Tribunal Administratif de Mayotte, 08 septembre 2022, n°2203985

REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 août 2022, la société AMB SARL demande au juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Mayotte de différer la signature du marché public  d'acquisition d'équipements numériques à destination des établissements adhérents du groupement d'intérêt public formation continue et insertion professionnelle (GIP FCIP) du rectorat de Mayotte, jusqu'au terme de la procédure de passation ;

2°) d'annuler la décision du 9 août 2022 par laquelle le recteur de l'académie de Mayotte a rejeté son offre.

Elle soutient que :

- la note de 0,8/20 qui lui a été attribuée au titre du critère n°3 " délai de remise en service (ou remplacement) " n'est pas justifiée, ce qui révèle une dénaturation du contenu de son offre par le pouvoir adjudicateur ;

- les dispositions de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique  ont été méconnues dès lors qu'aucune explication ne lui a été donnée sur cette notation, malgré une demande en ce sens adressée à la plate-forme des achats de l'Etat (PLACE).

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2022, le recteur de l'académie de Mayotte conclut au rejet de la requête de la société AMB SARL.

Il fait valoir que :

- la société requérante, qui n'a pas développé d'argumentation lot par lot, n'est pas susceptible d'avoir été lésée par l'attribution de la note qu'elle conteste dès lors que le lot n°5 a en tout état de cause été déclaré sans suite pour motif d'intérêt général, pour les lots n°2 à n°4, elle n'a pas été classée au deuxième rang, de sorte qu'une revalorisation de la note contestée n'est pas automatiquement susceptible de la désigner attributaire  du marché ;

- l'attribution de la note contestée était justifiée à la lecture du mémoire technique mais a été revalorisée, en tenant compte des explications de la candidate évincée suite à la saisine de la plate-forme PLACE, lui substituant la note de 4/20, ce qui n'a pas eu pour effet de placer la société requérante en position d'attributaire du marché ;

- cette note revalorisée correspond au délai de remise en service évalué à quarante-huit heures, suite aux explications de la société requérante, et a été attribuée selon la méthode de notation énoncée dans le règlement de consultation, à son point 6.2, objectivée par un calcul de nature à valoriser l'offre la mieux-disante.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Khater, vice-présidente, en qualité de juge des référés.

Vu :

- le code de la commande publique  ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 8 septembre 2022 à 10 heures (heure de Mayotte), le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de la Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme C étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 8 septembre 2022 :

- le rapport de Mme A ;

- les observations de Mme B pour le recteur de l'académie de Mayotte qui confirme les écritures en défense ;

- et les observations de M. D pour la société LRG Systems.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Le rectorat de Mayotte a engagé une consultation pour la passation d'un accord-cadre  d'acquisition d'équipements numériques à destination des établissements adhérents du GIP FCIP du rectorat de Mayotte. Par un courrier du 9 août 2022, la société AMB SARL a été informée du rejet de son offre pour chacun des cinq lots de ce marché. Elle demande au juge du référé précontractuel, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au recteur de l'académie de Mayotte de différer la signature de l'accord-cadre jusqu'au terme de la procédure de passation et d'annuler la décision de rejet de son offre du 9 août 2022.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. / II.- Toutefois, le I n'est pas applicable aux contrats passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité (). / Pour ces contrats, il est fait application des articles L. 551-6 et L. 551-7 ". Aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ". 

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique  : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret  en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire  concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 dudit code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire  ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

5. L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre posée par ces dispositions a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

6. Il résulte de l'instruction que, par courriel du 10 août 2022, la société requérante a sollicité, par l'intermédiaire de la plate-forme PLACE, la communication des motifs du rejet de son offre puis, par courriel du 12 août suivant, celle des délais proposés par les candidats retenus des lots n°1 à n°4, pouvant être regardée comme une demande de communication des caractéristiques et des avantages de l'offre retenue au sens des dispositions précitées du 2° de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique. Par courriel du 16 août 2022, après avoir produit les tableaux détaillant les notes obtenues par la société requérante et la société attributaire, lot par lot et critère par critère, le pouvoir adjudicateur a communiqué à la société AMB SARL les motifs de revalorisation de la note obtenue initialement sur le critère n°3 " délai de remise en service (ou remplacement) ", qui a été portée de 0,8/20 à 4/20. Il suit de là qu'à la date à laquelle le juge des référés statue, le pouvoir adjudicateur doit être regardé comme ayant respecté son obligation d'information nonobstant la circonstance que n'ont pas été communiqués les délais de remise en service proposés dans les offres retenues pour les lots n°1 à n°4, du fait de leur caractère secret au sens de l'article L. 151-1 du code du commerce. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 2181-1 et R. 2181-3 du code de la commande publique  doit être écarté.

7. En second lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

8. La société requérante soutient que l'appréciation de son offre par le pouvoir adjudicateur est entachée de dénaturation dès lors que la note obtenue, même revalorisée à 4/20, au titre du critère n°3 " délai de remise en service (ou remplacement)" résulte d'une incompréhension de son offre qui garantissait pourtant un délai d'intervention de quatre heures maximum et la disposition d'un " stock tampon " de matériel neuf prêt à être utilisé, et la possibilité d'un prêt ou échange standard en quarante-huit heures. Toutefois, il résulte de l'instruction que pour attribuer la note de 4/20, le pouvoir adjudicateur a strictement appliqué la méthode de notation prévue au point 6.2 du règlement de consultation, sur la base du mémoire technique de la requérante, dont les termes ont été explicités au cours des échanges sur la plate-forme PLACE, sans que la société requérante n'apporte d'éléments susceptibles de révéler la dénaturation du contenu de son offre qu'elle allègue. Il suit de là que le moyen tiré de la dénaturation du contenu de son offre doit aussi être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société AMB SARL n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 9 août 2022 par laquelle le recteur de l'académie de Mayotte a rejeté son offre ni, par voie de conséquence, à ce qu'il soit enjoint au recteur de l'académie de Mayotte de différer la signature du marché public  d'acquisition d'équipements numériques à destination des établissements adhérents du GIP FCIP du rectorat de Mayotte, jusqu'au terme de la procédure de passation. La requête de la société AMB SARL doit donc être rejetée.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société AMB SARL est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société AMB SARL, à la société LRG Systems et au recteur de l'académie de Mayotte 

Fait à Mamoudzou le 8 septembre 2022.

La juge des référés,

A. A

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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