TA Rennes, 26/10/2022, n°2205090
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 octobre et le 25 octobre 2022, la société Baume représentée par la Selarl Chevallier et associés, demande au juge des référés :
1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
- d'annuler la procédure de passation du marché ayant pour objet la réalisation de la couverture de l'aire des mâchefers et la restructuration du mur de fosse de l'unité de valorisation énergétique des déchets (UVED) de la commune de Briec-de-l'Odet, organisée par le syndicat intercommunal pour l'incinération des déchets du pays de Quimper (SIDEPAQ) au stade de l'analyse des offres ;
- d'ordonner au SIDEPAQ de réintégrer son offre dans l'analyse des offres ;
- d'annuler toute décision consécutive aux irrégularités qui entachent la procédure de publicité et de mise en concurrence, et notamment la décision d'attribution du contrat à la société AEB et de rejet de son offre ;
2°) de mettre à la charge du SIDEPAQ le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable : elle a intérêt à agir en tant que candidate évincée et le marché en litige n'a pas encore été signé ;
- son offre était régulière : l'obligation de visite du site n'a pas d'autre objet que celui de permettre au pouvoir adjudicateur de s'assurer que l'ensemble des candidats connaisse le lieu d'exécution du marché et les contraintes qui en découlent et l'offre d'une société qui n'a pas effectué la visite du site obligatoire et ne produit pas de récépissé de visite n'est pas nécessairement irrégulière ; en l'espèce, son directeur s'est rendu sur le site la veille du jour prévu pour la visite obligatoire et a réalisé un reportage photographique des ouvrages en place et du fait de sa connaissance suffisante du site, elle a pu émettre un chiffrage correspondant aux besoins du SIDEPAQ dans les mêmes conditions que les autres candidats ; le SIDEPAQ ne justifie pas de l'utilité de la visite obligatoire dès lors que le plan général de coordination, faisant partie des documents du dossier de consultation, prévoit qu'il ne devra y avoir aucun croisement avec le chantier et les circulations d'engins et la prise en compte du fonctionnement de l'usine intéresse le lot " gros-œuvre " et non le lot " charpente " ; elle a tenu compte des contraintes liées à l'environnement du site dans son offre ;
- si son offre n'avait pas été écartée, elle aurait eu des chances sérieuses de se voir attribuer le marché en cause dès lors qu'elle est moins-disante que celle de l'attributaire.
Par un mémoire, enregistré le 14 octobre 2022, la société AEB déclare avoir effectué la visite obligatoire demandée au règlement de la consultation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, le syndicat intercommunal pour l'incinération des déchets du pays de Quimper (SIDEPAQ), représenté par la SARL Martin Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Baume le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'il n'a pas méconnu ses obligations de mise en concurrence en rejetant l'offre de la société Baume comme irrégulière : le principe est que le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions et la société requérante n'allègue pas que l'exigence de visite des lieux instituée par le règlement de la consultation serait manifestement dépourvue d'utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou que sa méconnaissance résulterait d'une erreur purement matérielle ; l'utilité de la visite est évidente dès lors que le marché porte sur la réalisation de travaux au sein d'une usine d'incinération de déchets en fonctionnement et la visite organisée en présence du maître d'œuvre du projet visait à permettre aux candidats de se faire une idée très précise du fonctionnement de l'usine d'incinération et des contraintes pratiques qui en découleraient lors de la réalisation des travaux ; en outre et en tout état de cause, il ressort du registre d'entrée de l'usine d'incinération qu'aucun membre de la société Baume ne s'est présenté à l'entrée du site le 17 mai 2022 ; à supposer même que la société Baume aurait une connaissance physique des lieux, rien ne permet d'établir qu'elle aurait été renseignée sur les contraintes d'exploitation des lieux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du Tribunal a désigné Mme Plumerault, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 octobre 2022 :
- le rapport de Mme A ;
- Me Labous, représentant la société Baume, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu'elle développe, souligne que la société Baume s'est rendue sur le site en réalité le 19 mai 2022 et en avait une aussi bonne connaissance que l'attributaire, que les contraintes inhérentes au fonctionnement de l'usine n'intéressait pas le lot charpente mais le lot gros œuvre, que la société requérante avait tous les éléments en sa possession pour remettre une offre et que le SIDEPAQ n'allègue pas que l'offre qu'elle a remise n'aurait pas correspondu à ses attentes ;
- Me Santos Pires, représentant le SIDEPAQ, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu'elle développe, insiste sur le fait que le règlement de la consultation est obligatoire en toutes ses dispositions, souligne que la visite obligatoire en présence du maître d'œuvre était utile dès lors que les mâchefers doivent être évacués quotidiennement et que les tractopelles qui les amènent aux camions doivent passer sous le chantier, que cette visite avait pour objectif notamment de renseigner le nombre de camions par jour, la durée du travail du tractopelle qui trie et charge les mâchefers et d'alerter le charpentier sur la présence d'eaux de ruissellement sur le chantier, fait valoir que les contraintes inhérentes au fait que le chantier a lieu en site occupé ne concerne pas que le lot gros œuvre dès lors qu'il ressort du planning des travaux que, s'agissant de ce lot, la dalle sera posée en deux phases justement pour permettre la poursuite de l'exploitation dans les meilleures conditions.
La société AEB n'était ni présente ni représentée.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence adressé à la publication le 9 mai 2022, le syndicat intercommunal pour l'incinération des déchets du pays de Quimper (SIDEPAQ) a lancé une consultation en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d'un marché, divisé en deux lots, ayant pour objet la réalisation de la couverture de l'aire des mâchefers et la restructuration du mur de fosse de l'unité de valorisation énergétique des déchets (UVED) de la commune de Briec-de-l'Odet. La société Baume, qui s'est portée candidate à l'attribution du lot n° 2 de ce marché, " Charpente métallique - Couverture - Bardage " a été informée par un courrier du 27 septembre 2022, du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société AEB. Elle demande, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure du marché en cause, la reprise de la procédure au stade de l'analyse des offres après avoir réintégré son offre ainsi que l'annulation de toute décision se rapportant à la passation du contrat.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".
3. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".
4. Le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. Le pouvoir adjudicateur ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.
5. L'article 6.3 du règlement de la consultation du marché en litige prévoyait une visite obligatoire sur site le 18 mai 2022 à 14h00 en précisant que les candidats avaient également la possibilité de réaliser une visite facultative supplémentaire. En l'espèce, il est constant que la société Baume ne s'est pas rendue à la visite obligatoire le 18 mai 2022. Elle se prévaut de ce que son directeur a pu se rendre sur le site le lendemain pour constater l'environnement du chantier, évaluer les travaux ainsi que l'état existant et les accès, qu'il a réalisé un reportage photographique et qu'il en a ainsi acquis une connaissance suffisante pour formaliser une offre correspondant aux attentes du SIDEPAQ.
6. Il résulte de l'instruction que la visite obligatoire prévue le 18 mai 2022 en présence du maître d'œuvre avait pour but d'informer les candidats sur les contraintes inhérentes à la réalisation de travaux au sein de l'usine d'incinération de déchets, pendant que celle-ci est exploitée, s'agissant plus particulièrement du traitement des mâchefers qu'ils impactent directement. Il s'agissait notamment de sensibiliser les candidats sur la nécessité de continuer à pouvoir évacuer quotidiennement les mâchefers, de leur donner toute information utile sur le nombre de rotations journalières des camions et d'alerter en particulier les candidats au lot n° 2 sur la présence d'eaux de ruissellement sur le chantier. Si le plan général de coordination, qui faisait partie des documents de la consultation, comportait un point 4 " sujétions découlant des interférences avec des activités d'exploitation sur le site à l'intérieur ou à proximité duquel est implanté le chantier ", celles-ci se contentaient d'indiquer que le titulaire du lot n°1 devait prendre des dispositions pour qu'il n'existe aucun croisement entre le chantier et les circulations des engins présents sur le site, sans autre précision. Dans ces conditions, la visite obligatoire prévue n'était manifestement pas dépourvue d'utilité pour l'examen des offres. La société Baume, qui au demeurant n'allègue pas avoir disposé de toutes les informations données au cours de cette visite, n'ayant pas effectué cette visite, le SIDEPAQ était tenu, en application de l'article précité du règlement de consultation, d'écarter son offre comme étant irrégulière.
7. Il résulte de ce qui précède qu'aucun manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ne peut être retenu à l'encontre du SIDEPAQ. Il y a lieu, dès lors de rejeter l'ensemble des conclusions de la société Baume présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du SIDEPAQ qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Baume le versement au SIDEPAQ d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Baume est rejetée.
Article 2 : La société Baume versera la somme de 1 500 euros au syndicat intercommunal pour l'incinération des déchets du pays de Quimper sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Baume, au syndicat intercommunal pour l'incinération des déchets du pays de Quimper et à la société AEB.
Fait à Rennes, le 26 octobre 2022.
Le juge des référés,
signé
F. ALa greffière d'audience,
signé
P. Cardenas
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.