Tribunal administratif de La Réunion, 04/08/2022, n°2200880

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juillet 2022 et le 2 août 2022, la société d'électricité et de câblage (SECAB), représentée par Me Dehu, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la décision du 5 juillet 2022 écartant sa candidature ;
2°) d'annuler la procédure de passation du lot n° 3 du marché de travaux de rénovation thermique concernant le lycée François de Mahy lancée par la SPL Maraina pour le compte de la Région de La Réunion ;
3°) d'enjoindre à la SPL Maraina de lui communiquer les pièces relatives à la candidature de la société Sauger et le rapport d'analyse des offres ;
4°) de mettre à la charge de la SPL Maraina la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :

  • elle justifie d'un intérêt à agir en qualité de candidate à l'attribution du marché ayant déposé une offre recevable ; les manquements allégués l'ont effectivement lésé ;
  • le pouvoir adjudicateur a méconnu les principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; les trois demandes de prorogation des validités des offres de 18 mois ont conduit, dans un contexte de crise sanitaire et d'inflation à conférer un avantage à la société attributaire qui avait présenté initialement une offre avec le plus de marge et un prix plus élevé ; seule la société attributaire qui avait présenté une offre avec une marge élevée pouvait maintenir son offre et répondre favorablement aux demandes du pouvoir adjudicateur de prorogation de la validité des offres ; le pouvoir adjudicateur ne pouvait poursuivre la procédure de passation en l'absence d'accord de tous les candidats pour prolonger la validité de leurs offres.
    Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2022, la région Réunion, représentée par Me Dugoujon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SECAB au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle fait valoir que :
  • la société requérante ne justifie pas que les manquements qu'elle invoque sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser ;
  • les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
  • il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels d'ordonner la communication des pièces relatives à la candidature de la société attributaire du marché.
    Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2022, la SARL André Sauger, attributaire du marché, représentée par Me Rapady, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SECAB au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle fait valoir que :
  • les conclusions tendant à la communication des pièces relatives à sa candidature et le rapport d'analyse des offres sont irrecevables ;
  • la requérante qui a décidé de ne pas maintenir son offre ne justifie pas d'un intérêt lésé.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative.
    Le président du tribunal a désigné M. Riou, premier conseiller, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, pour statuer sur les référés précontractuels.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique du 2 août 2022 :
  • le rapport de M. Riou, juge des référés,
  • les observations de Me Ramsamy, substituant Me Dehu, avocate de la société d'électricité et de câblage (SECAB),
  • et les observations de Me Karjania, avocat de la région Réunion.
    A l'issue de l'audience, la clôture de l'instruction a été prononcée.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 février 2021, la SPL Maraina a lancé pour le compte de la région Réunion une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché de travaux de rénovation thermique concernant le lycée François de Mahy. Le règlement de consultation du marché fixait un délai de validité des offres de 240 jours, à compter du 12 mars 2021 date limite de remise des offres, soit jusqu'au 5 novembre 2021. Toutefois, par courriers du 29 octobre 2021, du 15 février 2022 et du 12 mai 2022 la SPL Maraina a demandé à trois reprises aux candidats la prorogation du délai de la validité de leurs offres, portant ce délai de près de 8 mois à 18,5 mois. La SECAB, candidate au marché qui avait accepté les deux premières demandes de la SPL Maraina de prorogation du délai de validité de son offre jusqu'au 18 mai 2022 a refusé le même jour, la dernière demande de prorogation supplémentaire jusqu'au 30 septembre 2022. Estimant que ce refus valait désistement de son offre, la SPL Maraina n'a pas classé l'offre de la SECAB et a attribué dès le 2 juin 2022 le marché à la SARL Sauger. La SECAB demande, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure de passation du marché.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "  Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (). Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L.551-2 du même code précise : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

Sur les conclusions tendant à la communication de divers documents :

4. Si la SECAB demande que soit ordonné à la SPL Maraina de communiquer le rapport d'analyse des offres et les pièces relatives à la candidature de la société Sauger, il n'entre pas dans l'office du juge des référés précontractuels, tel que défini par l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'ordonner la communication de tels documents. Par suite, ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux :

5. La SECAB soutient que le pouvoir adjudicateur a demandé aux candidats le 12 mai 2022 une prorogation excessive du délai de validité de leurs offres et que la poursuite de la procédure de passation est irrégulière en l'absence d'accord de tous les candidats pour prolonger la validité de leurs offres.

6. D'une part, il résulte de l'instruction que la SECAB a déposé une offre dans le délai de remise des offres qui n'a pas été écartée comme irrégulière et dont le montant était inférieur au montant de l'offre de la société attributaire, alors que le critère prix était pondéré à hauteur de 60%. Par suite, la SECAB, dont l'offre n'a finalement pas été évaluée et classée, est susceptible d'avoir été lésée par les manquements qu'elle allègue relatifs aux conditions de prorogation de validité des offres.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que le règlement de consultation du marché fixait un délai de validité des offres de 240 jours, à compter de la date limite de remise des offres, soit jusqu'au 5 novembre 2021. Le marché litigieux a été attribué à la SARL Sauger le 2 juin 2022, postérieurement au délai prévu de validité des offres. Si le délai de validité des offres fixé dans le règlement de consultation pouvait éventuellement être prorogé, c'est à la condition que l'ensemble des candidats ait donné son accord sur cette prorogation, afin de ne pas porter atteinte au principe de l'égalité de traitement. En l'espèce, si le pouvoir adjudicateur a obtenu l'accord des candidats à deux reprises pour prolonger la validité de leurs offres jusqu'au 18 mai 2022, la société requérante a refusé le même jour une nouvelle prorogation du délai de validité de son offre. Contrairement à ce que soutient la région de La Réunion, cette décision ne valait pas désistement de l'offre. A cet égard elle ne saurait utilement faire valoir la circonstance que la première demande du 29 octobre 2021 de prorogation du délai de validité des offres mentionnait l'éventualité d'une poursuite de la procédure avec les seuls soumissionnaires ayant accepté cette demande. Dans ces conditions, la SECAB est fondée à soutenir que l'attribution du marché litigieux à la SARL Sauger est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et en méconnaissance du principe de l'égalité de traitement des candidats.

8. Il résulte de ce qui précède que, eu égard à la nature et à la portée du manquement précité, il y a lieu d'annuler la procédure de passation du lot n° 3 en litige dès le stade du lancement de la consultation.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SECAB qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la région Réunion et la SARL André Sauger demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la région Réunion une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SECAB et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation du lot n° 3 du marché de travaux de rénovation thermique concernant le lycée François de Mahy lancée par la SPL Maraina pour le compte de la région Réunion est annulée dès le stade du lancement de la consultation.
Article 2 : La région Réunion versera à la SECAB la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune de la région Réunion et de la SARL André Sauger tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société s'électricité et de câblage (SECAB), à la région Réunion et à la SARL André Sauger.
Fait à Saint-Denis le 4 août 2022.
Le juge des référés,
S. RIOU
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
P/La greffière en chef,
La greffière,
S. BALOUKJY

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