîtrise d'œuvre à titre conjoint et non solidaire ;

- le marché de maîtrise d'œuvre du 11 mars 2002 stipule expressément en son article 2 que les entreprises formant le groupement de maîtrise d'œuvre intervenaient à titre conjoint et non solidaire, à l'exception du mandataire M. C qui était seul solidaire de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard de la maîtrise d'ouvrage ;

- l'annexe au marché de maîtrise d'œuvre contenait la répartition des tâches entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre en précisant qu'elle était qualifiée de " BET structures " ;

- aucune faute indivisible ayant entraîné la réalisation d'un dommage unique n'a, en outre, été relevée ;

- l'expert judiciaire l'a exonérée de toute responsabilité des désordres par les couvertures, lesquels relèvent exclusivement de malfaçons commises lors de l'exécution ;

- sa responsabilité dans la survenance des désordres par les façades n'est nullement démontrée, dans la mesure où elle était uniquement chargée des études relatives aux structures en béton armé, à la charpente bois et à la charpente métallique et où elle ne traitait que la partie dimension structurelle ;

- sa responsabilité ne saurait, en tout état de cause, excéder celle retenue par l'expert judiciaire, limitée à 5 % dans la survenance des désordres par les façades ;

- il n'existe aucun fondement justifiant qu'elle soit condamnée à garantir M. C et la société Grignou-Stephan Architectes des condamnations mises à leur charge ;

- la société Clairalu, titulaire du lot n°6 du marché, n'est nullement fondée à demander à ce qu'elle soit condamnée à la garantir des sommes qui seraient mises à sa charge au regard du partage de responsabilité retenu par l'expert judiciaire ;

- la société Socotec Construction ne saurait solliciter sa condamnation, avec d'autres défendeurs, à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des désordres d'infiltration par les façades au regard du partage de responsabilité retenu par l'expert judiciaire ;

- l'expert judiciaire ne lui a imputé aucune part de responsabilité pour les désordres affectant les couvertures de l'ouvrage, de sorte que l'appel en garantie présenté par la société Bihannic à son encontre ne se justifie pas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, la société Clairalu, représentée par le cabinet d'avocat Laëtitia Le Bot Lemaître, conclut : :

1°) à ce que sa responsabilité au titre des désordres affectant le bardage n'excède pas une quote-part de 60 % ;

2°) à ce que M. C, ou à défaut la SARL Grignou-Stephan, la société Sofresid Engineering, la société Socotec Construction, ou à défaut la société Holding Socotec, soient condamnés à la garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, à hauteur de 40 % ;

3°) à ce que la demande de garantie présentée par M. C au titre des désordres de couverture soit rejetée ;

4°) à ce qu'un abattement pour vétusté, d'un minimum de 20 %, soit appliqué au montant des condamnations qui seront prononcées au titre des travaux de réparation ;

5°) à ce que le montant des condamnations ne soit pas assorti de la taxe sur la valeur ajoutée ;

6°) à ce que sa condamnation au titre des frais d'expertise n'excède pas la somme de

8 796,39 euros ;

7°) à ce que les sommes mises à la charge des parties perdantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient réduites à de justes proportions.

Elle fait valoir que :

- l'expert attribue les désordres affectant les façades de l'ouvrage à des fautes de conception de la maîtrise d'œuvre, et particulièrement à M. C et aux sociétés Etude Innovation et Sofresid, à l'absence de réserves du contrôleur technique, en contrôle préliminaire ou lors de la réalisation des travaux, et à des défauts de réalisation imputables à elle-même et à son sous-traitant, la société Métal Structure ;

- elle est fondée à demander à la maîtrise d'œuvre et au contrôleur technique de la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 40 % ;

- l'instance ayant été introduite plus de quinze ans après la réception des ouvrages, un abattement pour vétusté sera retenu, qui ne saurait être inférieur à 20 % ;

- les condamnations devront être prononcées hors taxe, puisque les travaux réparatoires permettent, du fait de leur nature, de bénéficier du fonds de compensation pour la TVA.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 juillet 2022 et le 22 février 2023, la société Socotec Construction, représentée par Me Yohan Viaud, avocat de la SELARL Parthema Avocats, conclut :

1°) à titre principal, au rejet des demandes présentées par le département du Finistère et par toute autre partie à l'instance, dirigées à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire :

- à la condamnation in solidum de M. C, ou de la société Grignou-Stéphan Architectes, de la société Sofresid Engineering et de la société Clairalu, à la garantir et relever totalement des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des désordres d'infiltration par les façades et à tout le moins à hauteur de 90 % des sommes qui seraient mises à sa charge ;

- à la condamnation in solidum de M. C, ou de la société Grignou-Stéphan Architectes, de la société Sofresid Engineering et de la société Bihannic, à la garantir et relever totalement des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des infiltrations par la couverture et à tout le moins à hauteur de 90 % des sommes qui seraient mises à sa charge ;

- à la condamnation in solidum de M. C, ou de la société Grignou-Stéphan Architectes, de la société Sofresid Engineering, de la société Bihannic et de la société Clairalu, à la garantir et relever totalement des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des frais irrépétibles et des frais d'expertise judiciaire, et à tout le moins à hauteur de 10 % des sommes qui seraient mises à sa charge ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge du département du Finistère, ou de toute partie perdante, le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la société Holding Socotec, qui a une activité de holding et non de contrôle technique, doit être mise hors de cause, seule la société Socotec Construction étant venue aux droits de la société Socotec France à la suite d'une cession partielle d'actifs ;

- son dire du 14 octobre 2016, et les multiples avis qui étaient joints, démontrent qu'elle a, tout au long du chantier, attiré l'attention des intervenants à la construction sur les risques d'infiltrations et de tenue du bardage et des cassettes ;

- il n'appartient pas au contrôleur technique, qui n'en a d'ailleurs pas les moyens, de s'assurer du respect de ses avis et encore moins, de se substituer au constructeur ;

- les désordres ne lui sont pas imputables, de sorte que sa responsabilité, y compris décennale, ne saurait être engagée ;

- elle est fondée à solliciter subsidiairement la condamnation in solidum de l'architecte, de la société Sofresid Engineering et de la société Clairalu à la garantir et relever indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au titre des désordres affectant les façades de l'ouvrage, ou à tout le moins, à hauteur de 90 % de ces condamnations ;

- la présence du contrôleur technique sur le chantier est périodique et ne permet pas qu'il procède à un examen méticuleux de chaque ouvrage réalisé par chaque intervenant ;

- le désordre affectant la couverture de l'ouvrage ne résulte d'aucun défaut de conception, de sorte que le contrôle de la réalisation de ses ouvrages par l'entreprise Bihannic relevait de son obligation d'auto-contrôle ;

- le désordre constaté s'agissant de la couverture du bâtiment ne lui est pas imputable ;

- elle est fondée à solliciter subsidiairement la condamnation de la société Bihannic mais également de l'architecte, à la garantir et relever indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au titre des désordres affectant la couverture de l'ouvrage, ou à tout le moins, à hauteur de 90 % de ces condamnations.

Vu :

- l'ordonnance nos 1501206 et 1505325 rendue le 25 novembre 2019 par le président du tribunal administratif de Rennes portant taxation et liquidation des frais et honoraires de l'expert judiciaire ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- les conclusions de M. Rémy, rapporteur public,

- et les observations de Me Collet, représentant le département du Finistère, de Me Parée, représentant la société Socotec Construction et la SAS Holding Socotec, et de Me Hallouet, représentant la société Bihannic.

Considérant ce qui suit :

1. En 2002, le département du Finistère a décidé d'entreprendre la construction de locaux administratifs destinés au Centre d'action sociale de Brest Rive droite. La maîtrise d'œuvre de ce projet a été confiée, par l'intermédiaire de la société d'aménagement du Finistère (SAFI) intervenant pour le compte du maître d'ouvrage, à un groupement d'entreprises, composé notamment de M. C, en tant qu'architecte et mandataire, de la société Etude et Innovation, en tant qu'économiste de la construction, et de la société Sofresid Ouest, désormais Sofresid Engineering, en tant que bureau d'études. Le contrôle technique de l'opération a été dévolu à la société Socotec France, devenue depuis la société Socotec Construction. Les travaux, divisés en plusieurs lots, ont été attribués notamment à la société Entreprise Bihannic pour le lot n°4 - " Couverture bardage zinc " et à la société Clairalu pour le lot n°6 " Menuiseries extérieures ". L'ouvrage, dont la construction a débuté en 2004, a été réceptionné, avec réserves, le 22 novembre 2005, avec effet au 19 septembre 2005. Ces réserves ont été levées par procès-verbal du 14 avril 2006. Des infiltrations, par les façades et la toiture, étant apparues dès la première année d'occupation des locaux, diverses interventions en réparation ont été effectuées, en dépit desquelles les désordres se sont amplifiés. Désigné le 20 mai 2015 par le président du tribunal administratif de Rennes, M. A a remis un rapport d'expertise le 7 novembre 2019 constatant que les infiltrations tant par la couverture de l'ouvrage que par les façades nuisent à la destination des lieux. Par le présent recours, le département du Finistère demande la condamnation des participants aux opérations de travaux à l'indemniser, d'une part, d'une somme de 333 790,40 euros en réparation des désordres affectant les façades et, d'autre part, d'une somme de 220 379,04 euros en réparation des désordres affectant la couverture du bâtiment. Les sociétés mises en cause présentent, chacune, des conclusions à fin d'appel en garantie.

Sur la responsabilité des participants à l'opération de travaux :

2. Le département du Finistère recherche, à titre principal, la responsabilité des participants à l'opération de construction des locaux administratifs du centre d'action sociale de Brest sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs.

3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

4. Il résulte de l'instruction que lors des opérations d'expertise, de très nombreuses infiltrations ont été constatées, trente-six points de fuite étant identifiés dans les faux-plafonds et vingt-trois points de fuite en périphérie des fenêtres, avec ponctuellement des chutes de

plaques de faux-plafond. L'expert observe qu'au premier étage du bâtiment, le sinistre peut être quasiment considéré comme généralisé puisque 30 pièces sur 44, dont 2 circulations, sont affectées par les infiltrations, soit 68 % des locaux. Ces désordres par infiltrations nuisent, selon l'expert, à la destination des lieux. En l'absence de toute contestation en défense sur ce point, le département du Finistère est fondé à soutenir que les désordres en litige sont de nature à engager la responsabilité des participants à l'opération de travaux sur le fondement de la garantie décennale.

Sur l'imputabilité des désordres :

En ce qui concerne les infiltrations par les façades :

5. Il résulte de l'instruction qu'au premier étage du bâtiment litigieux, les neuf bureaux situés en façade ouest, ainsi que huit des dix bureaux situés dans l'aile sud, présentent des infiltrations en périphérie des habillages de fenêtres. Après avoir rappelé que les maçonneries périphériques du bâtiment ont été réalisées en béton armé sur la majeure partie des façades, à l'exception des deux façades sud et d'une partie de la façade nord de l'aile sud réalisée en ossature métallique, l'expert judiciaire expose qu'a été rapporté sur ces façades un procédé de bardage extérieur de dénomination commerciale " E ", comprenant des cassettes métalliques formant l'encadrement des ouvertures, avec remplissage entre ces cassettes par des bardages métalliques, le tout étant supporté par une structure métallique secondaire fixée sur les maçonneries ou l'ossature métallique sous-jacente. L'expert précise que la mise en œuvre d'un tel procédé est régie par un cahier des charges et par les règles générales DTU s'appliquant à ce type d'ouvrage, et plus particulièrement par un rapport d'enquête technique émis le 21 novembre 2002 par la société Socotec, avec une durée de validité de trois ans. Après avoir consulté ces documents, l'expert relève toutefois que, si la pose de ce bardage extérieur de type " E " est parfaitement admise pour des supports en maçonnerie, elle est réservée pour la pose sur " complexes en éléments métalliques, ces complexes devant être définis au stade de la conception de la maîtrise d'œuvre pour assurer toutes les fonctions de mur façade ". Or, aucune des pièces du marché litigieux ne comporte de plans ou de prescriptions propres à cette mise en œuvre et ne prévoit, notamment, la pose d'un pare-pluie associé au bardage rapporté, pourtant nécessaire au regard de l'exposition particulière du bâtiment aux intempéries.

6. L'expert a également constaté, après dépose partielle des bardages, de graves malfaçons et lacunes dans le montage des divers éléments. Son constat met en évidence des infiltrations généralisées par les bardages entre les cassettes et plus particulièrement au droit de l'habillage du chéneau, avec rétention d'eau, de sable, de poussières et de petits végétaux sur les lisses basses et les bracons formant l'ossature sous-jacente, l'absence totale d'étanchéité quant au montage du bardage habillant le chéneau, l'absence grave de fixation des cassettes et des rails support des bardages à la maçonnerie, l'absence de principe complémentaire d'étanchéité par pose d'un pare-pluie derrière les bardages, l'absence totale de joint entre la partie basse des cadres métalliques des cassettes et l'allège en béton faisant office d'appui, l'absence totale de joint entre les montants verticaux de l'ossature des cassettes et les voiles béton support, l'absence totale de joint entre le linteau des cassettes et la maçonnerie avec forte rétention d'eau sur le profil formant linteau, et la présence importante d'eau au droit des boulons de fixation des lisses horizontales avec infiltrations automatiques.

7. De ces constats, l'expert a déduit que tant le mode constructif retenu par pose du procédé dit " E " sur ossature métallique, que les graves fautes de mise en œuvre observées sur les maçonneries en support béton armé avaient indifféremment concouru au sinistre généralisé par infiltrations dans 17 des 19 bureaux du premier étage du bâtiment. Toutefois, si l'expert a considéré que les désordres étaient partiellement imputables au bureau d'études techniques Sofresid Engineering, pour défaut de conseil à l'égard de l'architecte s'agissant de la pose du procédé " E " sur ossature métallique, il n'est pas établi qu'une telle mission incombait à cette société, alors que celle-ci soutient avoir été uniquement chargée des études relatives aux structures en béton armé, à la charpente en bois et à la charpente métallique et n'être intervenue que pour traiter les sujets relatifs à la dimension structurelle de l'ouvrage, la spécification de mise en place d'un pare-pluie relevant des lots architecturaux ou de second œuvre. De même, la société Socotec Construction, intervenant en qualité de contrôleur technique, justifie suffisamment, par la production des fiches techniques et des avis émis au cours du chantier, avoir attiré l'attention des intervenants dans l'opération de construction sur les risques d'infiltrations ainsi que de tenue du bardage et des cassettes. Eu égard à la nature de sa mission, il ne saurait, en conséquence, lui être reproché, ainsi que l'écrit l'expert judiciaire, un défaut de contrôle préliminaire du projet et l'absence totale de réserves en phase de réalisation des travaux, alors que les graves malfaçons constatées étaient, toujours selon l'expert, très aisées à déceler. Au demeurant, l'expert ne fait état d'aucune atteinte à la solidité de l'ouvrage, en lien avec la mission L confiée à la société Socotec.

8. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité technique du désordre tenant aux infiltrations en façades des locaux administratifs du centre d'action sociale de Brest est imputable à 70 % à la société ClairAlu, attributaire du lot " Menuiseries extérieures " et à son sous-traitant, la société Métal Alu, pour défaut dans l'exécution des travaux, ainsi qu'à 10 % à M. C en tant qu'architecte, pour faute de conception et défaut de contrôle des travaux, et à 20 % à la société Etude et Innovation, chargée de la rédaction du cahier des clauses techniques particulières du marché, pour insuffisance dans l'exécution de la mission qui lui avait été confiée. Alors que l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre a été signé par M. C, architecte DPLG, agissant en son nom personnel, il ne résulte d'aucune des pièces du dossier que la SARL Grignou-Stephan Architectes, au sein de laquelle M. C exerce désormais son activité, aurait participé aux travaux en litige et qu'elle pouvait, à ce titre, être valablement attraite à l'instance. Dans ces conditions, seule la responsabilité de M. C peut être retenue, et non celle de la société Grignou-Stephan Architectes, qui doit être mise hors de cause.

En ce qui concerne les infiltrations par les couvertures :

9. Il résulte de l'instruction et notamment des photographies, réalisées lors des opérations d'expertise judiciaire, des couvertures du bâtiment, constituées de longues feuilles de zinc quartz à joints debout posées sur voligeage, que de nombreux joints debout ont été pliés face aux vents dominants d'Ouest et de Sud Ouest au lieu d'être pliés dans le sens opposé et que les pliages des joints debout présentent un défaut généralisé de serrage et d'écrasement consécutif à un défaut de réglage ou à l'usure des galets de l'appareil à sertir. L'expert souligne que le défaut de sertissage a généré un défaut d'étanchéité manifeste et que les malfaçons affectant les couvertures sont à l'origine de nombreuses infiltrations dégradant les faux plafonds de 33 pièces sur quatre niveaux. Si, au cours des opérations d'expertise, la société Bihannic a procédé à une opération de réparation des couvertures, celle-ci n'a pas eu le succès escompté et a même aggravé les infiltrations puisqu'à l'issue, les points de fuite relevés ont été portés de 36 à 64. L'expert en déduit que les malfaçons dans la réalisation de l'ouvrage ne sont pas réparables.

10. L'expert préconise d'imputer de manière prépondérante la responsabilité technique des désordres constatés à la société Bihannic, attributaire du lot " Couverture bardage zinc ", tout en considérant que la responsabilité de l'architecte et du contrôleur technique est également engagée pour défaut de contrôle des ouvrages litigieux. Cependant, les désordres identifiés résultant uniquement d'un défaut d'exécution des travaux par l'entreprise qui en était chargée, la responsabilité du contrôleur technique de l'opération, dont il n'est pas établi qu'il aurait failli dans l'exécution des missions qui lui ont été effectivement confiées selon l'acte d'engagement du 26 mars 2002 joint à la procédure, ne peut qu'être écartée. Par suite, il y a lieu de retenir que les désordres tenant aux infiltrations par les couvertures de l'ouvrage sont imputables à 85 % à la société Bihannic pour défaut d'exécution mais également à 15 % à M. C, pour défaut de contrôle de ces travaux.

En ce qui concerne la solidarité :

11. Aux termes de l'article 51 du code des marchés publics, en vigueur lors de la conclusion du marché de maîtrise d'œuvre : " I. - Les opérateurs économiques sont autorisés à se porter candidat sous forme de groupement solidaire ou de groupement conjoint, sous réserve du respect des règles relatives à la concurrence. / Le groupement est conjoint lorsque chacun des opérateurs économiques membres du groupement s'engage à exécuter la ou les prestations qui sont susceptibles de lui être attribuées dans le marché. / Le groupement est solidaire lorsque chacun des opérateurs économiques membres du groupement est engagé financièrement pour la totalité du marché. / II. - Dans les deux formes de groupements, l'un des opérateurs économiques membres du groupement, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, représente l'ensemble des membres vis-à-vis du pouvoir adjudicateur, et coordonne les prestations des membres du groupement. / Si le marché le prévoit, le mandataire du groupement conjoint est solidaire, pour l'exécution du marché, de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard du pouvoir adjudicateur. / III. - En cas de groupement conjoint, l'acte d'engagement est un document unique qui indique le montant et la répartition détaillée des prestations que chacun des membres du groupement s'engage à exécuter. Pour les accords-cadres et les marchés à bons de commande, l'acte d'engagement peut n'indiquer que la répartition des prestations. / En cas de groupement solidaire, l'acte d'engagement est un document unique qui indique le montant total du marché et l'ensemble des prestations que les membres du groupement s'engagent solidairement à réaliser. (). ".

12. En l'espèce, il résulte de l'article 2 de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre, signé le 11 mars 2002, pour la réalisation des locaux administratifs destinés au Centre d'action sociale de Brest Rive droite, que les co-traitants faisaient partie d'un groupement conjoint, dont M. C, architecte, était le mandataire se déclarant solidaire de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard de la maîtrise d'ouvrage. L'annexe 1 jointe à cet acte d'engagement détaille, pour chacune des missions de maîtrise d'œuvre dévolues au groupement d'entreprises, la participation de chacune d'entre elles. Toutefois, il résulte de la lecture de ce tableau, peu précis, que les seules missions auxquelles la société Sofresid Engineering ne concourt pas sont les missions ESQ/DIAG (études d'esquisse ou de diagnostic), ACT (assistance à la passation des contrats de travaux) et AOR (assistance aux opérations de réception et pendant la garantie de parfait achèvement). Dans ces conditions, et eu égard à sa participation notamment aux missions EXE (études d'exécution) et DET (direction de l'exécution des travaux), elle ne saurait s'exonérer de sa responsabilité solidaire au titre de la garantie décennale dans la survenance des désordres par infiltrations affectant le bâtiment à la construction duquel elle a participé. Par suite, le département du Finistère est fondé à solliciter la condamnation solidaire de la société Sofresid Engineering en tant que membre du groupement de maîtrise d'œuvre.

13. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le département du Finistère est fondé à demander, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, la condamnation conjointe et solidaire, d'une part, et en l'absence de conclusions présentées à l'encontre de la société Etude et Innovation, de la société Clairalu, de M. C et de la société Sofresid Engineering à l'indemniser des infiltrations par les façades observées sur le bâtiment dont il est propriétaire et, d'autre part, de la société Bihannic, de M. C et de la société Sofresid Engineering des infiltrations par les couvertures constatées sur ce même bâtiment.

Sur le montant des réparations :

En ce qui concerne les infiltrations par les façades :

14. Il résulte du rapport d'expertise que les désordres relatifs aux infiltrations par les façades ne peuvent faire l'objet de réparations ponctuelles et nécessitent le remplacement du procédé dit " E " en tenant compte de l'emplacement de l'immeuble en zone III et en site exposé. Ces réparations ont été évaluées par l'expert à un coût total, incluant les frais de maîtrise d'œuvre, de contrôle technique et de mission SPS, de 178 992 euros hors taxe. Si l'application d'un coefficient de vétusté au montant de ces réparations est sollicitée en défense, le département du Finistère soutient, sans être contesté, que les désordres sont apparus dès la première année d'occupation des locaux. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'appliquer au montant de l'indemnité évaluée par l'expert un coefficient de réduction pour tenir compte de la vétusté de l'ouvrage.

15. En outre, le département du Finistère expose que, durant les travaux, estimés à trois mois, les services du centre d'action sociale devront être relogés. Les frais de déménagement puis de réaménagement ont été évalués à la somme de 29 167 euros hors taxe et ceux de la location de locaux pendant cette période à la somme de 70 000 euros hors taxe. La nécessité de ce déménagement et le coût de celui-ci, retenus par l'expert, ne sont pas contestés en défense. Le coût total de la reprise des désordres tenant aux infiltrations par les façades de l'immeuble doit donc être fixé à la somme de 278 159 euros hors taxe. Le département du Finistère est donc fondé à demander la condamnation conjointe et solidaire de la société Clairalu, de la société Sofresid Engineering et de M. C à lui verser cette somme.

En ce qui concerne les infiltrations par les couvertures :

16. Il résulte du rapport d'expertise que la réparation des infiltrations affectant les couvertures du bâtiment nécessite que ces couvertures soient entièrement refaites, à l'identique, notamment en respectant le sens du pliage des joints debout opposé aux vents dominants et le principe d'une double agrafure, renforcée le cas échéant. De tels travaux ont été évalués, selon devis proposé à l'expert, à la somme de 176 280 euros hors taxe, à laquelle doit être ajouté le montant des débours du département du Finistère pour le remplacement des dalles de faux plafond et la vérification électrique à l'issue de la tentative de réparation de la couverture par l'entreprise Bihannic, soit 7 369,20 euros hors taxe. Les parties en défense sollicitent l'application d'un coefficient de vétusté d'au moins 20 % au regard du temps écoulé depuis la réception des travaux. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la réparation dont l'indemnisation est demandée aurait pour effet de procurer un avantage manifestement injustifié au maître d'ouvrage. En l'espèce, compte tenu de la durée prévisible d'utilisation du bâtiment en litige et de la circonstance que le département du Finistère soutient que les premiers désordres par infiltrations sont apparus dès la fin de l'année 2006, il n'y a pas lieu d'appliquer de coefficient de vétusté. Par suite, le département du Finistère est fondé à demander, sur le fondement de la garantie décennale, la condamnation conjointe et solidaire de la société Bihannic, de M. C et de la société Sofresid Engineering à l'indemniser à hauteur de la somme de 183 649,20 euros hors taxe qu'elle demande pour la réparation des désordres affectant les couvertures de l'ouvrage.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée :

17. Le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander l'indemnisation aux constructeurs, au titre de la garantie décennale, correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a collectée à raison de ses propres opérations.

18. Il résulte de l'article 256 B du code général des impôts que les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la TVA pour l'activité de leurs services administratifs. Si, en vertu de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) vise à compenser la TVA acquittée par les collectivités territoriales notamment sur leurs dépenses d'investissement, il ne modifie pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités. Dans ces conditions, il appartient aux constructeurs mis en cause d'apporter au juge tout élément de nature à remettre en cause la présomption de non assujettissement des collectivités territoriales et de leurs groupements à la taxe sur la valeur ajoutée et à établir que le montant de celle-ci ne doit pas être inclus dans le montant du préjudice indemnisable. En l'espèce, aucun élément n'est produit en défense permettant d'écarter cette présomption de non assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée dont bénéficie la collectivité requérante. Dans ces conditions, et ainsi que le demande le département du Finistère, le montant des préjudices indemnisables tels que fixés aux points 15 et 16 doit être majoré de 20 %.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

19. En premier lieu, le département du Finistère a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 333 790 euros toutes taxes comprises, d'une part, correspondant aux réparations des infiltrations par les façades, et sur la somme de 220 379 euros, d'autre part, correspondant aux réparations des infiltrations par les couvertures, à compter du 12 février 2020, date d'enregistrement de sa requête jusqu'au paiement effectif de ces sommes.

20. En second lieu, aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Les demandes de capitalisation d'intérêts formulées par le département du Finistère prennent, dès lors, effet à compter du 12 février 2021, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

21. En premier lieu, il résulte de ce qui a été développé aux points 5 à 8 que les désordres tenant aux infiltrations par les façades de l'ouvrage résultent tant de fautes dans la conception de l'ouvrage et le suivi du chantier que de graves malfaçons dans la réalisation des travaux, lesquels sont imputables à hauteur de 70 % à la société Clairalu et à hauteur de 30 % à l'équipe de maîtrise d'œuvre. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé précédemment, aucune faute n'a été imputée à la société Sofresid Engineering, dont la responsabilité, à titre conjoint et solidaire, résulte uniquement de sa participation au groupement de maîtrise d'œuvre. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions d'appel en garantie présentées par la société Clairalu uniquement à l'égard de M. C, à hauteur de 30 %, en sa qualité d'architecte et mandataire solidaire du groupement d'entreprises chargé de la maîtrise d'œuvre de l'opération en litige.

22. En second lieu, les infiltrations par les couvertures de l'ouvrage trouvent leur origine dans un défaut dans l'exécution des travaux, lesquels n'ont pas fait l'objet d'un contrôle suffisant par le maître d'œuvre. Il y a dès lors lieu de faire droit aux conclusions d'appel en garantie formées mutuellement par l'entreprise Bihannic et M. C, dans la limite de leurs parts de responsabilité respectives telles que définies au point 10, soit à hauteur de 85 % pour la première et de 15 % pour le second.

23. En troisième lieu, il résulte de la répartition des responsabilités définie aux points 8 et 10 que la société Sofresid Engineering, pour laquelle aucune responsabilité fautive n'est retenue et qui n'est condamnée solidairement qu'au titre de sa participation au groupement de maîtrise d'œuvre, est fondée à être garantie par M. C à hauteur de 30 % et par la société Clairalu à hauteur de 70 %, de la somme de 333 790 euros TTC mise à sa charge conjointement et solidairement au point 15, sous déduction d'une somme de 16 689,52 euros, conformément à ses conclusions à fin d'appel en garantie. Elle est également fondée à être garantie par M. C à hauteur de 15 % et par la société Bihannic à hauteur de 85 % de la somme de 220 379 euros TTC mise à sa charge, conjointement et solidairement au point 16, sous déduction d'une somme de 16 689,52 euros, conformément à la demande qu'elle a formulée au titre de son appel en garantie. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions d'appel en garantie présentées à son encontre par l'entreprise Bihannic et par M. C.

24. En dernier lieu, la responsabilité de la société Socotec Construction n'étant pas retenue, les conclusions d'appel en garantie qu'elle a formulées sont sans objet et doivent donc être rejetées.

Sur les dépens :

25. Par ordonnance susvisée du 25 novembre 2019, le président du tribunal a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert désigné dans l'instance à la somme totale de

24 339,78 euros, mise à la charge du département du Finistère. Dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu de la part de responsabilité respective des sociétés Clairalu et Bihannic ainsi que de M. C dans la survenance des désordres en litige, il y a lieu de mettre ces dépens à leur charge selon une répartition tenant compte de leurs condamnations respectives rapportées au coût total des travaux réparatoires, soit à hauteur de 42 % pour la première, de 34 % pour la deuxième et de 24 % pour le troisième. Ainsi, la société Clairalu versera au département du Finistère la somme de 10 222,78 euros, la société Bihannic la somme de 8 275,50 euros et M. C, la somme de 5 841,50 euros.

Sur les frais liés au litige :

26. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Finistère, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les sociétés défenderesses demandent au titre des dépenses exposées et non comprises dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. C, la société Sofresid Engineering et la société Socotec Construction, doivent dès lors être rejetées en ce qu'elles sont dirigées contre le département du Finistère.

27. Les conclusions présentées par la société Socotec Construction, sur le même fondement et dirigées contre toute partie perdante, doivent, dans les circonstances de l'espèce, également être rejetées.

28. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société Clairalu, de la société Entreprise Bihannic, de M. C et de la société Sofresid Engineering une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par le département du Finistère et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La société Clairalu, la société Sofresid Engineering et M. C sont condamnés solidairement à verser au département du Finistère la somme de 333 790 euros TTC au titre des désordres affectant les façades des locaux administratifs du centre d'action sociale de Brest Rive droite.

Article 2 : La société Entreprise Bihannic, la société Sofresid Engineering et M. C sont condamnés solidairement à verser au département du Finistère la somme de 220 379 euros TTC au titre des désordres affectant les couvertures des locaux administratifs du centre d'action sociale de Brest Rive droite.

Article 3 : Les sommes mentionnées aux articles 1 et 2 du présent jugement porteront intérêts à compter du 12 février 2020. Les intérêts échus à la date du 12 février 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés.

Article 4 : La société Clairalu, la société Entreprise Bihannic et M. C sont condamnés à verser au département du Finistère respectivement la somme de 10 222,78 euros, la somme de 8 275,50 euros et la somme de 5 841,50 euros au titre des dépens de l'instance.

Article 5 : La société Clairalu, la société Entreprise Bihannic, la société Sofresid Engineering et M. C verseront solidairement au département du Finistère la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête du département du Finistère est rejeté.

Article 7 : M. C garantira la société Clairalu à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 1er.

Article 8 : M. C garantira la société Bihannic à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2.

Article 9 : La société Bihannic garantira M. C à hauteur de 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 2.

Article 10 : M. C et la société Clairalu garantiront la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 30 % et 70 % de la condamnation prononcée à son encontre à

l'article 1er, sous déduction de la somme de 16 689,52 euros.

Article 11 : M. C et la société Bihannic garantiront la société Sofresid Engineering à hauteur respectivement de 15 % et 85 % de la condamnation prononcée à son encontre à

l'article 2, sous déduction de la somme de 16 689,52 euros.

Article 12 : Le surplus des conclusions à fin d'appel en garantie présentées par les parties défenderesses est rejeté.

Article 13 : Les conclusions présentées par M. C, par la société Sofresid Engineering et par la société Socotec Construction au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 14 : Le présent jugement sera notifié à M. C, à la société Grignou-Stéphan Architectes, à la société Sofresid Engineering, à la société Socotec Construction, à la société Holding Socotec, à la société Clairalu, à la société Entreprise Bihannic et au département du Finistère.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Vergne, président,

Mme Thalabard, première conseillère,

M. Blanchard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La rapporteure,

signé

M. Thalabard

Le président,

signé

G.-V. VergneLa greffière,

signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.