TA Rennes, 14/04/2023, n°2301488

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 et 29 mars 2023, la société Eurovia Bretagne, représentée par Me Mouriesse, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au département d'Ille-et-Vilaine de communiquer les caractéristiques intrinsèques de l'offre variante attributaire, la méthode de notation et le rapport d'analyse des offres ou, à tout le moins, les notes et détails explicatifs attribués critère par critère (et sous-critères) à son offre de base et son offre variante, ainsi qu'à celles de l'attributaire, et de suspendre la procédure contentieuse jusqu'à transmission de ces informations ;

2°) d'annuler la procédure de passation du marché de travaux relatif à la requalification de la voie et la création d'une piste cyclable entre Bourg-des-Comptes et la route nationale 137 (Crevin) lancée par le département d'Ille-et-Vilaine ;

3°) de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

­ l'information transmise dans le cadre de la lettre de rejet de son offre méconnaît les exigences de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique ; le département ne lui a pas communiqué, malgré son courrier du 17 mars 2023, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ; cette omission caractérise une méconnaissance à l'obligation de publicité et de mise en concurrence, la lésant dès lors qu'elle l'empêche de contester utilement le rejet de son offre ; le courrier de réponse à sa demande d'information et les pièces transmises à l'appui du mémoire en défense ne régularisent pas le manquement, dès lors qu'ils ne comportent aucune description des caractéristiques et avantages de l'offre retenue, ni des éléments explicatifs détaillés de comparaison des offres de base et variantes des candidats, sur chaque critère et sous-critère ;

- elle a présenté une offre de base et une offre variante, auxquelles ont été attribuées des notes différentes sur le sous-critère technique n° 1, relatif à l'organisation du chantier et aux moyens humains et matériels affectés, alors même que ses deux offres étaient strictement identiques (la variante portant le matériau utilisé pour réaliser les travaux) ; les notes obtenues procèdent donc soit d'une erreur matérielle, soit d'une dénaturation de son offre variante ; en effet, si deux offres différentes peuvent obtenir des notes identiques, deux offres identiques ne sauraient légalement obtenir des notes très différentes, étant précisé que le règlement de la consultation indique que l'évaluation des sous-critères a lieu au regard de l'offre présentée, et non en comparaison des offres concurrentes ;

- les éléments de réponse et de défense du département d'Ille-et-Vilaine confirment qu'il a pris en considération des éléments inexacts, absents ou dépourvus de lien avec les exigences du marché, pour noter différemment ses deux offres, de base et variante, ce qui caractérise la dénaturation de son offre : les caractéristiques techniques et géotechniques entre les deux matériaux proposés, SCORGRAVE et A 0/80 sont très proches et permettent une organisation de chantier identique ; les éléments évoqués par le département pour justifier une valorisation différente de ses deux offres, sur le sous-critère technique relatif à l'organisation du marché, sont erronés : en particulier, la circonstance que ce matériau présente une sensibilité à l'eau n'a pas d'impact sur les moyens humains et matériels à mettre en œuvre, que l'on utilise du SCORGRAVE ou du A 0/80 : les moyens matériels à utiliser sont les mêmes, niveleuse et cylindre, et présentent les mêmes rendements ; ils impliquent la même méthodologie de travail, ainsi que les mêmes moyens humains et la même organisation de chantier ; au demeurant, son offre variante ne prévoit la mise en œuvre de SCORGRAVE que sur une partie du chantier, pour tenir compte des contraintes environnementales ; par ailleurs, la circonstance que ce matériau ne puisse être retiré que par un procédé spécifique est strictement indifférente, dès lors que le marché ne porte pas sur des travaux de démolition ; les modalités de protection de ce matériau variante en cas d'épisodes météorologiques défavorables sont les mêmes que pour le matériau de base A 0/80 ; s'agissant de la circulabilité immédiate des zones de travaux, la couche de forme est revêtue de cet enduit qui permet une protection contre les précipitations et la dégradation du matériau ;

- les documents de la consultation ne comportent aucun prescription particulière, tenant à ce que le matériau utilisé puisse être retiré facilement ;

- les éléments d'appréciation de son offre variante révèlent que le département a pris en considération, pour évaluer sa qualité au titre du sous-critère technique n° 1, la sensibilité à l'eau et le caractère rigide du matériau utilisé, qui sont des éléments relatifs à la qualité inhérente au matériau proposé, n'ont aucun lien avec ce sous-critère ; le département n'a donc pas respecté les critères qu'il a définis dans le règlement de la consultation ; il lui appartenait d'informer les candidats s'il entendait en réalité noter les offres à l'aune d'un critère relatif aux qualités du matériau utilisé ;

- son offre variante a bien pris en considération les spécificités du matériau envisagé, pour la construction de son offre, s'agissant notamment des moyens humains et matériels mobilisés ;

- ce manquement l'a lésée, dès lors que le différentiel de points sur ce seul sous-critère lui permettait d'être classée première, avec une note globale de 94/100 ;

- à supposer que la note attribuée à son offre variante sur ce sous-critère technique procède d'une erreur matérielle, elle ne peut être neutralisée, ayant été commise à son seul détriment et présentant une influence sur le classement des offres.

Par un mémoire distinct, enregistré le 21 mars 2023 et non soumis au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du CJA, la société Eurovia Bretagne a transmis les pages 5 à 24 de son mémoire technique et le descriptif de son offre variante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2023, le département d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Eurovia Bretagne de la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique n'est pas utilement soulevé, la société Eurovia Bretagne ne démontrant pas dans quelle mesure le manquement allégué est susceptible de l'avoir lésée ; en tout état de cause, les éléments d'information relatifs et caractéristiques et avantages de l'offre retenue ont été transmis, par courrier du 24 mars 2023 ;

- les critères et la pondération mis en œuvre sont réguliers et la méthode de notation n'est pas de nature à priver de leur portée les critères d'attribution, pas davantage qu'à neutraliser leur pondération ;

- l'offre variante consiste en un remplacement du matériau, la couche de forme granulaire de A 0/80 étant remplacée par un produit à base de mâchefer ; ce matériau présente des caractéristiques spécifiques qui nécessitent une adaptation du chantier et de son organisation, justifiant par suite que des offres strictement identiques puissent, précisément, sans dénaturation ni prise en considération d'éléments inexacts, absents ou dépourvus de tout lien avec le marché, se voir attribuer des notes sensiblement différentes, leur qualité respective s'en trouvant en réalité modifiée ; en particulier, ce matériau peut compromettre le bon déroulement voire la faisabilité du chantier, eu égard aux précautions d'utilisation à prendre, à proximité des canalisations métalliques ; il n'apparaît à cet égard pas que ces spécificités aient été prises en considération par la société Eurovia Bretagne dans le cadre de l'organisation du chantier ; l'offre était ainsi incomplète sur ce sous-critère, ce qui explique la note attribuée de 2/6, alors que l'offre de base, identique, a obtenu la note de 5/6 sur le même sous-critère ; ces divergences d'appréciations et leurs motifs sont au demeurant retranscrits dans le rapport d'analyse des offres.

Le groupement d'entreprises Pigeon Terrassement et Environnement / SRTP, attributaire désigné de ce marché, a été régulièrement informé de la requête et de l'audience publique et n'a pas produit d'observations écrites en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Thielen, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 30 mars 2023 :

- le rapport de Mme D,

- les observations de Me Chaigneau, représentant la société Eurovia Bretagne, qui persiste dans ses conclusions écrites, par les mêmes moyens développés ; elle soutient également que :

* les éléments indiqués dans le rapport d'analyse des offres ne sont pas cohérents ; l'enduit de couche de forme est prévu dans son offre ;

* il est justifié de ce que les spécificités et contraintes techniques du SCORGRAVE ont été prises en considération dans la construction de son offre ;

* l'offre technique prend en considération les exigences réglementaires fixant les conditions et précautions d'emploi de ce matériau, liées à ses caractéristiques techniques ;

- les observations de M. C et de Mme B, représentant le département d'Ille-et-Vilaine, qui persistent dans leurs conclusions écrites, par la même argumentation ; ils font également valoir que :

* le matériau variante présente des spécificités qui ont des incidences sur l'organisation du chantier, eu égard notamment à sa vulnérabilité à l'eau ; il ne peut être posé lors des épisodes météorologiques défavorables et exige de ce fait l'application d'un enduit de protection, plus fréquemment et selon d'autres modalités que pour le matériau de base, lequel peut, précisément, être posé durant les épisodes de pluie ; l'offre variante ne comporte aucun élément permettant de s'assurer que ces spécificités ont été prises en considération ; l'offre variante était ainsi de moindre qualité sur le sous-critère technique n° 2.1 ;

* l'offre ne présente pas non plus d'élément sur les modalités selon lesquelles la circulabilité du chantier sera assurée, en cas d'interruption prolongée du chantier, du fait de la pluie.

Le groupement d'entreprises Pigeon Terrassement Environnement - SRTP, attributaire désigné du marché, n'était pas représenté.

La clôture de l'instruction a été différée au lundi 3 avril 2023 à 16 h.

Un mémoire, enregistré le 31 mars 2023, a été présenté par le département d'Ille-et-Vilaine, qui persiste dans ses conclusions, par les mêmes arguments et qui fait également valoir que :

- le sous-critère technique n° 1 comporte trois dimensions, portant respectivement sur l'organisation du chantier, les moyens humains et les moyens matériels dédiés à la réalisation des prestations ; or, l'utilisation du matériau proposé en variante par la société requérante présente des incidences en termes d'organisation du chantier ; ces incidences ont été constatées à chaque fois qu'un titulaire a fait usage de ce matériau ; a minima, l'offre variante aurait dû précisément et spécifiquement expliquer pourquoi et dans quelle mesure l'utilisation de ce matériau n'affectait pas l'organisation de son chantier ;

- ce matériau est sensible aux conditions météorologiques (fortes pluies) lors de sa mise en œuvre ; contrairement au matériau de l'offre de base et d'une partie de l'offre variante dit A 0/80, il ne peut rester sur place, nécessitant une protection particulière et donc des modalités particulières d'organisation du chantier pour le protéger une fois posé, qui, précisément, ne sont pas explicitées dans le mémoire technique variante ;

- la prise en charge des surcoûts, en termes d'apposition de l'enduit de protection, n'est pas abordée ;

- le mémoire technique n'aborde pas davantage la problématique de la circulabilité du chantier : les riverains doivent accéder en permanence à leurs propriétés ; aucun élément n'était précisé s'agissant de l'organisation du chantier, notamment des modalités de respect de cette sujétion particulière, dans l'hypothèse d'une interruption de chantier prolongée du fait des intempéries ;

- le cahier des clauses administratives particulières prévoit que les réseaux doivent être déplacés concomitamment ; le mémoire technique est également muet sur la prise en compte de cette contrainte ;

- ce n'est le matériau en lui-même qui justifie la note obtenue, mais bien l'absence de précision, dans le mémoire technique de la société, concernant ces spécificités et leurs conséquences sur l'organisation du chantier ;

- les critères de notation ont été respectés et n'ont pas été modifiés ; il n'a pas davantage été mis en œuvre de critères de notation non portés à la connaissance des candidats.

Un mémoire, enregistré le 3 avril 2023 à 15 h53, a été présenté par la société Eurovia Bretagne, qui persiste dans ses conclusions, par les mêmes moyens et qui soutient également que :

- le département n'établit pas que l'utilisation du SCORGRAVE a un impact sur l'organisation du chantier ;

- ce matériau ne sera pas utilisé sur les portions de route situées à proximité des zones humides ;

- la possibilité d'appliquer un enduit de protection est une exigence du marché ; cette prestation est valorisée dans le bordereau de prix unitaire ; aucun élément ne corrobore l'allégation du département tenant à un surcoût généré par l'utilisation de ce matériau ;

- les moyens matériels nécessaires ont été prévus et détaillés dans le mémoire technique ; la circonstance qu'ils soient identiques pour l'utilisation des deux matériaux ne suffit pas pour établir que les spécificités du matériau variante n'ont pas été prises en considération ; les seuls éléments qu'il convenait d'adapter étaient la proximité des zones humides, ce qui a été pris en considération ;

- le département a apprécié la valeur technique de son offre, s'agissant de ce sous-critère n° 1, au regard des qualités et caractéristiques intrinsèques du matériau variante ; il a donc méconnu la grille de notation qu'il avait établie.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis publié le 21 décembre 2022, le département d'Ille-et-Vilaine a lancé la procédure de passation, en appel d'offres ouvert, d'un marché public de travaux portant sur la requalification de la route départementale n° 48 et la création d'une piste cyclable, entre Bourg-des-Comptes et la route nationale n° 137 (giratoire de Bel-Air, situé à Crevin). La société Eurovia Bretagne a candidaté à l'attribution de ce marché et a été informée, le 9 mars 2023, d'une part, du rejet de son offre et, d'autre part, de ce que le marché serait attribué au Groupement Pigeon Terrassement - SRTP. Par la présente requête, la société Eurovia Bretagne demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Selon l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. En vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

4. Le règlement de la consultation prévoit, en son article 8.2, que l'attribution du marché se fait selon trois critères : le prix, la valeur technique et les performances en matière de protection de l'environnement. Le critère du prix, pondéré à 68 points, est apprécié par application d'une formule prenant comme référence l'offre la moins-disante. La valeur technique, pondéré à 20 points, est subdivisé en cinq sous-critères : 2.1 : qualité et précision de l'organisation du chantier, des moyens humains et matériels affectés au chantier décrits dans le mémoire technique, noté sur 6 points ; 2.2 : précision et pertinence du mouvement des terres envisagées par le candidat, noté sur 4 points ; 2.3 : qualité et précision du planning prévisionnel, notée sur 4 points ; 2.4 : qualité et précision des sous-détails de prix unitaires et forfaitaires exigés dans les pièces de l'offre, noté sur 4 points ; 2.5 : qualité et précision de l'organisation mise en place pour assurer le suivi de la qualité, noté sur 2 points. Le critère n° 3, portant sur les performances en matière de protection de l'environnement est également subdivisé en trois sous-critères : 3.1 : avantage " environnement " des solutions proposées notamment pour l'organisation des matériaux excédentaires qui éviteraient l'évacuation et la mise en dépôt définitif, noté sur 4 points ; 3.2 : mesures spécifiques proposées par le candidat pour la protection de l'environnement (préservation du milieu naturel et des zones sensibles, moyens mis en œuvre pour éviter toute pollution des eaux du milieu naturel en phase chantier, protection des riverains, mesures provisoires pendant la réalisation des travaux, qualité des matériaux et des installations de chantier) et l'organisation humaine et matérielle prévue pour réaliser les travaux des mesures éco-paysagères, noté sur 4 points ; 3.3 : prise en compte de la gestion, de l'élimination et de la réutilisation des déchets du chantier, notamment des arbres, souches, etc. issus des abattages en zones boisées, noté sur 4 point. Le règlement de la consultation comporte également en annexe n° 1 une grille d'évaluation des critères de jugement des offres, pour les critères technique et environnement.

En ce qui concerne l'information de la société Eurovia Bretagne :

5. Aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de son article R. 2181-2 : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. / Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché ". Aux termes de son article R. 2181-3 : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de son article R. 2181-4 : " À la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

6. L'information sur les motifs du rejet de son offre et sur les caractéristiques de l'offre retenue dont est destinataire la société évincée en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de lui permettre de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge des référés précontractuels. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence, qui n'est cependant plus constitué si l'ensemble des informations requises a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue, dans le respect d'un délai suffisant pour lui permettre de contester utilement son éviction.

7. Il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a communiqué à la société Eurovia Bretagne, aux termes du courrier du 9 mars 2023 l'informant du rejet de son offre, l'identité du groupement d'entreprises attributaire, le montant de l'offre retenue correspondant à la variante n°°1 de ce candidat, les notes respectivement obtenues par le groupement attributaire sur les trois critères, prix, technique et environnement ainsi que sur chacun des sous-critères, technique et environnement, et les notes obtenues par les deux offres, base et variante n° 1 de la société Eurovia Bretagne, sur chacun des critères et sous-critères. Faisant suite à la demande d'information présentée par la société évincée en application des dispositions précitées de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique, il a, aux termes d'un courrier du 24 mars 2023 transmis et lu le même jour par la société Eurovia Bretagne, communiqué certains extraits du rapport d'analyse des offres, explicitant les notes obtenues par le groupement attributaire et elle-même. Le pouvoir adjudicateur a enfin transmis, dans le cadre de son mémoire en défense, communiqué la veille de l'audience publique mais ayant pu être utilement discuté par la société Eurovia Bretagne eu égard au report de la clôture de l'instruction et aux échanges écrits postérieurs à cette audience, une extraction complète du rapport d'analyse de ses deux offres, de base et variante. Cette communication, bien que ne comportant pas d'analyse littérale des avantages de l'offre retenue sur tous les critères et sous-critères techniques et environnementaux, a permis à la société Eurovia Bretagne de bénéficier d'une information suffisante sur les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue, et l'a mise en mesure de contester utilement son éviction devant le juge des référés précontractuels. La société requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence serait, en l'espèce, constitué.

En ce qui concerne l'appréciation de l'offre variante de la société Eurovia Bretagne :

8. Pour contester le rejet de son offre et l'attribution du marché au groupement d'entreprises Pigeon Terrassement Environnement - SRTP, la société Eurovia Bretagne soutient que son offre variante n° 1, qui a obtenu la note maximale sur le critère prix, a été dénaturée s'agissant de sa valeur technique, dès lors que le département d'Ille-et-Vilaine a pris en considération, pour apprécier la qualité de son offre sur le sous-critère technique n° 1, portant sur l'organisation du chantier et les moyens humains et matériels, des éléments inexacts, absents ou dépourvus de lien avec les exigences du marché, ce qui procède de la dénaturation ou de la mise en œuvre, irrégulière, de critères de notation non portés à la connaissance des candidats. Elle soutient plus particulièrement que son offre variante consiste à proposer un matériau autre, le SCORGRAVE, qui présente des caractéristiques techniques et géotechniques presque identiques au matériau utilisé dans l'offre de base et qui permet donc tant une organisation du chantier que des moyens humains et matériels mobilisés identiques, de sorte que ses deux offres, strictement identiques sur le sous-critère technique n° 1, ne pouvaient, sans dénaturation obtenir des notes différentes, sauf à considérer que pour apprécier ce sous-critère technique, le pouvoir adjudicateur a pris en considération les éléments et caractéristiques du matériau proposé, ce qui caractériserait la mise en œuvre d'un critère ou d'un sous-critère non publié ni porté à la connaissance des candidats.

9. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution () ". Aux termes de son article L. 2152-8 : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Aux termes de son article R. 2152-11 : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ". Enfin, aux termes de son article R. 2152-12 : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les critères d'attribution font l'objet d'une pondération ou, lorsque la pondération n'est pas possible pour des raisons objectives, sont indiqués par ordre décroissant d'importance. La pondération peut être exprimée sous forme d'une fourchette avec un écart maximum approprié ".

10. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

11. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres.

12. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

13. L'annexe 1 du règlement de la consultation portant grille d'évaluation des critères de jugement des offres, pour chacun des sous-critères techniques et environnementaux, précise, s'agissant du critère technique 2.1, " qualité et précision de l'organisation du chantier, des moyens humains et matériels affectés au chantier décrits dans le mémoire technique ", noté sur 6 points : " Éléments d'appréciation très pertinents et complets et répondant parfaitement aux besoins : 6 / Éléments d'appréciation pertinents et répondant correctement aux besoins mais incomplets sur un point : 4 / Éléments d'appréciation assez satisfaisants mais incomplets sur plusieurs points : 2 / Éléments non fournis : 0 ". Cette annexe précise également que dans le cadre de l'échelle de notation définie pour chacun des sous-critères, des notes intermédiaires d'un demi-point pourraient être attribuées pour les notes de 1 en 1, et d'un point pour les notes de 2 en 2, si l'analyse des offres le justifie.

14. Il résulte de l'instruction que l'offre de base de la société Eurovia Bretagne a obtenu, sur le critère technique 2.1, la note de 5/6, le rapport d'analyse des offres précisant : " Éléments d'appréciation pertinents sur les phasages mais le reste est très général. Cependant les moyens humains et techniques sont satisfaisants et adaptés au chantier ". Son offre variante a quant à elle obtenu, sur la base d'un mémoire technique strictement identique, la note de 2/6, le rapport d'analyse des offres précisant : " Éléments d'appréciation assez satisfaisants mais incomplets sur plusieurs points - En effet le mémoire ne décrit pas les moyens mis en œuvre pour protéger le matériau SCORGRAVE de conditions météorologiques défavorables lors de sa mise en place ainsi que pour la circulabilité immédiate des zones de travaux - Il ne figure pas non plus la méthodologie à mettre en œuvre afin de tenir compte de déplacement de réseaux concomittant aux travaux. Les moyens humains et techniques sont satisfaisants et adaptés au chantier ".

15. Il résulte tant de l'instruction écrite que des échanges entre les parties au cours de l'audience publique que le SCORGRAVE, matériau proposé dans le cadre de l'offre variante de la société Eurovia Bretagne pour la réalisation de la couche de forme sur toute la voie à requalifier à l'exclusion de deux tronçons précisément identifiés, en remplacement du A 0/80, proposé dans le cadre de l'offre de base pour la réalisation de cette même couche de forme sur l'ensemble des tronçons de la voie, présente une sensibilité particulière à l'eau, ne peut être mis en œuvre et posé lorsque les conditions météorologiques sont défavorables, requiert également d'être acheminé au fil des besoins et compacté quotidiennement pour limiter les infiltrations d'eau météorite, et ne peut être utilisé à proximité de canalisations métalliques, autant de caractéristiques susceptibles d'avoir des incidences sur l'organisation du chantier, ce que ne conteste pas utilement la société Eurovia Bretagne, lorsqu'elle expose que ce matériau requiert les mêmes moyens humains et matériels (notamment niveleuse et cylindre pour compacter) que le A 0/80 de base et présente les mêmes rendements, outre que son offre valorise, dans le bordereau de prix, l'enduit de protection qu'exigent les dispositions du cahier des clauses techniques particulières.

16. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que le matériau variante présente des caractéristiques susceptibles d'avoir des incidences sur l'organisation du chantier, les deux mémoires techniques des offres de base et variante, strictement identiques, pouvaient légalement se voir attribuer des notes différentes sur le sous-critère technique n° 1, sans que cela ne révèle ni ne caractérise, en soi, une dénaturation de l'offre variante, à laquelle a été attribuée une note moindre sur ce sous-critère.

17. Une telle différence de notation ne révèle pas davantage, en soi, que la qualité de l'offre variante, sur ce sous-critère technique, n'aurait pas été appréciée par le pouvoir adjudicateur au regard de ses qualités intrinsèques mais par comparaison avec l'offre des autres sociétés candidates.

18. Il résulte par ailleurs du règlement de la consultation, en son article 8.2, que le sous-critère technique n° 1 porte, notamment, sur la qualité et la précision de l'organisation du chantier décrite dans le mémoire technique. Dès lors que le mémoire technique variante de la société Eurovia Bretagne ne comporte aucun élément portant spécifiquement sur l'organisation du chantier, a minima pour expliciter les raisons pour lesquelles l'utilisation du matériau variante pour la réalisation de la couche de forme n'affectera précisément pas l'organisation prévue pour l'offre de base, le département d'Ille-et-Vilaine a pu, en faisant une stricte et seule application des critères et sous-critères publiés dans le règlement de la consultation, considérer que cette offre variante comportait, s'agissant du sous-critère n° 1, des éléments d'appréciation incomplets sur plusieurs points, alors même que ce même mémoire technique, apprécié dans le cadre de l'analyse de l'offre de base, était considéré comme pertinent et complet sur tous les points. En outre, en considérant, dans le rapport d'analyse des offres, que " le mémoire ne décrit pas les moyens mis en œuvre pour protéger le matériau SCORGRAVE de conditions météorologiques défavorables lors de sa mise en place ainsi que pour la circulabilité immédiate des zones de travaux - Il ne figure pas non plus la méthodologie à mettre en œuvre afin de tenir compte de déplacement de réseaux concomittant aux travaux ", le département d'Ille-et-Vilaine a seulement mis en évidence les éléments d'information, relatifs à l'organisation du chantier, qu'il a estimés insuffisamment complets et détaillés compte tenu, précisément, des caractéristiques intrinsèques du matériau variante, sans toutefois porter d'appréciation sur celles-ci, en tant que telles. Il n'a ainsi ni dénaturé l'offre variante de la société Eurovia Bretagne, en mettant en œuvre des éléments d'appréciation sans lien avec le sous-critère apprécié ou en omettant de prendre en considération un élément présent dans l'offre, ni mis en œuvre un critère non publié, tenant à l'appréciation des caractéristiques et qualités intrinsèques du matériau proposé en variante.

19. Il résulte enfin de l'instruction que la différence de notes entre les deux offres de la société Eurovia Bretagne, sur le critère technique 2.1, ne procède d'aucune erreur matérielle mais bien de l'appréciation, différente, que le pouvoir adjudicateur a eue sur leurs valeurs respectives sur ce sous-critère, appréciation qu'il n'appartient pas au juge des référés précontractuels de contrôler.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, les conclusions de la société Eurovia Bretagne tendant à l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département d'Ille-et-Vilaine, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Eurovia Bretagne au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

22. Si, par ailleurs, une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut demander au juge l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services. En l'espèce, en se bornant à alléguer un surcoût de travail lié à l'urgence de la procédure, le département d'Ille-et-Vilaine ne justifie pas de frais exposés au sens de ces dispositions. Par suite, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Eurovia Bretagne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département d'Ille-et-Vilaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Eurovia Bretagne, au département d'Ille-et-Vilaine et au groupement Pigeon Terrassement et Environnement.

Fait à Rennes, le 14 avril 2023.

Le juge des référés,

signé

O. DLa greffière d'audience,

signé

A. Gauthier

La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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