CAA Marseille, 28/11/2022, n°20MA03656
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Cathédrale d'Images doit être regardée comme ayant demandé au tribunal administratif de Marseille qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public relatif à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue, le 23 avril 2010, entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.
Par un jugement n° 1709656 du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 septembre 2020, 23 mars 2022 et 29 avril 2022, la société Cathédrale d'Images, représentée par Me Goutal, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1709656 du 24 juillet 2020 ;
2°) de mettre fin à l'exécution du contrat de délégation de service public relatif à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue, le 23 avril 2010, entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces ;
3°) de mettre à la charge de la commune des Baux-de-Provence et de la société Culturespaces la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont entaché leur décision d'irrégularité en s'abstenant d'analyser et de lui communiquer la note en délibéré produite par la commune des Baux-de-Provence ;
- le jugement, qui rejette sa demande pour une irrecevabilité tirée de son défaut d'intérêt à agir, opposée à tort, est irrégulier alors que l'exécution de la délégation de service public, entraîne inéluctablement une violation constante de son droit de propriété, qu'elle est victime du pillage de son fonds de commerce et de parasitisme et qu'elle justifie de sa qualité de contribuable local ;
- le contrat de délégation de service public doit être résilié dès lors que tout d'abord, ce contrat est exécuté au mépris de son droit de propriété et ne respecte pas la législation relative aux établissements recevant du public, qu'ensuite, le délégataire méconnaissant ses obligations contractuelles en matière de sécurité, la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général, et qu'enfin, le contrat est entaché d'un vice du consentement, faisant obstacle à sa poursuite ;
- en outre, sa demande n'est pas tardive, la date de son recours tendant à la résiliation de la délégation de service public à retenir étant la date de transmission de son courriel le 29 juillet 2017 ;
- c'est à tort que la commune sollicite le rejet de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et qu'elle invoque la méconnaissance des dispositions du nouvel article R. 170 du code de procédure pénale, lesquelles ne trouvent pas à s'appliquer à la présente instance ;
- elle justifie de la qualité de candidate évincée quand bien même elle n'aurait pas présenté d'offre en 2010 lors de l'attribution de la délégation de service public dès lors que le Conseil d'Etat reconnaît cette qualité à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu'il n'aurait pas présenté sa candidature et que la convention de délégation de service public aurait dû arriver à terme en 2020 et faire l'objet d'une nouvelle mise en concurrence, la signature d'un avenant illégal signé en 2012 a prolongé la durée de cinq années en violation des dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet 2021, 14 avril 2022 et 11 mai 2022, la commune des Baux-de-Provence, représentée par Me de Folleville, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et demande à la Cour d'écarter des débats la pièce n° 29 produite par la société Cathédrale d'Images et de mettre à la charge de cette dernière la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la demande est irrecevable, la société requérante ne justifiant être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine ni en qualité de propriétaire voisin ni en qualité de victime d'actes de parasitisme ni en qualité de contribuable local ni en qualité de concurrent direct ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens n'est fondé ni même opérant ;
- en tout état de cause, la résiliation du contrat en cause revêtirait un caractère disproportionné et porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- en outre, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le premier vice-président chargé de l'instruction le 28 janvier 2021 a été produite par la société requérante sans que ne soit justifiée l'autorisation préalable émanant du procureur de la République nécessaire pour la diffusion d'une telle décision à des tiers, en méconnaissance des dispositions du nouvel article R. 170 du code de procédure pénale, en conséquence de quoi, la Cour doit écarter cette pièce des débats, sans méconnaître le principe de liberté de la preuve, alors qu'au demeurant, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des faits et des règles de la délégation de service public.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 décembre 2021, 14 avril 2022 et 11 mai 2022, la société Culturespaces, représentée par Me Sur-Le Liboux, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société Cathédrale d'Images la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la demande tendant à l'annulation du contrat en cause est irrecevable et en tout état de cause, la demande est irrecevable en raison de son caractère tardif, du défaut d'intérêt à agir et de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- en tout état de cause, la résiliation du contrat en cause revêtirait un caractère disproportionné et porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- en outre, la société requérante produit l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, en méconnaissance des dispositions du nouvel article R. 170 du code de procédure pénale et passant outre le principe de présomption d'innocence, alors qu'au demeurant, l'autonomie et la pleine compétence du juge administratif conduisant à ce que ce dernier ne soit pas tenu par les qualifications pénales, et a fortiori par un acte de procédure et non une décision de justice, dépourvue d'autorité de la chose jugée.
Par ordonnance du 4 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 20 mai 2022.
Des mémoires présentés pour la commune des Baux-de-Provence ont été enregistrés les 30 juin et 27 octobre 2022, postérieurement à la clôture d'instruction et n'ont pas été communiqués.
Un mémoire présenté pour la société Culturespaces a été enregistré le 28 octobre 2022, postérieurement à la clôture d'instruction et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me David, représentant la société Cathédrale d'Images, de Me De Folleville, représentant la commune des Baux-de-Provence, et de Me Sur-Le Liboux, représentant la société Culturespaces.
Connaissance prise des notes en délibéré respectivement enregistrées les 3 et 4 novembre 2022, et produites pour la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.
Considérant ce qui suit :
1. La commune des Baux-de-Provence est propriétaire des carrières des Bringasses et des Grands Fonds implantées sur la parcelle cadastrée section AC n° 120. Une convention a été signée en 1976 avec la société Cathédrale d'Images pour une exploitation culturelle des lieux sous forme de projections audiovisuelles. A cette convention, a succédé à compter de 1989 un bail commercial de dix ans prévoyant que le site ne pourrait être utilisé que pour l'organisation de spectacles audiovisuels, bail renouvelé en 2000. En août 2008, la commune des Baux-de-Provence a signifié son congé à la société Cathédrale d'Images à l'issue de ce bail en février 2009. Par un avis d'appel public à candidature, publié le 28 mars 2009, la commune a lancé une procédure de délégation de service public portant sur la gestion, et plus précisément sur la mise en valeur culturelle et touristique du site des carrières des Bringasses et des Grands Fonds. Une convention a été conclue avec la société Culturespaces, le 23 avril 2010. Par courrier du 28 juillet 2017, la société Cathédrale d'Images a sollicité de la commune des Baux-de-Provence qu'elle mette un terme à l'exploitation de cette convention de délégation de service public. Du silence de la commune est née une décision implicite de rejet. La société Cathédrale d'Images a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande en vue qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande. La société Cathédrale d'Images fait régulièrement appel de ce jugement.
Sur les conclusions tendant à ce que la pièce n° 29 produite par la société Cathédrale d'Images soit écartée :
2. Aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale : "Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. / Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 434-7-2 du code pénal. / ().". Toutefois, en l'absence de disposition le prévoyant expressément, l'article 11 du code de procédure pénale ne peut faire obstacle au pouvoir et au devoir qu'a le juge administratif de joindre ces éléments d'information aux autres pièces versées au dossier et de statuer au vu de l'ensemble de ces pièces après en avoir ordonné la communication pour en permettre la discussion contradictoire.
3. A l'appui de ses conclusions, la société requérante a produit l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de la société Culturespaces, de son gérant et du maire des Baux-de-Provence, alors en exercice en 2010, pièce que la commune des Baux-de-Provence demande à ce qu'elle soit écartée des débats. Cette pièce n° 29 produite par la société Cathédrale d'Images ayant été soumise au contradictoire, sans qu'y fasse obstacle le secret de l'instruction de la procédure pénale en cours, les conclusions présentées par la commune des Baux-de-Provence tendant à ce que ladite pièce soit écartée des débats doivent être rejetées.
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense et dirigées contre la demande de la société Cathédrale d'Images :
4. En premier lieu, la société Culturespaces fait valoir que la demande introduite par la société Cathédrale d'Images est irrecevable, dès lors qu'elle tendait à l'annulation du contrat. Toutefois, la demande de la société appelante a été requalifiée par les premiers juges, ainsi qu'il leur appartenait de le faire, comme tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, cette demande étant expressément dirigée contre la décision implicite de refus de mettre fin à l'exécution du contrat.
5. En deuxième lieu, contrairement à ce qu'oppose la société Culturespaces, la demande de la société Cathédrale d'Images a été introduite devant le tribunal administratif de Marseille, le 30 novembre 2017, soit dans le délai de deux mois de droit commun à compter de la naissance de la décision implicite réputée être intervenue le 1er octobre 2017 rejetant la demande de résiliation qu'elle avait présentée à la commune des Baux-de-Provence et qui avait été réceptionnée le 1er août 2017.
6. En dernier lieu, la société Culturespaces ne saurait opposer l'autorité de la chose jugée qui serait attachée à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 15MA01074 rendu le 9 mai 2016 devenu définitif, rejetant la demande de la société Cathédrale d'Images tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal des Baux-de-Provence du 12 avril 2010 approuvant un projet de " délégation de service public ", en l'absence d'identité d'objet, la présente instance tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public tandis que la Cour avait été saisie d'un appel portant sur la passation de ladite convention.
7. Il s'ensuit que les fins de non-recevoir opposées en défense ne sauraient être accueillies.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne la note en délibéré produite par la commune des Baux-de-Provence devant les premiers juges :
8. En premier lieu, en vertu de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, la note en délibéré éventuellement produite par une partie doit être mentionnée dans le jugement à peine d'irrégularité. Eu égard à l'objet de l'obligation ainsi prescrite, qui est de permettre à l'auteur de la note en délibéré de s'assurer que la formation de jugement en a pris connaissance, la circonstance qu'une note en délibéré n'a pas été mentionnée dans la décision, en méconnaissance de cette obligation, ne peut être utilement invoquée pour contester cette décision que par la partie qui a produit cette note. Il en va de même de la circonstance que la note en délibéré, qui bien que visée, n'aurait pas été analysée. Par suite, le moyen soulevé par la société Cathédrale d'Images et tiré de ce que la note en délibéré produite par la commune des Baux-de-Provence n'aurait pas été analysée ne peut qu'être écarté en raison de son caractère inopérant.
9. En second lieu, la formation de jugement est tenue, à peine d'irrégularité de son jugement, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans une note en délibéré lorsqu'elle contient l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts ou l'exposé d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office. Au cas présent, la note en délibéré produite par la commune ne comportant aucun de ces éléments, il ne saurait être reproché aux premiers juges de ne pas avoir communiqué ladite note et renvoyé l'affaire. Ainsi, le moyen tiré de l'absence de communication de cette note en délibéré et du non-respect du principe du contradictoire ne saurait être accueilli.
En ce qui concerne le motif d'irrecevabilité retenu par les premiers juges :
10. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. S'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département.
11. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.
12. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution d'un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d'apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et d'ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.
13. Il résulte de l'instruction qu'une convention de délégation de service public portant sur la mise en valeur culturelle et touristique du site des carrières des Bringasses et des Grands Fonds a été conclue entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces le 23 avril 2010 pour une durée de dix ans et qu'un avenant n° 3 a été conclu le 5 juin 2012 portant la durée de la convention à quinze années en la prolongeant jusqu'en 2025. Il est vrai que la société requérante ne s'est pas portée candidate lors du lancement de cette procédure de délégation de service public en 2010. Toutefois, il est constant que la société appelante était titulaire d'un bail commercial antérieurement à la passation de la délégation de service public en cause, en vue de l'exploitation culturelle des lieux, et que la commune n'a pas renouvelé pour, entre autres, engager cette passation, qu'elle est propriétaire de la parcelle attenante aux carrières et qui servait initialement d'entrée principale, qu'elle est à l'origine du concept d'exploitation culturelle des lieux sous forme de projections audiovisuelles et que, selon ses dires, elle s'est refusée par principe à candidater à la procédure d'attribution de la délégation de service public en 2010. Contrairement à ce qui est soutenu en défense, si la société Cathédrale d'Images n'a introduit aucun recours en 2012 contre la passation de l'avenant n° 03 cette circonstance ne l'aurait pas empêchée de candidater en 2020, date à laquelle la délégation de service public, si sa durée n'avait pas été prolongée, aurait dû arriver à terme.
14. Il en résulte qu'alors que la convention aurait dû faire l'objet d'une mise en concurrence au bout de dix années, en 2020, la société appelante était susceptible, ainsi qu'elle le soutient, de présenter une offre à cette occasion. Ainsi, la société Cathédrale d'Images doit être regardée comme pouvant se prévaloir de la qualité de candidate potentielle, ancienne exploitante du site, et non de simple tiers à la convention en litige, sans qu'y fasse obstacle la circonstance alléguée par la commune des Baux-de-Provence que cette société serait désormais sans activité commerciale. La société Cathédrale d'Images doit ainsi être regardée comme justifiant être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la décision de la commune des Baux-de-Provence refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat. Il s'en déduit qu'elle est recevable à former un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public conclue en 2010 et dont la durée a été prolongée en 2012, dès lors qu'une telle voie de recours est ouverte, y compris s'agissant des contrats en cours et conclus avant sa reconnaissance par le Conseil d'État par un arrêt du 30 juin 2017.
15. Il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la société ne justifiait pas d'un tel intérêt que sa demande était irrecevable et l'ont rejeté pour ce motif. Le jugement est donc irrégulier et doit être annulé. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire.
Sur le bien-fondé de la demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat de délégation de service public relatif à la gestion des carrières des Bringasses et de Grands Fonds conclu entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces :
16. L'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, alors applicable, prévoit que : "Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre. () / Une délégation de service ne peut être prolongée que : / a) Pour des motifs d'intérêt général. La durée de la prolongation ne peut alors excéder un an ; / b) Lorsque le délégataire est contraint, à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive. / Ces dispositions s'appliquent lorsque les investissements matériels sont motivés par : - la bonne exécution du service public ; - l'extension du champ géographique de la délégation ; - (). / La prolongation mentionnée au a ou au b ne peut intervenir qu'après un vote de l'assemblée délibérante. ()".
17. D'une part, ces dispositions répondent à un impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation. La durée initiale de la convention doit tenir compte de la durée normale d'amortissement des installations. La durée normale d'amortissement, susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements. La prolongation de la convention au-delà d'un an n'est possible que si des équipements nouveaux sont demandés par le délégant, que ces équipements sont indispensables au bon fonctionnement du service public ou à son extension géographique et qu'ils ne peuvent être amortis pendant le temps restant de la convention sans augmentation de prix manifestement excessive.
18. D'autre part, ainsi qu'il vient d'être dit, les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, les parties à une convention de délégation de service public ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat en introduisant des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d'autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l'attributaire. Ils ne peuvent notamment ni modifier l'objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l'équilibre économique du contrat, tel qu'il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs.
19. Enfin, comme il a été dit au point 11, les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général.
20. Il résulte de l'instruction que les modifications contenues dans l'avenant n° 03 conclu le 5 juin 2012 concernent, d'une part, un montant d'investissements supplémentaires de 755 000 euros hors taxes, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport à un montant d'investissement initial de 1 400 000 euros hors taxes et d'autre part, la durée de la délégation portée à quinze années, soit une augmentation représentant 50 % de la durée initialement prévue de dix années. De telles modifications peuvent être qualifiées de substantielles. Certes ces investissements nouveaux portant notamment sur la sécurisation du site, la réinstallation des réseaux et la création d'un nouvel accès chantier, ont été présentés comme indispensables par la commune des Baux-de-Provence mais sans que soient justifiées les raisons pour lesquelles cette économie du contrat n'a pas été prévue dès le contrat initial. L'augmentation des investissements et de la durée de la délégation qui en découle a introduit des éléments contractuels qui auraient pu, en grande partie, figurer dans la procédure initiale. La commune ne saurait donc se prévaloir de ce qu'elle n'était pas en mesure lorsque la société Cathédrale d'Images a quitté le site de connaître l'ampleur des travaux et des investissements à réaliser alors d'ailleurs qu'un état des lieux avait été établi. Par conséquent, la prolongation de la délégation procure ainsi à la société Culturespaces, en lui épargnant une nouvelle mise en concurrence à l'issue de la durée du contrat initialement prévue, un avantage manifeste alors qu'il n'est nullement établi que cette prolongation répond aux trois conditions cumulatives rappelées au point 17.
21. La société Cathédrale d'Images est dès lors fondée à soutenir que l'avenant n° 03, conclu en méconnaissance manifeste des obligations de publicité et de mise en concurrence, traduit la volonté de la commune de favoriser la société Culturespaces en lui accordant un avantage contraire à l'intérêt général qui s'attache à la remise en concurrence périodique des contrats de délégation de service public.
22. La poursuite de l'exécution d'une telle convention est donc manifestement contraire à l'intérêt général. En outre, ni la circonstance que l'exploitation se déroule dans des conditions régulières, avec un grand succès auprès des visiteurs, ni les craintes de la commune quant à la sécurisation du site ne sont de nature à faire obstacle à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat ou révèlent par elles-mêmes une atteinte excessive à l'intérêt général. Ainsi, il y a lieu de mettre fin à l'exécution de la convention en cause.
23. En revanche, il y a lieu, au regard de la programmation déjà engagée, de fixer la date à laquelle il doit être mis fin à l'exécution de la délégation de service public portant sur la mise en valeur culturelle et touristique d'une partie des carrières de pierre des Bringasses et des Grands Fonds au 1er novembre 2023.
24. Il résulte de ce qui précède que la société Cathédrale d'Images est, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et à demander à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public portant sur la mise en valeur culturelle et touristique d'une partie des carrières des Bringasses et des Grands Fonds à compter du 1er novembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune des Baux-de-Provence et de la société Culturespaces dirigées contre la société Cathédrale d'Images qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune des Baux-de-Provence une somme de 1 000 euros à verser à la société Cathédrale d'Images et de mettre à la charge de la société Culturespaces une somme de 1 000 euros à verser à la société Cathédrale d'Images en application de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1709656 du 24 juillet 2020 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Il est mis fin à l'exécution de la convention de délégation de service public portant sur la mise en valeur culturelle et touristique d'une partie des carrières des Bringasses et des Grands Fonds à compter du 1er novembre 2023.
Article 3 : La commune des Baux-de-Provence versera à la société Cathédrale d'Images une somme de 1 000 euros et la société Culturespaces versera à la société Cathédrale d'Images une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune des Baux-de-Provence et de la société Culturespaces présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cathédrale d'Images, à la commune des Baux-de-Provence et à la société Culturespaces.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2022.
No 20MA03656