TA Mayotte, 10/11/2022, n°2205028
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 10, 26 et 31 octobre 2022, présentés par la société par actions simplifiée (SAS) Mayotte Route Environnement (MRE), la société Mayotte Maintenance Industrielle (MAMI) et la société d'aménagement et de travaux (SAT), représentées par Me Idriss et Me Dugoujon, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, d'annuler la décision de rejet de leur offre présentée pour le lot n°2 du marché public de construction du lycée des métiers du bâtiment de Longoni et d la décison de retenir l'offre présentée par la société Colas Mayotte et d'enjoindre au recteur de Mayotte de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation du lot n°2 du marché public ayant pour objet les travaux construction du lycée des métiers du bâtiment de Longoni ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le pouvoir adjudicateur a commis un manquement à son devoir d'information ;
- la procédure suivie a été irrégulière en phase d'analyse des offres en ce que la note obtenue par l'entreprise Colas sur le critère valeur technique a été revalorisée "grâce aux optimisations apportées en phase de négociation", or toute négociation devait être prévue par le règlement de consultation ; aucune déclaration d'infructuosité n'a été envoyée aux soumissionnaires ;
-la procédure suivie est irrégulière en ce que le calcul d'une note de prix pour l'offre présentée par MRE s'est effectué en dénaturant son offre ;
-la procédure suivie est irrégulière en ce que ni l'avis d'appel à la concurrence, ni les documents de consultation ne mentionnent les dispositions du décret n°201857 du 31 janvier 2018 relatives à la présentation d'un plan de sous-traitance ;
-la procédure suivie est irrégulière en ce que la durée de validité des offres n'a jamais été explicitement prolongée.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 octobre 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) Colas Mayotte, représentée par Me Henochsberg, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- seule des offres inacceptables ayant été reçue par le pouvoir adjudicateur, une procédure négociée a été engagée; le groupement a lui aussi été invité à négocier ;
-les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 octobre 2022, le recteur de l'académie de Mayotte, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
-la mauvaise foi du groupement qui lui aussi été invité à négocier sans remettre en question le bien-fondé d'une telle procédure ;
-les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des marchés publics ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision en date du 15 septembre 2022, prise en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 31 octobre 2022 à 10 heures 00, le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme C, étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.
Au cours de l'audience publique, M. B a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Dugoujon pour les sociétés requérantes qui déclarent renoncer aux moyens tirés du défaut d'information, de l'absence de plan de sous-traitance et de l'absence de prolongation explicite de la validité des offres, conclure, pour le reste, aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
- les observations de Mme A pour le rectorat de Mayotte qui reprend les moyens et conclusions de son mémoire en défense.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré a été enregistrée le 2 novembre pour le rectorat de Mayotte.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat.". L'article L. 551-2 du même code dispose que : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations" ;
2. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
3. Par avis d'appel à la concurrence n°21-7902 publié les 13 et 15 juin 2021 respectivement au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal Officiel de l'Union Européenne (JOUE), le rectorat de Mayotte a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché public divisé en 41 lots portant sur la construction du lycée des métiers du bâtiment de Longoni. Par un courrier reçu le 30 septembre 2022, le rectorat a informé la société Mayotte Route Environnement (MRE), en groupement avec la société Mayotte Maintenance Industrielle (MAMI) et la société d'aménagement et de travaux (SAT), que leur offre concernant le lot n°2 VRD, classée en deuxième position, n'était pas retenue et que c'était la proposition de la société Colas Mayotte qui l'était. Par la présente requête, les sociétés MRE, MAMI et SART demandent au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché public en tant qu'il concerne le lot n°2 VRD.
Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :
4.Aux termes de l'article L. 2124-3 du code de la commande publique : "La procédure avec négociation est la procédure par laquelle l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. "et aux termes de l'article R. 2124-3 du même code : " Le pouvoir adjudicateur peut passer ses marchés selon la procédure avec négociation dans les cas suivants : / () / 6° Lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables, au sens des articles L. 2152-2 et L. 2152-3, ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de publier un avis de marché s'il ne fait participer à la procédure que le ou les soumissionnaires qui ont présenté des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l'appel d'offres. Toutefois, par dérogation aux dispositions de l'article R. 2144-4, ne peuvent participer à la procédure que le ou les soumissionnaires ayant justifié au préalable ne pas être dans un cas d'exclusion et satisfaisant aux conditions de participation fixées par l'acheteur.". Aux termes de l'article L. 2152-3 du même code : "Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure".
5. Pour justifier le recours à la procédure négociée, le rectorat de Mayotte fait valoir que l'appel d'offres a été déclaré infructueux, seules des offres inacceptables économiquement ayant été reçues. Le rectorat a par la suite invité les candidats qui avaient soumis des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l'appel d'offres à participer à un premier entretien de négociation qui s'est déroulé par visioconférence le 24 mars 2022. A l'issue d'une nouvelle réunion en date du 25 avril 2022, la société MRE a remis une nouvelle offre. Après communication d'un nouveau dossier de consultation des entreprises (DCE), la société requérante a déposé son offre finale le 23 août 2022 sur la plateforme dématérialisée prévue à cet effet. Les sociétés requérantes soutiennent que le rectorat ne pouvait pas, à défaut d'avoir justifié que les offres étaient toutes, soit irrégulières, soit inacceptables, engager une procédure négociée régie par les dispositions précitées de l'article R. 2124-3 du code de la commande publique.
6. Il résulte de l'instruction que l'offre présentée initialement par le groupement MRE-MAMI-SART était, selon les sociétés requérantes, d'un montant de 14 668 000 euros. D'après l'estimation générale jointe au règlement de la consultation, le montant des crédits alloués au lot n°2 était de 10 380 536 euros auquel pouvait s'ajouter potentiellement un montant de 551 508 euros, soit au total une enveloppe maximale de 10 932 044 euros. En défense, le recteur fait valoir que ce montant n'a pas été réévalue pour la phase de négociation..
7. Ainsi, le prix des offres déposées pour le lot n°2 excédait les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure et étaient donc inacceptables, de telle sorte que le pouvoir adjudicateur pouvait légalement engager une procédure négociée. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du nouveau DCE communiqué aux soumissionnaires le 21 juillet 2022 que, dans le souci de respecter l'enveloppe budgétaire, le projet initial avait été substantiellement diminué. Les requérantes font valoir, sans être contestées sur ce point, que cette réduction du format initial du projet représenterait 20% de sa valeur de 30% de sa surface. Dès lors, l'administration ne pouvait pas recourir à la procédure du marché négocié sans méconnaître les dispositions précitées de l'article R. 2124-3, 6° du code de la commande publique, mais devait procéder à un nouvel appel d'offres.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le groupement MRE-MAMI-SART est fondé à soutenir que le marché litigieux a été conclu à la suite d'une procédure irrégulière et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, doit être annulée pour ce motif. La circonstance que les sociétés requérantes soient ou non de bonne foi et aient participé à la phase de négociation du marché en cause est sans incidence sur le présent litige.
9. Sauf à ce qu'il renonce à conclure le marché, il est enjoint au recteur de Mayotte de reprendre la procédure de passation au stade de l'appel d'offres.
Sur les frais du litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés MRE, MAMI et SART, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Colas Mayotte demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
11. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 3 000 euros à verser aux sociétés MRE, MAMI et SART au titre des mêmes frais.
ORDONNE :
Article 1er : La procédure de passation du marché de construction du lycée des métiers du bâtiment de Longoni afférente au lot n°2 lancée par le recteur de Mayotte est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de Mayotte de reprendre la procédure de passation de ce marché au stade de l'appel d'offres.
Article 3 : L'Etat versera aux sociétés MRE, MAMI et SART une somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Colas Mayotte tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Mayotte Route Environnement (MRE), à la société Mayotte Maintenance Industrielle (MAMI), à la société d'aménagement et de travaux (SAT), à la société à responsabilité limitée (SARL) Colas Mayotte et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie sera adressée au recteur de Mayotte
Fait à Mamoudzou , le 10 novembre 2022 .
Le juge des référés,
Ch. B
La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.