TA Mayotte, 07/11/2022, n°2205086

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 13, 27 et 28 octobre 2022, M. A B, représenté par Me Weyer, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation du marché public ayant pour objet la maîtrise d'œuvre de la construction des vestiaires et la couverture des gradins du terrain de football, engagée par la commune de Bandraboua ;

2°) d'enjoindre à cette commune de reprendre la procédure au stade de la phase des offres;

3°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la procédure suivie a été irrégulière en raison du manquement au principe de transparence des procédures et au principe d'égalité de traitement des candidats ;

-le règlement du concours n'était pas inclus au dossier remis initialement aux candidats et n'a été communiqué que tardivement aux candidats ;

-le lauréat a participé à l'élaboration du programme de l'opération, notamment les études préliminaires, ayant ainsi un accès privilégié à l'information ; l'équipe comportant des membres du groupement attributaire avait la mission d'assistance à la maîtrise d'œuvre (AMO) sur cette opération ;

- la commune a détourné la procédure de passation en prévoyant une mission de maîtrise d'œuvre sur la commune de M'Tsangamouji parfaitement étrangère à l'objet du marché ;

- le classement de son offre en deuxième position n'a pas été expliqué, la lettre d'information renvoyant de plus à un article inexistant du règlement de consultation ;

-l'offre du lauréat est beaucoup plus chère que celle du groupement dont il est mandataire.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 octobre 2022, la commune de Bandraboua , représentée par Me Saïdal, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la motivation du rejet de la candidature de l'offre du requérant est, quoique succincte, suffisamment claire ; aucune exigence procédurale n'a été méconnue ;

-le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation est irrecevable, le juge des référés ne pouvant apprécier les mérites respectifs des offres ;

- c'est une erreur matérielle qui a fait figurer la commune de M'Tsangamouji en tant que lieu d'exécution des offres ;

-les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la société Atelier mahorais d'architecture qui n'a pas produit de mémoire en défense

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision en date du 1er septembre 2022, prise en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 28 octobre 2022 à 13 heures 30, le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de Saint Denis de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme D, étant greffier d'audience au tribunal administratif de Mayotte.

Au cours de l'audience publique, M. C a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Ramsamy, substituant Me Weyer, pour le requérant qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat.". L'article L. 551-2 du même code dispose que : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations" ;

2. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

3. Par avis d'appel à la concurrence publié le 30 novembre 2021 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), la commune de Bandraboua a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché public intitulé concours restreint de maîtrise d'œuvre sur esquisse pour la construction de vestiaires et de la couverture de gradins du stade de football municipal avec une tranche ferme, deux tranches optionnelles et des prestations supplémentaires éventuelles pour un projet d'un montant de 4 550 000 euros hors taxes. Par un courrier en date du 15 septembre 2022, notifié le 3 octobre, la commune de Bandraboua a informé M. A B, architecte urbaniste que son offre n'était pas retenue et que l'offre proposée par la société Atelier mahorais d'architecture avait été sélectionnée en revanche pour un montant de projet de 623 715 euros hors taxes. Par la présente requête, M. B demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché public.

Sur les conclusions aux fins d'annulation:

En ce qui concerne la transparence des procédures :

4. Aux termes de l'article R. 2181-2 du code de la commande publique, applicable aux marchés passés selon une procédure adaptée : "Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché.". L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a notamment pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles précités a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

5. M. B soutient que le pouvoir adjudicateur ne lui a pas communiqué les éléments relatifs aux caractéristiques et avantages de l'offre de l'attributaire. Il résulte de l'instruction que, par le courrier du 15 septembre 2022 cité au point 3, la commune de Bandraboua s'est bornée à indiquer au requérant le nom de l'attributaire ainsi que le fait que son offre avait été classée seconde par le jury du concours " conformément à l'article 5.6 du règlement de la consultation ". Par une lettre du 8 octobre 2022, restée sans réponse, M. B a sollicité les motifs détaillés du rejet de son offre. En défense, la commune de Bandraboua, qui n'a pas produit le rapport d'analyse des offres ni aucune autre pièce permettant d'étayer sa position, se contente, après avoir admis que le règlement de la consultation ne comportait pas d'article 5.6, d'affirmer qu'aucune exigence procédurale n'aurait été méconnue. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que l'acheteur public a commis, sur ce point, des manquements à ses obligations de publicité et de transparence des procédures.

En ce qui concerne la régularité des offres :

6. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : "La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. ". Aux termes de l'article 2 du règlement du concours relatif marché de maîtrise d'œuvre consécutif au concours : "() / PRESTATIONS SUPPLEMENTAIRES EVENTUELLES : / () / Les concurrents se rapporteront aux projets de marché joints au présent règlement. Leur attention est attirée sur les aspects suivants : / ¤ A l'issue de la négociation qui aura lieu avec le ou les lauréats du concours, une mission de maîtrise d'œuvre sera confiée au prestataires retenu pour la construction d'un gymnase territorial à M'Tsangamouji. () / ()."

7. M. B soutient que la commune de Bandraouba a méconnu les dispositions de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique en ne précisant pas suffisamment la nature et l'étendue des besoins à satisfaire. Le requérant se prévaut à cet égard de ce que la collectivité a indiqué dans le règlement de la consultation et notamment dans son article 2 qu'à l'issue de la négociation "une mission de maîtrise d'œuvre sera confiée au prestataires retenu pour la construction d'un gymnase territorial à M'Tsangamouji". Toutefois, la circonstance que la commune se soit réservée la possibilité, une fois l'adjudicataire retenu, de modifier l'étendue des prestations effectivement confiées est sans incidence sur la régularité de la procédure de passation du marché. La circonstance qu'une erreur de plume mentionne le gymnase territorial à M'Tsangamouji au lieu de Bandraboua l'est tout autant. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. B a pu déposer utilement une offre, laquelle a été jugée régulière, et donc conforme aux exigences du règlement de la consultation, et a été examinée puis classée par le pouvoir adjudicateur. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de définition des besoins à satisfaire doit être écarté.

En ce qui concerne les critères d'évaluation des offres :

8. Aux termes de l'article 8 du règlement du concours relatif aux critères d'évaluation du projet : "Qualité de la conception du projet / () / Pertinence technique et économique du projet : ¤ Fiabilité, pérennité et pertinence économique des solutions techniques et constructives dans un objectif de facilité de gestion, de coûts d'exploitation/maintenance réduits / ¤ Faisabilité des travaux par des intervenants locaux / ¤ Sincérité de l'estimation globale et de sa décomposition, () / ¤Sincérité du calendrier prévisionnel de l'opération et de son phasage".

9. Il résulte de l'instruction que l'offre du requérant s'élevait à la somme de 531 440 euros hors taxes et que celle de la société attributaire se montait, ainsi qu'il a été dit au point 3, à la somme de 623 715 euros hors taxes. Pour justifier son choix, la commune de Bandraboua, qui n'a pas produit le rapport de sélection des offres, soutient en défense que "ce sont les éléments techniques qui furent prépondérants dans le choix des candidats" et notamment la prise en compte du risque de submersion tel que prévu dans le plan de prévention des risques naturels (PPRN) imposant de positionner le premier niveau de construction à minimum +1m par rapport au terrain actuel. Toutefois, il est constant, d'une part cette référence au PPRN ne figurait pas explicitement dans les dispositions susvisées du règlement du concours et, d'autre part, que les dispositions du PPRN applicable à la zone concernée excluaient explicitement de l'obligation de surélévation "les aménagements de plein air, de sport et de loisirs et les bâtiments associés (vestiaires, sanitaires, etc.)". Ce manquement est de nature, eu égard à sa portée, à avoir lésé la société requérante évincée.

En ce qui concerne l'atteinte au principe d'égalité de traitement :

10. Aux termes de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : "L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. / Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché". Le principe d'impartialité, principe général du droit, s'impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

11. M. B soutient, sans être sérieusement contesté, que l'attributaire du marché, la société Atelier mahorais d'architecture, a participé directement à la conception du projet et a, de ce fait, bénéficié d'informations privilégiées. À cet égard, il résulte de l'instruction que cette société a été directement impliquée dans l'étude de faisabilité réalisée en décembre 2020 préalable au lancement dudit projet. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que la commune a méconnu le principe d'impartialité entre les concurrents.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la procédure de passation des marchés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Aux termes du I de l'article L. 551-2 du code de justice administrative : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations.".

14. Le juge des référés précontractuels s'est vu conférer par les dispositions précitées de l'article L. 551-2 du code de justice administrative le pouvoir d'adresser des injonctions à l'administration, de suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, d'annuler ces décisions et de supprimer des clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat. Dès lors qu'il est régulièrement saisi, il dispose - sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l'auteur du manquement, de renoncer à passer le contrat - de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Les manquements retenus, qui se rapportent non seulement à la phase de sélection des offres, mais aussi à la transparence des procédures et au principe d'égalité de traitement impliquent que la procédure ne soit annulée qu'à compter de l'appel d'offres et que le pouvoir adjudicateur reprenne la procédure au stade du lancement d'appel d'offres. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Bandraboua, si elle entend poursuivre son projet, de la reprendre à ce stade, au regard des motifs de la présente ordonnance.

Sur les frais du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Bandraboua demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la commune de Bandraboua une somme de 2 500 euros à verser à M. B au titre des mêmes frais.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation du marché public intitulé concours restreint de maîtrise d'œuvre sur esquisse pour la construction de vestiaires et de la couverture de gradins du stade de football de Bandraboua est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Bandraboua, si elle entend poursuivre la procédure, de la reprendre au stade de l'appel d'offres.

Article 3 : Il est mis à la charge de la commune de Bandraboua la somme de 2 500 euros à verser à M. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Bandraboua tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B, à la société Atelier Mahorais d'Architecture et à la la commune de Bandraouba.

Fait à Mamoudzou, le 7 novembre 2022 .

Le juge des référés,

Ch. C

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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