TA Bordeaux, 22/12/2022, n°2206223
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 novembre et 12 décembre 2022, l'association Aéro-Club du Médoc, représentée par Me Corneloup, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision portant résiliation de la convention de gestion de l'aérodrome de Saint-Laurent-Médoc prise le 20 octobre 2022 par le maire de Saint-Laurent-Médoc, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Laurent-Médoc une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'association Aéro-Club du Médoc soutient que :
- les conclusions tendant à la reprise de l'exécution d'un contrat de droit public peuvent être assorties d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de la résiliation, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;
- la résiliation de la convention de gestion de l'aérodrome de Saint-Laurent-Médoc est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate à sa situation financière ; elle est chargée de la gestion de l'aérodrome, et garantit ainsi sa conformité au regard des exigences de la direction générale de l'aviation civile ; ses responsabilités matérielles et juridiques sont très lourdes et constituent des charges, qu'elle compense grâce aux revenus tirés de son école de pilotage ; la résiliation de la convention étant susceptible de menacer sa pérennité, la condition d'urgence est remplie ;
- le conseil municipal, seul compétent, n'a pas autorisé le maire de Saint-Laurent-Médoc à résilier la convention ;
- la mesure de résiliation, qui devait être motivée en application du 4° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, l'est insuffisamment ;
- aucune procédure contradictoire préalable n'a été mise en œuvre, alors qu'elle était imposée par l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, que la résiliation soit motivée par l'intérêt général ou la faute du délégataire ;
- la mise en demeure prévue à l'article 12 de la convention de gestion en cas de résiliation n'a pas eu lieu ;
- elle n'a jamais demandé la résiliation de la convention de gestion ;
- la reprise des relations contractuelles ne portant pas atteinte à l'intérêt général ou aux droits d'un nouveau titulaire, il devra être fait droit à sa demande.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2022, la commune de Saint-Laurent-Médoc, représentée par Me Bernadou conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'association Aéro-Club du Médoc la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Saint-Laurent-Médoc soutient que :
- l'association pourra continuer à exercer sa mission d'école de pilotage, ainsi que le précise la décision attaquée elle-même, et elle n'aura plus à sa charge les frais de gestion et d'entretien de l'aérodrome ; elle demeurera impliquée dans le comité de gestion provisoire ; en outre, l'association n'apporte pas d'élément de preuve au soutien de ses allégations relatives à sa situation financière ; enfin, la résiliation a été décidé pour un motif d'intérêt général, puisqu'elle souhaite réaliser des investissements pour développer l'activité de l'aérodrome, que l'association ne peut consentir ; les infrastructures actuelles ne permettent pas d'assurer la sécurité des usagers et riverains ; dès lors, l'urgence n'est pas établie ;
- les moyens soulevés par l'association Aéro-Club du Médoc ne sont pas fondés.
Vu :
- la requête enregistrée le 25 novembre 2022 sous le n° 2206222 par laquelle l'association Aéro-club du Médoc demande l'annulation de la décision attaquée ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de la commande publique ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision par laquelle la présidente du tribunal a désigné M. B pour exercer les fonctions de juge des référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 12 décembre 2022 à 10h en présence de Mme Gioffré, greffière d'audience, M. B a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Hortance et de M. A, représentant l'association Aéro-club du Médoc, qui reprend ses écritures et soutient que la direction de la sécurité de l'aviation civile exige que le local de l'association soit distinct de la salle de cours ; que seule cette administration est compétente pour se prononcer sur d'éventuelles carences de sécurité de l'aérodrome, qu'elle n'a jamais dénoncées jusqu'à présent, et notamment à la suite de la visite effectuée le 6 décembre dernier ; que l'intérêt économique et touristique de la zone n'est pas démontré par le rapport d'audit commandé par la commune ; que la convention de gestion n'est pas une délégation de service public ;
- les observations Me Bernadou, représentant la commune de Saint-Laurent-Médoc, qui reprend ses écritures sans soulever de nouveau moyen.
La clôture de l'instruction a été reportée au 15 décembre à 12h, en application de l'article R. 522-8 du code de justice administrative.
Par des mémoires, enregistrés les 14 et 15 décembre 2022, l'association Aéro-club du Médoc conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et observations orales, et par les mêmes moyens.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 et 15 décembre 2022, la commune de Saint-Laurent-Médoc conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, et soutient que l'association pourra toujours accéder au club-house, lieu d'accueil mutualisé de l'aérodrome, et pourra disposer d'un préfabriqué accolé au hangar mis à sa disposition, et qu'au demeurant aucune disposition réglementaire n'impose de disposer de locaux distincts ; que bien qu'elle ne dispose pas d'un accord écrit, l'association a manifesté sa volonté de ne pas poursuivre l'exécution de la convention de gestion.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ()".
2. Par convention conclue le 20 juillet 2015, la commune de Saint-Laurent-Médoc a confié à l'association Aéro-Club du Médoc, en application des articles L. 6321-2 du code des transports et R. 221-5 du code de l'aviation civile, la gestion de l'aérodrome de Saint-Laurent-Médoc. L'article 7 de la convention définit les tâches d'exploitation que l'association est chargée d'assurer en application de la convention relative à l'aménagement et l'exploitation de l'aérodrome conclue entre la commune et l'Etat : " - informer le propriétaire, et les autorités de l'aviation civile lorsque cela concerne la sécurité, de l'état ou la dégradation des terrains, immeubles, bâtiments, ouvrages et installations de l'aérodrome notamment pouvant entraîner la mise hors service temporaire de tout ou partie des aires de manœuvre ou de trafic ; / - exécuter les tâches conformément au protocole de renseignements et données aéronautiques conclu avec la direction de la sécurité et de l'aviation civile sud-ouest, notamment dans la procédure de demande de publication des NOTAM ; / - faciliter l'accès à l'aérodrome par les différents usagers aéronautiques en assurant notamment leur accueil lorsqu'un représentant du gestionnaire est présent sur le site ; / - mettre à la disposition des usagers de passage le registre des mouvements et fournir les statistiques du trafic ; / - surveiller le respect par les usagers de la réglementation et des règlements applicables sur l'aérodrome et informer le propriétaire et la direction de la sécurité de l'aviation civile sud-ouest des non-respects. () / - surveiller l'état des bâtiments et installations de l'aérodrome et informer le propriétaire lorsqu'il existe un risque pour la sécurité des personnes et des biens ; / - effectuer les autres tâches d'exploitation suivant des dispositions arrêtées en accord avec le propriétaire telles qu'elles peuvent être notamment définies dans les consignes d'exploitation de l'aérodrome ; / - assurer l'accueil des visiteurs dans le bâtiment destiné à cet effet ; / - assurer la gestion et la distribution du carburant directement avec le fournisseur du produit ". Pour l'exécution de ces tâches, l'article 2 de la convention met à la disposition de l'association la totalité des terrains de l'aérodrome, dont il a la jouissance, les aires de manœuvre, les voiries et parc de stationnement des véhicules, les installations de distribution de carburant mais également selon le 3° de l'annexe 1, le club house et la maison du gardien. Les hangars situés dans l'enceinte de l'aéroport sont également mis à la disposition du gestionnaire, deux étant réservés à son usage propre alors que les autres feraient l'objet d'autorisations d'occupation temporaire à d'autres usagers. Selon l'article 3 de la convention, la commune conserve sur ces biens l'initiative des travaux dits " du propriétaire ", tandis que l'association prend en charge les travaux d'entretien dits " du locataire ". Selon l'article 5, un état des lieux contradictoire doit être dressé tous les ans, pour les immeubles à usage commun de l'aérodrome mis à disposition du gestionnaire. L'article 6 impose à l'association de faciliter, dans la mesure du possible, l'utilisation des biens dont elle a la charge par les autres usagers de l'aérodrome pour des manifestations aéronautiques. Par courrier du 20 octobre 2022, le maire de Saint-Laurent-Médoc, se fondant sur la "clause de réciprocité" figurant à l'article 12 de la convention a prononcé la résiliation de la convention au 3 janvier 2023, "au regard des projets d'aménagement et de développement de la plateforme, des difficultés concrètes à mener à bien les missions dues au gestionnaire ainsi que de [la] demande [de l'association] de ne pas reconduire la gestion actuelle". L'association Aéro-club du Médoc, qui soutient qu'elle n'a jamais demandé la résiliation de la convention et qu'elle tire ses ressources financières de sa seule activité d'école de pilotage exercée sur l'emprise de l'aérodrome, demande au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution de la mesure de résiliation et la reprise provisoire des relations contractuelles.
3. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation. De telles conclusions peuvent être assorties d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises.
4. Dans ce dernier cas, il incombe en premier lieu au juge des référés, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l'exercice même de son activité, d'autre part l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de la mesure de résiliation ; il lui incombe en second lieu, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse et à justifier en conséquence qu'il soit fait droit à la reprise des relations contractuelles, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à une telle reprise des relations contractuelles. Toutefois, dans le cas où une irrégularité est invoquée devant lui ou ressort manifestement des pièces du dossier qui lui est soumis, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il lui incombe d'apprécier, en l'état de l'instruction et à la date à laquelle il statue, si cette irrégularité serait de nature à conduire le juge du contrat, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation ; s'il estime en conséquence qu'il existe un doute sérieux sur la validité du contrat, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles.
5. La convention de gestion en cause a été conclue, selon son article 10, pour une durée de six ans à compter de la date de signature, renouvelable par tacite reconduction. Le contrat résultant de l'application d'une clause de tacite reconduction présentant le caractère d'un nouveau contrat, la commune et l'association requérante doivent être regardées comme ayant conclu une nouvelle convention de gestion le 20 juillet 2021.
6. Or, les articles L. 3120-1 et suivants du code de la commande publique, s'agissant des contrats de concession, dont font partie les délégations de service public conclues par les collectivités territoriales, comme l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, s'agissant des convention d'occupation du domaine public en vue d'une exploitation économique, soumettent la passation de ces contrats à des obligations de publicité et de mise en concurrence. Dès lors, quelle que soit la qualification donnée à la convention de gestion liant la commune de Saint-Laurent-Médoc et l'Aéro-club du Médoc, délégation de service public ou convention d'occupation du domaine public permettant son exploitation économique par, notamment, une activité d'enseignement, la mise en œuvre de la clause de tacite reconduction était, ainsi que le soutient la commune, illégale.
7. Ce vice conduirait le juge, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à en prononcer la résiliation, compte tenu, d'une part, de la nature de l'illégalité, d'autre part de ce qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette résiliation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, notamment aux conditions d'utilisation de l'aérodrome et aux activités de promotion de la culture aéronautique menées par l'association en collaboration avec l'éducation nationale.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, ni sur l'existence d'un doute sérieux quant à la validité de la mesure de résiliation litigieuse, que les conclusions tendant à ce que soit ordonnées la suspension de son exécution et la reprise des relations contractuelles doivent être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Laurent-Médoc, qui n'est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante, le versement à l'association Aéro-club du Médoc des sommes qu'il demande au titre des frais exposés au cours de l'instance et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Aéro-club du Médoc le versement à la commune de Saint-Laurent-Médoc de la somme de 1 200 euros en application desdites dispositions.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de l'association Aéro-club du Médoc est rejetée.
Article 2 : L'association Aéro-club du Médoc versera à la commune de Saint-Laurent-Médoc la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Aéro-club du Médoc et à la commune de Saint-Laurent-Médoc.
Fait à Bordeaux, le 22 décembre 2022.
Le juge des référés,La greffière,
J. BC. GIOFFRE
La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,