Tribunal Administratif de Grenoble, 27/07/2022, n°2204414

Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée 15 juillet 2022 et un mémoire enregistré le 26 juillet 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Autocars pays de Savoie, représentée par Me Trotsky, demande au tribunal :
1°) sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

  • de suspendre ou annuler, à compter de la phase d'analyse de la régularité des offres, les actes de la procédure engagée par le syndicat mixte des quatre communautés de communes pour l'attribution des lots n°3, 4, 6 et 8 d'un marché alloti d'exploitation des services de transport scolaires organisés par cet établissement public ;
  • d'enjoindre au syndicat mixte des quatre communautés de communes de reprendre régulièrement la procédure au stade de l'analyse de la régularité des offres ;
    2°) de mettre à la charge du syndicat mixte des quatre communautés de communes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    La société Autocars pays de Savoie soutient qu'en considérant que l'âge des véhicules qu'elle entendait utiliser pour l'exécution des marchés en cause était supérieur à l'âge maximal fixé par le cahier des clauses techniques particulières sans tenir compte de la décompte de 4 ans prévue par ce même document pour les véhicules rétrofités et, par suite, en rejetant son offre comme irrégulière, le syndicat mixte des quatre communautés de communes a méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient.
    Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2022, le syndicat mixte des quatre communautés de communes conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Il fait valoir que l'offre présentée par la requérante était irrégulière car non conforme aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières concernant l'âge maximal des véhicules utilisés.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de l'environnement ;
  • le code de la route ;
  • le code des transports ;
  • le code de justice administrative.
    Le président du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 27 juillet 2022 :
  • le rapport de Mme Permingeat, juge des référés ;
  • les observations de Me Garrigues pour la société requérante et de Me Callot pour le syndicat mixte.
    L'instruction a été close à l'issue de l'audience, à 14 h 15.

Considérant ce qui suit :

  1. Le syndicat mixte des quatre communautés de communes a engagé, au cours du printemps 2022, un appel d'offres ouvert en vue de la conclusion d'un marché alloti, référencé 2022-01-SM4CC, portant sur l'exploitation des services de transport scolaires qu'il organise. La société Autocars pays de Savoie s'est notamment portée candidate à l'attribution des lots n°3, 4, 6 et 8 mais ses offres ont été écartées comme irrégulières au motif que l'âge des véhicules qu'elle entendait d'utiliser pour l'exécution de ces contrats excédait l'âge maximal fixé par le cahier des clauses techniques particulières. Dans la présente instance, l'intéressée, qui conteste cette analyse, demande la suspension ou l'annulation des actes de cette procédure à compter de la phase d'examen de la régularité des offres.
  2. D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet () la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ".
  3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières () ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation () ".
  4. En l'espèce, aux termes de l'article 24 du cahier des clauses techniques particulière (CCTP) qui, par application de l'article 7 du règlement de consultation des entreprises, constitue l'une des pièces du dossier de consultation des entreprises : " Le titulaire définit librement, dans le cadre de son offre, les véhicules qu'il affecte aux(x) lot(s) qu'il exploite, dès lors que ceux-ci respectent strictement toutes les clauses des documents contractuels () ". Aux termes de l'article 25-4 du même document, l'âge maximal du parc d'un lot donné de véhicules à tout moment du marché ne peut pas excéder 7 ans. Aux termes de l'article 25-1 du même document : " () / L'âge d'un véhicule donné est calculé à compter de la date de sa première immatriculation inscrite sur son certificat d'immatriculation. / Cependant, un véhicule qui aura fait l'objet d'un rétrofit dont l'objectif est de remplacer son moteur diesel par un moteur basse émission verra son âge contractuel diminué de quatre années, et ce pour les véhicules de quatre ans au minimum () ".
  5. Les prestations de transport scolaire objet des marchés en litige ne remplissent pas les critères d'un service de transport public routier urbain, fixés par les articles L. 1231-2 et D. 3111-12 du code des transports. Elles doivent donc être qualifiées de prestations de transport public routier non urbain au sens de ces dispositions.
  6. Aux termes de l'article D. 224-15-6 du code de l'environnement : " () pour l'exécution d'un transport public routier non urbain, sont considérés comme des véhicules à faibles émissions les véhicules des groupes () 2 () ". Le 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement - applicable aux véhicules de type M3, catégorie définie à l'article R. 311-1 du code de la route et correspondant aux véhicules utilisés par la requérante - définit les véhicules appartenant au groupe 2 comme les " véhicules utilisant exclusivement () un carburant paraffinique. () ".
  7. En l'absence de définition, par l'article 25-1 du CCTP des marchés en litige, de la notion de " moteur basse émission ", il y a lieu de se référer à celle arrêtée par les dispositions citées aux points 5 et 6 pour les transports publics routiers non urbains. Or la qualification juridique de " moteur basse émission " ainsi posée ne se limite pas aux moteurs électriques ou hydrogènes. Peuvent être en effet regardés comme tels, les véhicules équipés d'une motorisation de type diesel dès lors qu'ils ont subi une modification, autrement désignée sous l'anglicisme de " retrofit ", permettant l'usage de carburants paraffiniques. Il en résulte que ce type de véhicule peut bénéficier de la décote de 4 ans prévue par l'article 25-1 du CCTP des marchés en litige.
  8. Il résulte de l'instruction que, quoique équipés de moteurs diesels, les véhicules de la SAS Autocars pays de Savoie ont subi des modifications techniques permettant l'usage exclusif de carburants praffiniques. Une décote de 4 ans devait, par suite, être appliquée pour l'évaluation de l'âge de son parc de véhicules, ramenant ce dernier en-deçà de l'âge maximal de 7 ans défini par l'article 25-4 du CCTP. Par suite, la SAS Autocars pays de Savoie est fondée à soutenir qu'en écartant ses offres comme irrégulères au motif qu'elles ne respectaient pas ces stipulations du CCTP, le syndicat mixte des quatre communautés de commune a entaché la procédure de passation des lots n°3, 4, 6 et 8 du marché n°2022-01-SM4CC d'une irrégularité.
  9. Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations () / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat () ".
  10. Compte tenu de l'atteinte que l'irrégularité commise par le syndicat mixte des quatre communautés de commune porte, eu égard à sa nature, aux principes de libre accès et d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique codifiés à l'article L. 3 du code de la commande publique et de son caractère non régularisable, cette irrégularité impose l'annulation des actes de la procédure de passation des lots précités, mais seulement à compter de la phase d'analyse de la régularité des offres.
  11. Il appartient en revanche au syndicat mixte des quatre communautés de communes de décider s'il entend ou non conclure les contrats en litige et, si tel est le cas, il lui est loisible de décider de reprendre intégralement leur procédure de passation ou de ne la reprendre qu'au stade de l'examen de la régularité des offres. Par suite les conclusions de la SAS Autocars Pays de Savoie tendant à ce qu'il lui soit enjoint de reprendre cette procédure à ce stade ne peuvent être accueillies.
  12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat mixte des quatre communautés de communes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions qu'il présente sur ce même fondement doivent, en revanche et eu égard à sa qualité de partie perdante dans l'instance, être rejetées.

O R D O N N E :
Article 1er : Les actes de la procédure d'appel d'offre ouvert engagé par le syndicat mixte des quatre communautés de communes en vue de la passation des lots n°3, 4, 6 et 8 du marché alloti n°2022-01-SM4CC sont annulés à compter de l'examen de la régularité des offres.
Article 2 : Le syndicat mixte des quatre communautés de communes versera à la société Autocars pays de Savoie la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Autocars pays de Savoie et au syndicat mixte des quatre communautés de communes.
Fait à Grenoble, le 27 juillet 2022.
Le juge des référés
F. A
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2204414

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