CAA de Versailles, 14 décembre 2023, n°23VE01514
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Entreprise Pitel a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Gennevilliers à lui verser une provision de 32 696,78 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre des situations nos 1 et 2 relatives au bon de commande n° X002800 de l'accord-cadre n° 180098 ayant pour objet l'entretien, les grosses réparations et l'aménagement des bâtiments communaux, des intérêts moratoires dus en raison du retard de paiement des sommes afférentes à ces situations, des frais de recouvrement de ces sommes et de l'indemnisation d'un mauvais vouloir de la commune et de mettre à la charge de la commune de Gennevilliers la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 2108462 du 22 juin 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2023, la société Entreprise Pitel, représentée par Me Caupert, avocat, demande à la cour :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur sa requête n° 2211329 tendant à la condamnation de la commune de Gennevilliers à lui verser une provision correspondant au solde de l'accord-cadre n° 180098 et du bon de commande n° X002800 ;
2°) d'annuler cette ordonnance ;
3°) de condamner la commune de Gennevilliers à lui verser une provision de 32 696,78 euros au titre du règlement des situations nos 1 et 2 relatives au bon de commande n° X002800 portant sur l'installation d'un ascenseur au Château des Ménilles émis en exécution de l'accord-cadre n° 180098 conclu pour l'entretien, les grosses réparations et l'aménagement des bâtiments communaux, des intérêts moratoires dus en raison du retard de paiement des sommes afférentes, des frais de recouvrement de ces sommes et de l'indemnisation du " mauvais vouloir " de la commune ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Gennevilliers la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il convient de surseoir à statuer sur sa demande dans l'attente des décisions du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur sa requête nos 2211329 tendant à la condamnation de la commune de Gennevilliers à lui verser une provision correspondant au solde de l'accord-cadre n° 180098 et du bon de commande n° X002800, dès lors que, dans l'hypothèse où il serait fait droit à cette demande, la présente demande serait privée d'objet ;
- c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande comme irrecevable ; sa demande ne pouvait pas être considérée comme prématurée, faute d'expiration du délai de trente jours prévu par l'article 50.1.2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) à la date d'introduction de sa demande, dès lors que la saisine du juge du référé-provision peut se faire sans attendre que la procédure de recours préalable soit parvenue à son terme et dès lors qu'une décision implicite de rejet de son mémoire en réclamation est intervenue au cours de la première instance ;
- sa créance au titre des situations nos 1 et 2 n'est pas sérieusement contestable ; les demandes de paiement litigieuses, qui s'élèvent à la somme de 11 460 euros TTC devaient être réglées dans un délai de trente jours à compter de leur réception par le maître d'œuvre ou, en l'absence de certitude sur la date de réception, à compter de la date d'exécution des prestations, en vertu des articles 8.1 et 8.2 du cahier des clauses particulières (CCP) et L. 2192-10, R. 2192-10, R. 2192-12 et R. 2192-18 du code de la commande publique ; seuls deux paiements partiels ont été effectués le 21 mai 2021 pour un montant total de 135 228,01 euros TTC ;
- sa créance au titre des intérêts moratoires n'est pas sérieusement contestable ; en application de l'article 8.3 du CCAP, le montant des intérêts moratoires s'élève à 12 574,98 euros TTC au titre des sommes déjà réglées le 21 mai 2021 pour la situation n° 1, calculés à compter du 1er février 2020, 1 792,41 euros TTC au titre des sommes déjà réglées le 21 mai 2021 pour la situation n° 2, calculés à compter du 1er mars 2020 et 231,08 euros TTC à parfaire au titre des sommes restant à régler pour ces deux situations, calculés à compter du 21 mai 2021 ; elle n'a pas procédé à de " nouvelles demandes de règlement " des situations nos 1 et 2 ; la commune ne démontre pas les non-conformités des demandes de paiement ; en tout état de cause, la commune ne lui a notifié aucune décision de suspension des délais de paiement selon les formes requises par l'article R. 2192-27 du code de la commande publique ;
- sa créance au titre de l'indemnité pour frais de recouvrement n'est pas sérieusement contestable ; l'article 8.3 du CCAP prévoit une indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement par facture impayée et l'article L. 2192-13 du code de la commande publique prévoit que le créancier peut demander le remboursement des frais supérieurs à l'indemnité forfaitaire de recouvrement ; le recours à un avocat pour obtenir le paiement des situations litigieuses a été rendu nécessaire par le refus de paiement de la commune ; il n'était pas matériellement impossible pour la commune de régler les factures dès lors qu'elle a bénéficié d'un délai d'un mois pour ce faire après la mise en demeure du 28 mai 2021 faisant elle-même suite à plusieurs relances infructueuses ; le remboursement des frais supérieurs à l'indemnité forfaitaire de recouvrement inclut les frais d'avocat et la facture du cabinet d'avocats est produite ; elle est ainsi fondée à solliciter 80 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par facture et 1 634,29 euros au titre de l'indemnité supplémentaire de recouvrement ;
- compte tenu du refus caractérisé et inexpliqué de la commune de payer les états d'acompte, elle est fondée à solliciter le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre du mauvais vouloir de l'administration.
La requête a été communiquée le 17 août 2023 à la commune de Gennevilliers qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du 1er septembre 2023, le président de la cour a désigné Mme Signerin-Icre, présidente de la 5ème chambre, pour statuer en qualité de juge des référés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, tel que modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Entreprise Pitel, mandataire du groupement titulaire de l'accord-cadre n° 180098 " Entretien, grosses réparations et aménagement des bâtiments communaux " passé avec la commune de Gennevilliers et pour l'exécution duquel a été émis le bon de commande n° X002800 ayant pour objet le remplacement de l'ascenseur du château des Ménilles, fait appel de l'ordonnance du 22 juin 2023 par laquelle la vice-présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à la condamnation de la commune de Gennevilliers à lui verser une provision de 32 696,78 euros au titre du règlement des situations nos 1 et 2 relatives à ce bon de commande, des intérêts moratoires dus en raison du retard de paiement des sommes afférentes, des frais de recouvrement de ces sommes et de l'indemnisation d'un mauvais vouloir de la commune.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article 50.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), tel que modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre () ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / () / 50.1.2. Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. ". Aux termes de l'article 50.2 de ce cahier : " Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. ". Et aux termes de son article 50.3.1 : " A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. ".
3. D'une part, le silence gardé par la commune de Gennevilliers à la suite du courrier du 28 mai 2021, notifié le 31 mai suivant, par lequel la société Entreprise Pitel l'a mise en demeure de procéder au paiement des sommes réglant à rester au titre des situations nos 1 et 2 relatives au bon de commande n° X002800 ayant pour objet le remplacement de l'ascenseur du château des Ménilles, ainsi qu'au paiement des intérêts moratoires dus tant en raison du retard mis dans le paiement d'une partie des sommes afférentes aux situations nos 1 et 2 que du retard de paiement du reste de ces sommes et des frais de recouvrement, caractérise l'existence d'un différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur alors même que cette mise en demeure fixait un bref délai de quatre jours.
4. D'autre part, si la société Entreprise Pitel a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 30 juin 2021, soit seulement quinze jours après la réception par la commune de Gennevilliers de son mémoire en réclamation portant sur le paiement des situations nos 1 et 2 relatives au bon de commande n° X002800, les intérêts moratoires, les frais de recouvrement et l'indemnisation d'un mauvais vouloir de la commune, le délai dont disposait la commune pour répondre à ce mémoire en application des dispositions précitées de l'article 50.1.3. du CCAG Travaux était expiré à la date à laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a statué sur la demande de première instance, soit le 22 juin 2023, et une décision implicite de rejet était née à cette date. Dans ces conditions, le contentieux était lié à la date de l'ordonnance attaquée, ce qui faisait obstacle à ce qu'une fin de non-recevoir tirée du caractère prématuré de la demande soit opposée à la requérante.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Entreprise Pitel est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande comme irrecevable. L'ordonnance attaquée doit donc être annulée dans cette mesure.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Entreprise Pitel devant la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Sur la fin de non-recevoir du mémoire en défense :
7. Lorsqu'une partie est une personne morale, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. Tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen, l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / () 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal () ". Aux termes de l'article L. 2132-1 du même code : " Sous réserve des dispositions du 16° de l'article L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune. ". Enfin, aux termes de l'article L. 2132-2 : " Le maire, en vertu de la délibération du conseil municipal, représente la commune en justice. ".
8. En se bornant à soutenir que la commune de Gennevilliers, représentée par son maire en exercice, ne justifie pas de l'habilitation du maire pour ce faire, la société Entreprise Pitel ne conteste pas sérieusement la qualité du maire pour agir au nom de la commune. Par ailleurs, l'absence de qualité pour agir du maire pour représenter la commune ne ressort pas des pièces du dossier. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut de production de la délibération du conseil municipal habilitant le maire à agir en justice au nom de la commune doit être écartée.
Sur les conclusions à fin de provision présentées par la société Entreprise Pitel :
9. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. () ".
10. Si l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine les droits et obligations définitifs des parties, cette règle ne fait toutefois pas obstacle, eu égard notamment au caractère provisoire d'une mesure prononcée en référé, à ce qu'il soit ordonné au maître d'ouvrage de verser au titulaire d'un tel marché une provision au titre d'une obligation non sérieusement contestable lui incombant dans le cadre de l'exécution du marché, alors même que le décompte général et définitif n'aurait pas encore été établi. Notamment, lorsque le maître de l'ouvrage ne procède pas au versement d'acomptes auxquels a droit le titulaire du marché, ce dernier peut demander au juge des référés le versement d'une provision représentative de tout ou partie de leur montant. Toutefois, la notification par la personne responsable du marché, après l'achèvement des travaux, d'une décision prononçant des pénalités pour retard dans leur exécution, fait obstacle, alors même que le décompte général n'aurait pas encore été notifié à l'entreprise, à ce que ses demandes de paiement d'acomptes présentées antérieurement soient regardées, à concurrence du montant de ces pénalités, comme susceptibles de faire naître une obligation non sérieusement contestable à la charge du maître d'ouvrage.
11. Il résulte de l'instruction, en particulier des écritures de la commune en première instance, de la mise en demeure du 20 décembre 2020, du compte-rendu de la réunion de chantier du 9 février 2021 et du tableau des " pénalités spécifiques ", que la commune entend infliger à la société Entreprise Pitel des pénalités d'un montant de 1 059 850 euros HT au titre du défaut de remise de certains documents contractuels et de 64 176 euros au titre du retard dans l'exécution du chantier. Dans ces conditions, alors même que la société Entreprise Pitel conteste la régularité et le bien-fondé de ces pénalités, l'obligation dont elle se prévaut au titre du règlement partiel des situations nos 1 et 2, du retard de paiement de ces situations, des frais de recouvrement des sommes afférentes et de l'indemnisation d'un mauvais vouloir de la commune, qu'elle chiffre à la somme de 32 696,78 euros, ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.
12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer, les conclusions à fin de provision présentées par la société Entreprise Pitel doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Gennevilliers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2108462 du 22 juin 2023 de la vice-présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, est annulée en tant qu'elle a rejeté la demande présentée par la société Entreprise Pitel.
Article 2 : La demande présentée par la société Entreprise Pitel devant la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Entreprise Pitel et à la commune de Gennevilliers.
Fait à Versailles le 14 décembre 2023.
La présidente de la 5ème chambre,
Juge des référés
Corinne Signerin-Icre
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,