TA Montpellier, 17/11/2022, n°1901417

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2019, la société Vinci construction France, venant aux droits de la société Sogea Construction, et la société Sogea Sud, représentées par la SCP SVA, demandent au tribunal :

1°) d'homologuer le rapport d'expertise et de condamner solidairement les sociétés Egis Eau, Socotec et GTS à leur verser, en tant qu'elles sont subrogées dans les droits du maitre de l'ouvrage, 174 480 euros TTC en réparation des désordres affectant la station d'épuration du Barcarès ainsi que 16 816,02 euros au titre des frais d'expertise ;

2°) subsidiairement, de condamner la société GTS, la société Egis Eau et la société Socotec à leur verser respectivement 50%, 30% et 20% des sommes précitées ;

3°) plus subsidiairement, de limiter leur responsabilité à 10% du sinistre total ;

4°) de mettre à la charge des parties succombantes une somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de la maitrise d'œuvre, du contrôle technique et du sous-traitant en charge de la réalisation des colonnes ballastées est engagée au titre des désordres faisant l'objet de la réserve à la réception des travaux réalisés pour le compte de Perpignan Méditerranée ;

- ces intervenants lui sont redevables de la somme qu'elle a acquittée à Perpignan Méditerranée via un protocole transactionnel qui la subroge dans les droits du maitre d'ouvrage ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité doit être limitée à 10% du désordre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2020, la SA Egis Eau, représentée par la SCP Coste, Daudé, Vallet, Lambert, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'elle soit garantie à hauteur de 95% par la SAS GTS, la société Socotec, la société Vinci Construction et la société Sogea Sud et enfin, à ce que soit mise à la charge des parties succombantes une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité des sociétés requérantes, en qualité d'entreprises principales, doit être retenue ;

- le dommage a pour origine un défaut de réalisation et non de conception et sa responsabilité doit être écartée puisqu'elle avait pour mission d'assurer la maitrise d'œuvre d'exécution ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité doit être limitée à 5% du désordre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2020, la société Socotec Construction, venant aux droits de la société Socotec France, représentée par la SCP Bene, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'elle soit garantie intégralement par la SAS GTS, la société Egis Eau, la société Vinci Construction et la société Sogea Sud et enfin à ce que soit mise à la charge des sociétés Vinci Construction et Sogea Sud une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité ne peut être engagée car sa mission impliquait la vérification de la solidité de l'ouvrage et celui-ci n'a subi aucun dommage dans sa structure ;

- la responsabilité des sociétés requérantes doit être retenue à titre principal car elles ont proposé le procédé des colonnes ballastées, elles n'ont pas fait réaliser suffisamment d'études et elles n'ont pas veillé à la bonne exécution des travaux de leur sous-traitant ;

- à titre subsidiaire, la maitrise d'œuvre et la société GTS ont accepté la conception des fondations et la société GTS a réalisé des colonnes d'une longueur inadaptée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 31 août 2020 et le 28 octobre 2022, la société NGE Fondations, anciennement dénommée GTS, représentée par la SCP de Angelis, Semidei, Vuillquez Habart Melki, Bardon, de Angelis, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la condamnation des sociétés Vinci Construction, Sogea Sud, Socotec et Egis Eau à la garantir de l'ensemble des sommes mises à sa charge et enfin à ce que soit mise à la charge des sociétés Vinci Construction et Sogea Sud ou toute autre partie succombante une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- le juge administratif est incompétent pour trancher un litige qui oppose un constructeur à son sous-traitant ;

- l'action dirigée à son encontre est prescrite en vertu de l'article 2224 du code civil puisque Perpignan Méditerranée a introduit un référé expertise il y a plus de cinq ans ;

- à titre subsidiaire sa responsabilité n'est pas engagée puisqu'elle n'a pas proposé le procédé de colonnes ballastées et elle a régulièrement exécuté les travaux qui lui ont été confiés.

Vu :

- les ordonnances n° 1203167 du 11 septembre 2012 et n° 1205456 du 23 janvier 2013 du tribunal administratif de Montpellier ordonnant une expertise ;

- l'ordonnance du tribunal administratif de Montpellier du 16 juin 2014 taxant les frais d'expertise à la somme de 16 816,02 euros TTC ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- et les observations de Me Fontaine, représentant la société Egis Eau et celles de Me Delhaye, représentant la société NGE Fondations.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat intercommunal à vocations multiples du Barcarès a conclu plusieurs marchés en vue de mettre aux normes et procéder à l'extension de la station d'épuration située sur son territoire. A compter de 2006, la communauté d'agglomération de Perpignan Méditerranée, puis la communauté urbaine de Perpignan Méditerranée, est devenue maitre d'ouvrage de ces travaux. La réception des travaux a fait l'objet de réserves dans deux procès-verbaux établis le 23 février 2010 et le 14 avril 2010. Par ordonnances n° 1203167 du 11 septembre 2012 et n° 1205456 du 23 janvier 2013, le tribunal administratif de Montpellier, sur saisine de Perpignan Méditerranée, a ordonné une expertise afin notamment de se prononcer sur les désordres persistants. L'expert a rendu son rapport le 6 juin 2014. Le 27 octobre 2016, la société Vinci Construction, venant aux droits de Sogea Construction, et la société Sogea Sud, attributaires du marché de travaux, ont conclu avec Perpignan Méditerranée un accord transactionnel impliquant le versement d'une indemnité de 191 296,02 euros en faveur de Perpignan Méditerranée correspondant à une solution réparatoire de 174 480 euros majorée des frais d'expertise d'un montant de 16 816,02 euros. Les sociétés Vinci Construction et Sogea Sud demandent désormais la condamnation des sociétés Egis Eau, Socotec et GTS, en leur qualité d'intervenants à ces travaux afin d'obtenir le remboursement du paiement de cette indemnité.

Sur la demande d'homologation du rapport d'expertise :

2. En demandant l'homologation du rapport d'expertise, les sociétés requérantes doivent être regardées comme s'en appropriant les conclusions en ce qu'il considère que les désordres ont pour origine la validation de la société Egis Eau, en qualité de maître d'œuvre, et la société Socotec, en sa qualité de contrôleur technique, de la technique des colonnes ballastées qui n'étaient ni adaptées au site ni aux exigences d'horizontalité d'un clarificateur et, d'autre part, une exécution défectueuse en raison d'une profondeur insuffisante des colonnes ballastées par la société GTS, intervenue en qualité de sous-traitante.

Sur l'incompétence du juge administratif pour statuer sur les conclusions dirigées contre la société GTS :

3. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société GTS est intervenue dans l'exécution des travaux de mise aux normes et d'extension de la station d'épuration du syndicat intercommunal à vocations multiples du Barcarès en qualité de sous-traitante de la société Sogea Sud, membre du groupement qu'elle a formé avec la société Sogea Construction, mandataire de ce groupement, aux droits de laquelle vient la SAS Vinci Construction. En l'absence de répartition des tâches dans le marché, les sociétés requérantes formaient un groupement conjoint et solidaire et étaient l'une et l'autre responsables de l'exécution de la totalité des travaux qui leur étaient confiées. Ainsi, le contrat de sous-traitance de la société GTS doit être regardé comme ayant été conclu avec le groupement formé par les sociétés Sogea Sud et Sogea Construction.

5. Par suite, les conclusions de la SAS Vinci Construction et de la société Sogea Sud dirigées contre la société GTS, à raison du contrat de droit privé liant cette dernière au groupement qu'elles avaient constitué, ne saurait relever de la compétence de la juridiction administrative, dès lors que l'accord transactionnel conclu avec le maître d'ouvrage par les sociétés requérantes, stipulant leur subrogation dans ses droits afin d'obtenir le remboursement de l'indemnité avancée, n'est pas de nature à déroger à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. En conséquence, les conclusions de la requête tendant à la condamnation de la société GTS doivent être rejetées comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les désordres et les responsabilités des intervenants :

6. Il résulte de l'instruction que le clarificateur de la station d'épuration, dont la fonction est d'éliminer par écrémage de la surface les eaux usées, ne peut, en l'espèce, remplir valablement sa fonction dans la mesure où son horizontalité n'est pas assurée. Cette anomalie résulte des fondations de cet ouvrage, réalisées sur le principe de colonnes ballastées. En effet, la typologie des sols au droit de l'ouvrage, à proximité directe de l'étang du Barcarès, aurait dû conduire à l'exclusion de ce procédé compte tenu de sols mous et alluvionnaires ne procurant pas l'étreinte latérale nécessaire au bon fonctionnement de ces colonnes, à moins que des études suffisantes et précises en justifient le bien fondé. Le sapiteur, associé à l'expert mandaté par le tribunal, estime par ailleurs que la profondeur de l'ancrage des quatre-vingt-dix colonnes ballastées est insuffisante.

7. Il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que préalablement à la conclusion du marché avec les sociétés Sogea Construction et Sogea Sud, à qui fut confiée la réalisation des travaux, une étude géologique demandée par le maitre d'ouvrage laissait le choix entre une fondation sur pieux ou sur colonnes ballastées, celles-ci devant alors atteindre une profondeur de 14 mètres linéaires par rapport au terrain naturel. Les sociétés requérantes ne contestent pas qu'elles ont proposé la réalisation de fondations sur colonnes ballastées conformément à cette étude puis qu'elles ont fait réaliser une seconde étude sur ce procédé, en 2005, concluant à un ancrage satisfaisant des colonnes entre 7 à 10 mètres sous le terrain naturel. Il était néanmoins précisé que cette expertise avait été réalisée sans donnée précise sur la structure du bâtiment et qu'il était nécessaire de réaliser une étude spécifique de tassement. La société GTS, en sa qualité de sous-traitante de la société Sogéa Sud, a ensuite réalisé lesdites colonnes, d'une longueur moyenne de 8,66 mètres linéaires, ancrées à près de 7 mètres sous le terrain naturel.

8. Ainsi les sociétés Sogea Construction et Sogea Sud ne pouvaient ignorer la présence de sols mous au droit du projet eu égard à la localisation de celui-ci et compte tenu des études géologiques réalisées. Par ailleurs, alors que les deux études réalisées préalablement aux travaux aboutissaient à des conclusions différentes quant à la profondeur de l'ancrage des colonnes, les requérantes n'établissent pas que des études complémentaires auraient été conduites alors que l'expert mandaté par le tribunal relève le faible nombre de sondages réalisés, l'absence d'études géotechniques de conception ainsi que de suivi et de supervision d'exécution. Par suite, eu égard à ces manquements, les sociétés requérantes qui doivent par ailleurs répondre, envers le maitre d'ouvrage, des réalisations de la société GTS, en sa qualité de sous-traitante, engagent leur responsabilité contractuelle.

9. Toutefois, alors que la société Egis Eau, en sa qualité de maitre d'œuvre s'était vue confier une large mission incluant notamment les études d'avant-projet, le projet, l'assistance pour la passation des contrats de travaux, le visa des études d'exécution et la direction de l'exécution des travaux, l'aval donné au procédé de colonnes ballastées sans réalisation d'études complémentaires engage sa responsabilité contractuelle.

10. Enfin, la société Socotec en sa qualité de contrôleur technique s'est vue confier une intervention portant notamment sur la solidité des ouvrages et la vérification du fonctionnement des installations. Si elle fait valoir que la solidité du clarificateur n'est pas compromise, sa mission portait également sur les ouvrages de fondations et il résulte du rapport initial de contrôle technique réalisé par cette société en août 2005 qu'elle a rendu un avis favorable sur la suffisance et la qualité des études géotechniques et sur le principe de fondations par colonnes ballastées à une profondeur d'environ 8 mètres. Par ailleurs, elle n'établit pas avoir émis des réserves quant au fonctionnement de l'installation dans le cadre de la mission ainsi confiée.

11. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité contractuelle des sociétés requérantes, de la société Egis Eau et de la société Socotec est engagée au titre des malfaçons affectant le clarificateur de la station d'épuration du Barcarès. Il résulte de l'instruction que ces malfaçons sont imputables, à concurrence de 65 %, au groupement des sociétés Sogea Sud et Sogea Construction. Dès lors que les sociétés requérantes ont pris en charge l'indemnisation du maitre d'ouvrage, elles sont fondées à demander que les sociétés Egis Eau et Socotec leur remboursent solidairement 35 % des sommes versées pour un montant total de 66 953,61 euros.

Sur les appels en garantie :

12. Au vu des fautes dégagées aux points 7 à 9 du présent jugement, la société Socotec sera garantie des sommes mises à sa charge par la société Egis Eau à hauteur de 90% et, réciproquement, la société Socotec garantira la société Egis Eau des sommes mises à sa charge à hauteur de 10%. En l'absence de condamnation de la société NGE Fondations, anciennement dénommée GTS, il n'y a pas lieu de se prononcer sur ses conclusions d'appel en garantie.

Sur les frais du litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La société Socotec et la société Egis Eau sont solidairement condamnées à verser une somme de 66 953,61 euros aux sociétés Vinci Construction et Sogea Sud.

Article 2 : La société Socotec sera garantie à hauteur de 90% par la société Egis Eau des sommes mises à sa charge.

Article 3 : La société Egis Eau sera garantie à hauteur de 10% par la société Socotec des sommes mises à sa charge.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Socotec, la société Egis Eau et la société NGE Fondations sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Vinci Construction France, en sa qualité de représentant unique, à la société Egis Eau, à la société Socotec et à la société NGE Fondations.

Copie sera transmise, pour information, à Perpignan Méditerranée et à M. B A, en sa qualité d'expert.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Denis Besle, président,

M. Nicolas Huchot, premier conseiller,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

D. Besle

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 17 novembre 2022.

La greffière,

M-A. Barthélémy

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