Cour Administrative d'Appel de Nantes, 16/09/2022, n°21NT03451

REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Konstruktif a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de constater l'illégalité de la décision de résiliation du marché public  de maîtrise d'œuvre conclu pour la rénovation et l'extension de la salle omnisport de la commune de Gouesnou qui lui avait été attribué, d'autre part, de condamner solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, la société Environnement Archi Urbanisme et la commune de Gouesnou à lui verser une somme de 10 709,77 euros hors taxe au titre des prestations accomplies et une somme de 19 472,60 euros hors taxe au titre des honoraires dus jusqu'à la fin du chantier, enfin, de décider que les sommes auxquelles la société Environnement Archi Urbanisme et la commune de Gouesnou seront condamnées seront indexées sur l'indice du coût de la construction ainsi que sur le montant total du marché dont la commune devra justifier. 

Par un jugement n° 1903513 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant au paiement des prestations réalisées par la société Konstruktif dans le cadre de l'exécution du marché de rénovation et d'extension de la salle omnisports de Kerloïs (article 1er), a rejeté le surplus des conclusions présentées par la société Konstruktif (article 2) ainsi que celles présentées par la commune de Gouesnou et la société Environnement Archi Urbanisme tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). 

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2021, la société Konstruktif, représentée par Me Ploux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du 28 octobre 2021 ;

2°) de condamner solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, la société Environnement Archi Urbanisme et la commune de Gouesnou à lui verser une somme de 19 472,60 euros hors taxe au titre des honoraires dus jusqu'à la fin du chantier ; 

3°) de décider que les sommes auxquelles la société Environnement Archi Urbanisme et la commune de Gouesnou seront condamnées seront indexées sur l'indice du coût de la construction ainsi que sur le montant total du marché dont la commune devra justifier ; 

4°) de mettre à la charge solidairement, ou l'un à défaut de l'autre, de la société Environnement Archi Urbanisme et de la commune de Gouesnou une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été attributaire  de différents lots correspondant aux phases d'études et de travaux du marché de maîtrise d'œuvre concernant la réfection et l'extension d'une salle omnisport située sur le territoire de la commune de Gouesnou ;

- elle n'a pu effectuer la totalité de sa mission car l'architecte y a mis fin par courrier du 19 juillet 2018 sans que la commune de Gouesnou n'ait formulé de reproches à son égard ;

- son recours est recevable ; 

- la procédure de résiliation de son marché méconnaît les articles 29 à 36 du cahier des clauses administratives générales  en l'absence de mise en demeure

- la société Environnement Archi Urbanisme, en sa qualité de mandataire, a résilié de manière abusive le marché qui lui a été attribué ; elle n'était pas compétente pour effectuer cette résiliation ; 

- elle demande le paiement des honoraires perdus à savoir la somme de 2 379,95 euros hors taxe pour la phase Visa 1 et 2 et 1 000 euros hors taxe pour la phase AOR 1 et 2 ; 

- compte-tenu de l'augmentation du montant global du marché, elle aurait dû percevoir la somme de 23 870 euros d'honoraires ; la somme lui restant due s'élève à 19 472,60 euros hors taxe. 

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 février 2022 et le 4 mai 2022, la société Environnement Archi Urbanisme, représentée par Me Larvor, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Konstruktif une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- seule la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige l'opposant à la société Konstruktif ; 

- elle n'est tenue au paiement d'aucun honoraire ; 

- elle n'a pas résilié le contrat de la société Konstruktif mais a déduit les prestations non réalisées par l'entreprise de son décompte, comme le prévoit un avenant du 16 janvier 2019 ; 

- l'augmentation du montant du marché est due à une troisième phase de travaux, initialement non prévue, pour des lots sur lesquels la société Konstruktif n'a effectué aucune mission.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2022, la commune de Gouesnou, représenté par Me Gourvennec et Me Durieux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Konstruktif une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que : 

- la requête de la société Konstruktif est irrecevable dès lors que l'article 12 du cahier des clauses administratives générales  prévoit que toute réclamation portant sur l'exécution du marché doit être portée par le mandataire du groupement, qui est, en l'occurrence, la société Environnement Archi Urbanisme ; la société Konstruktif n'allègue pas avoir mis fin au mandat qu'elle avait accordé à cette société dans le cadre de ce groupement ou que cette dernière aurait refusé de transmettre sa réclamation à la commune ; 

- elle n'a pas résilié le contrat portant sur la part des prestations confiées à la société Konstruktif en sa qualité de maître d'ouvrage ;

- en tout état de cause, la réclamation de la société Konstruktif est tardive au regard de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales  ; la somme demandée n'est pas justifiée. 

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics  ; 

-l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ; 

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A, 

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Jaud, représentant la commune de Gouesnou.

Considérant ce qui suit :

1. En 2017, la commune de Gouesnou (Finistère) a décidé de procéder à la rénovation et à l'extension d'une salle omnisport et a confié la maîtrise d'œuvre à un groupement d'entreprises solidaires composé notamment de la société O'Architecture Environnement Urbanisme, désignée en qualité de mandataire du groupement, et de la société Konstruktif. En cours d'exécution du marché, ce mandataire a, par courrier du 19 juillet 2018, informé la société Konstruktif que sa mission était terminée. Le 13 mai 2019, la société Konstruktif a mis en demeure la commune de Gouesnou de procéder notamment au paiement d'une somme de 3 379,95 euros hors taxe (HT) au titre des honoraires restant dus jusqu'à la fin du chantier. Par courrier du 21 mai 2019, le maire  de la commune a rejeté cette demande au motif qu'elle aurait dû être formulée préalablement auprès du mandataire du groupement  conformément aux stipulations de l'article 12 du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG PI). La société Konstruktif relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 octobre 2021 en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande tendant à la condamnation, solidairement ou l'un à défaut de l'autre, de la société Environnement Archi Urbanisme, succédant à la société O'Architecture Environnement Urbanisme, et de la commune de Gouesnou à lui verser une somme de 19 472,60 euros HT au titre des honoraires dus jusqu'à la fin du chantier.

Sur la régularité du jugement attaqué : 

2. Si la société requérante entend rechercher la responsabilité de la société Environnement Archi Urbanisme pour les manquements dont celle-ci se serait, selon elle, rendue coupable à son égard, ces conclusions sont relatives à l'accomplissement des missions qui lui étaient assignées par la convention de groupement, laquelle n'était pas annexée au marché public  en cause, et plus particulièrement à la répartition des missions et des honoraires des parties au groupement. Un tel litige, relatif à l'exécution des obligations contractuelles auxquelles sont tenues, les unes à l'égard des autres, les sociétés membres d'un groupement d'entreprises cotraitantes d'un marché public, relève des rapports de droit privé entre les parties à la convention de groupement et ainsi ne ressortit pas à la compétence du juge administratif, alors même qu'il est consécutif à l'exécution de travaux publics.

3. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Rennes, après avoir régulièrement relevé ce moyen d'office, aurait entaché son jugement d'irrégularité en rejetant les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la société Konstruktif dirigées contre la société Environnement Archi Urbanisme comme portées devant une juridiction incompétente  pour en connaitre. 

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. D'une part, la représentation mutuelle de membres de groupement solidaire  pour l'exécution du marché dont ils sont titulaires cesse lorsque, présents dans l'instance, ils formulent des conclusions divergentes. D'autre part, un membre d'un groupement solidaire, qu'il en soit ou non le mandataire, est recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des seules prestations qu'il a personnellement effectuées, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres de ce groupement. Lorsque le maître d'ouvrage acquitte les sommes correspondant à ces prestations ou est condamné par le juge du contrat à les verser, il est libéré de sa dette à concurrence du montant des sommes correspondantes à l'égard de l'ensemble des membres du groupement. Dans ces conditions, la société Konstruktif est recevable à demander le paiement des seules prestations qu'elle prétend avoir elle-même effectuées, sans que la commune de Gouesnou ne puisse utilement lui opposer l'article 12.1 du CCAG PI, imposant aux entreprises cotraitantes de présenter toute demande de paiement ou réclamation par l'intermédiaire du mandataire du groupement.

5. Toutefois, si la société Konstruktif soutient pour justifier sa demande d'indemnisation que la commune de Gouesnou aurait résilié unilatéralement le marché pour la part des prestations qui lui avaient été confiées, en méconnaissance des articles 29 à 36 du CCAG PI, elle n'établit aucunement l'existence d'une telle décision de résiliation. Il résulte en revanche de l'instruction que, dans le dernier état des stipulations applicables du marché, la société Konstruktif n'était pas contractuellement chargée des missions de maîtrise d'œuvre correspondant aux phases " Visa 1 et 2 " (avis sur les études d'exécution et sur les plans d'exécution) et " AOR 1 et 2 " (assistance aux opérations de réception) dont elle sollicite l'indemnisation, et ne peut dès lors être fondée à en réclamer le paiement. D'une part, en vertu d'un avenant n° 2 au contrat de maîtrise d'œuvre, signé le 18 janvier 2019 par l'architecte représentant la société mandataire et le 30 janvier 2019 par le maire  de Gouesnou, aucune rémunération pour la phase " AOR " n'était prévue pour la société Konstruktif, qui n'avait donc aucune mission à réaliser dans cette phase. D'autre part, en ce qui concerne la phase " VISA " n'était prévue dans le nouveau tableau de répartition des honoraires adopté par l'avenant n° 2 qu'une rémunération de 620,05 euros HT, se substituant au montant de 3 000 euros prévu dans le tableau de répartition des honoraires annexé au contrat initial dès lors qu'il n'est pas contesté que cet avenant a été régulièrement conclu entre le mandataire représentant les membres du groupement et la collectivité publique maître d'ouvrage. Notamment, le groupement solidaire  n'étant pas alors dissous, le représentant de la société Environnement Architecture Urbanisme disposait toujours d'un mandat pour conclure valablement un avenant modifiant la répartition des missions et rémunérations du marché de maîtrise d'œuvre. Or, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs même pas allégué, que cette somme de 620,05 euros n'était pas incluse dans le montant des honoraires payés en cours d'instance par la commune de Gouesnou à la société Konstruktif par le mandat de paiement d'un montant total de 13 447,04 euros TTC émis le 7 janvier 2021.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Konstruktif n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige : 

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Gouesnou et de la société Environnement Archi Urbanisme, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Konstruktif la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Gouesnou et la somme de 1 500 euros à verser à la société Environnement Archi Urbanisme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Konstruktif est rejetée.

Article 2 : La société Konstruktif versera à la commune de Gouesnou une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société Konstruktif versera à la société Environnement Archi Urbanisme une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Konstruktif, à la société Environnement Archi Urbanisme et à la commune de Gouesnou.

Délibéré après l'audience du 30 août 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme, Brisson, présidente assesseure,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2022. 

La rapporteure,

L. A

Le président,

L. LAINÉ 

La greffière,

S. LEVANT 

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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