TA Marseille, 16/01/2024, n°2312333


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 19 avril 2021, 2 mai 2022 et 7 février 2023, et un mémoire récapitulatif, présenté le 30 mars 2023 sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la société Koch et Associés, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Cristini, représentée par Me Llorens (Selarl Leonem), demande au tribunal :

1°) de condamner la communauté de communes du Warndt à lui verser une somme de 21 737,04 euros, assortie des intérêts moratoires au taux directeur de la banque centrale européenne (BCE) majoré de 8 points à compter du 18 janvier 2020 ;

2°) de condamner la communauté de communes du Warndt à lui verser une somme de 22 815,82 euros, assortie des intérêts moratoires au taux directeur de la banque centrale européenne (BCE) majoré de 8 points à compter du 28 mars 2020 ;

3°) de prononcer la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner la communauté de communes du Warndt à lui verser la somme de 80 euros en application des dispositions de l'article 9 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

5°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Warndt le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans l'état récapitulé de ses écritures, que :

- la requête est recevable, elle établit avoir transmis au maître de l'ouvrage un mémoire en réclamation le 4 mars 2021, pour un différend né le 21 avril 2020 ; ce différend ne concerne ni le décompte général du marché de travaux, ni le décompte de résiliation, dès lors le délai prévu à l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) ne trouve pas à s'appliquer et sa requête n'est pas tardive ;

- en l'absence de réponse du maître d'œuvre dans le délai prévu à l'article 13.2.2 du CCAG Travaux, la communauté de communes du Warndt devait lui régler le montant des acomptes mensuels présentés respectivement les 19 décembre 2019 et 26 février 2020 ;

- la communauté de communes du Warndt ne peut se prévaloir de désordres et malfaçons constatés de manière non contradictoire, ni d'un rapport du maître d'œuvre sur les retards de la société Cristini, pour s'opposer au règlement des sommes ainsi dues ;

- aucune créance n'a été déclarée par la communauté de communes du Warndt auprès du mandataire liquidateur de la société Cristini ;

- les créances dont la communauté de communes du Warndt se prévaut à son encontre sont infondées, d'une part les retards donnant lieu à pénalités ne sont pas établis, d'autre part ils ne sont pas imputables à la société Cristini ; la communauté de communes du Warndt ne peut mettre à sa charge le montant d'un marché de substitution, le bien-fondé de la mise en régie n'étant pas démontré et la mise en régie ayant été prononcée au terme d'une procédure irrégulière ;

- la communauté de communes du Warndt ne justifie ni du lien de causalité, ni du montant des frais supplémentaire de maîtrise d'œuvre qu'elle impute aux manquements contractuels de la société Cristini ;

- elle a droit au paiement des intérêts au taux majoré sur les sommes dues et à leur capitalisation ;

- elle est fondée à solliciter le versement de deux indemnités forfaitaires de recouvrement d'un montant de 40 euros chacune.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er avril et le 15 décembre 2022, et le 10 mars 2023, et un mémoire récapitulatif, présenté le 21 avril 2023 sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la communauté de communes du Warndt, représentés par Me Muller-Pistré (SCP Racine), conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la condamnation de la Selas Koch et Associés à lui verser la somme de 48 474,83 euros correspondant à la créance détenue par la communauté de communes du Warndt sur l'entreprise Cristini ;

3°) à ce que soit mise à la charge de la Selas Koch et Associés le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La communauté de communes du Warndt soutient, dans l'état récapitulé de ses écritures, que :

- la requête est irrecevable, la société requérante n'ayant pas respecté les stipulations de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux ; la société Cristini a transmis un projet de décompte final et non des demandes de paiement intermédiaires ; la transmission d'un mémoire en réclamation est tardive ;

- subsidiairement, sur le bien-fondé des demandes de paiement, la société requérante ne peut se prévaloir des stipulations de l'article 13.2.2 du CCAG Travaux dès lors, d'une part, que sa demande concerne le projet de décompte final, d'autre part que ces stipulations ne prévoient que le paiement des sommes admises par le maître d'œuvre ;

- les retards et les malfaçons imputables à la société Cristini ont été constatés contradictoirement, la société requérante a été rendue destinataire du procès-verbal de constat et des comptes-rendus de réunion de chantier, et a été convoquée aux réunions de chantier ;

- la communauté de communes du Warndt justifie des montants des travaux qu'elle a dû engager suite aux manquements de la société requérante ;

- les intérêts moratoires contractuels ne sont pas dus, en application du II de l'article 8 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013.

Par une ordonnance du 30 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Merri, première conseillère,

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- les observations de Me Canal, représentant la Selas Koch et Associés.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 5 mars 2019, la communauté de communes du Warndt (ci-après CCW) a confié le lot n° 2 " gros œuvre " du marché de travaux en vue de la construction d'un hôtel communautaire et d'entreprises à la société Cristini. Le 18 décembre 2019, la société Cristini a présenté une situation de paiement n° 8, d'un montant de 21 737,04 euros. Le 4 février 2020, la société a été placée en liquidation judiciaire, et la Selas Koch et associés a été désignée comme mandataire liquidateur. Le 26 février 2020, la Selas Koch et associés a présenté " une dernière demande d'acompte mensuel, d'un montant de 22 815,82 euros ". Le 23 mars 2020, la Selas Koch et associés a mis en demeure la CCW de lui régler la somme totale de 44 552,86 euros. La CCW a refusé tout paiement le 21 avril 2020. Sa réclamation du 4 mars 2021 n'ayant pas reçu de réponse, la Selas Koch et associés demande au tribunal de condamner la CCW à lui verser les sommes de 21 737,04 euros et 22 815,82 euros.

Sur les conclusions indemnitaires de la requête :

2. Le titulaire d'un marché peut demander au juge du contrat la condamnation du maître d'ouvrage à lui verser des acomptes avant même l'établissement du décompte général du marché. Il appartient alors au juge de l'exécution du contrat, saisi par la voie du plein contentieux, d'apprécier si les circonstances de fait en vigueur à la date à laquelle il statue ouvrent droit au paiement des sommes demandées. Le titulaire du marché a droit au versement des acomptes, présentés dans le respect des stipulations contractuelles, pour les prestations qui ont donné lieu à un commencement d'exécution, y compris si elles ne sont pas achevées. Toutefois, si la personne responsable du marché décide d'infliger au titulaire du marché des pénalités ou bien constate des malfaçons susceptibles de fonder une demande d'indemnisation auprès de l'entreprise qui devra être intégrée au décompte général, la demande de paiement d'acompte, même présentée antérieurement, ne peut être regardée, à concurrence du montant de ces pénalités ou du coût de ces malfaçons, comme susceptible de faire naître une obligation de payer à la charge du maître d'ouvrage.

En ce qui concerne les conclusions de la Selas Koch et associés :

3. Aux termes du CCAG-Travaux applicable au litige : " 13.1.8. Le projet de décompte mensuel établi par le titulaire constitue la demande de paiement ; cette demande est datée et mentionne les références du marché. / Le titulaire envoie cette demande de paiement mensuelle au maître d'œuvre par tout moyen permettant de donner une date certaine. / 13.1.9. Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte mensuel établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte mensuel. / () 13.2. Acomptes mensuels : / 13.2.1. A partir du décompte mensuel, le maître d'œuvre détermine le montant de l'acompte mensuel à régler au titulaire. () 13.2.2. Le maître d'œuvre notifie par ordre de service au titulaire l'état d'acompte mensuel et propose au représentant du pouvoir adjudicateur de régler les sommes qu'il admet. Cette notification intervient dans les sept jours à compter de la date de réception de la demande de paiement mensuelle du titulaire. / Si cette notification n'intervient pas dans un délai de sept jours à compter de la réception de la demande du titulaire, celui-ci en informe le représentant du pouvoir adjudicateur qui procède au paiement sur la base des sommes qu'il admet. () ".

4. Il résulte de l'instruction que la situation de paiement n°8 et la " dernière demande d'acompte mensuel ", qui constituent des demandes de paiement mensuel et non, comme le soutient la CCW, le projet de décompte final, ont été régulièrement transmis au maître d'œuvre. Ce dernier n'ayant pas notifié les états d'acompte mensuel correspondants à la société Cristini, il incombait à cette dernière, conformément aux stipulations de l'article 13.2.2 précité, d'en informer le maître d'ouvrage afin qu'il procède au paiement des sommes par lui admises. La requérante ne justifie, ni même n'allègue que cette formalité a été accomplie.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la CCW, les conclusions de la société Koch et associés tendant au règlement des acomptes mensuels en cause, ainsi que ses conclusions relatives aux intérêts moratoires, à leur capitalisation et à l'indemnité forfaitaire de recouvrement, qui en constituent les accessoires, ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions reconventionnelles de la CCW :

6. En premier lieu, si la CCW sollicite la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des frais d'évacuation des déchets laissés sur le chantier, elle n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, que la société Cristini aurait laissé sur le chantier des gravats ou des déchets à l'issue de son intervention.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9.1 du cahier des clauses administratives particulières : " Par dérogation à l'article 20.1.1 du CCAG Travaux, les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. / Par dérogation à l'article 20.1 du CCAG-Travaux, en cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, celui-ci encourt une pénalité journalière de 1/1000 du montant hors taxes de l'ensemble du marché. / () La pénalité applicable à l'entrepreneur pour chaque réunion de chantier où son absence a été constatée en début de réunion est fixée à 100 euros / absence. / Si le titulaire du marché n'exécute pas dans les délais prescrits les travaux de reprises ou de parachèvement notifiés dans le compte-rendu de chantier, il est passible d'une pénalité journalière de 150 euros. () ".

8. D'une part, la CCW sollicite la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 400 euros au titre des pénalités pour absence à des réunions de chantiers. Toutefois, elle n'établit pas que la société Cristini aurait été absente aux réunions dont les dates figurent au décompte des pénalités qu'elle produit. Au contraire, alors que, notamment, la réunion de chantier du 4 novembre 2019 est mentionnée dans ce décompte, il résulte de l'instruction qu'un représentant de cette société y était présent.

9. D'autre part, en réclamant la somme de 44 574,83 euros au titre des pénalités de retard, sans préciser s'il s'agit de retard dans l'exécution des travaux ou de retard dans la reprise des malfaçons imputées à la société Cristini, la CCW n'assortit pas ses conclusions de précisions suffisantes pour permettre au tribunal d'en apprécier le bien-fondé.

10. Il résulte de tout ce précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Koch et associés, que les conclusions reconventionnelles présentées par la CCW ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la communauté de communes du Warndt, qui n'a pas principalement la qualité de partie perdante, verse à la société Koch et associés, mandataire liquidateur de la société Cristini, la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Koch et associés la somme que la communauté de communes du Warndt sollicite sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la société Koch et associés est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes du Warndt sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Koch et associés, mandataire liquidateur de la société Cristini, et à la communauté de communes du Warndt.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rees, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

La rapporteure,

D. MERRI

Le président,

P. REES

La greffière,

V. IMMELÉ

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,