CAA Douai, 21/02/2023, n°21DA02389
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Auxiliaire de Parcs a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Dunkerque à lui verser la somme de 11 630 979,60 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017 avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice résultant, d'une part, des mesures de modification unilatérale des conditions d'exécution de l'ensemble contractuel conclu avec cette dernière les 23 juin 1993 et 11 juillet 1994 et, d'autre part, de la résiliation unilatérale de cet ensemble contractuel avec effet au 31 décembre 2016.
Par un jugement avant dire droit n° 183795 du 23 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille a prescrit la réalisation d'une expertise en vue, en premier lieu, de déterminer la durée normale d'amortissement des investissements mis à la charge de la SA Auxiliaire de Parcs par l'ensemble contractuel initial et par l'ensemble contractuel global incluant les contrats initiaux, le contrat d'affermage du 11 juillet 1994 et les différents avenants intervenus postérieurement, en deuxième lieu, d'indiquer, en fonction de la durée d'amortissement déterminée ci-dessus, si les investissements mis à la charge de la société dans le cadre de l'ensemble contractuel global auraient été amortis, en tout ou partie, à la date d'effet de la mesure de résiliation et, le cas échéant, de déterminer la valeur résiduelle restant à amoindrir à cette date, en troisième lieu, de déterminer la valeur nette comptable des investissements non amortis inscrite au bilan à la date de prise d'effet de la résiliation, tenant compte d'une durée d'exécution du contrat de quarante ans, en quatrième lieu, d'apporter au tribunal tout élément permettant de déterminer le montant du manque à gagner, en se fondant sur les résultats antérieurs à la résiliation et sur l'évolution potentielle du chiffre d'affaires de la société sur la période restant à courir des conventions ainsi que tout élément permettant de déterminer et, le cas échéant, évaluer le montant de la non-couverture par la société de ses frais généraux.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2021, la SA Auxiliaire de Parcs, représentée par Me Nil Symchowicz, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en désignant un expert aux fins :
- de déterminer si les hypothèses prises en considération pour déterminer la durée des relations contractuelles relatives, d'une part, aux charges d'investissement et d'exploitation et, d'autre part, aux recettes d'exploitation, étaient réalistes au regard des données prévisibles et effectives de l'exploitation ;
- d'évaluer la valeur nette comptable des investissements, inscrite au bilan à la date de prise d'effet de la résiliation, le bénéfice qu'elle pouvait attendre d'une exécution intégrale des contrats ainsi que la perte de couverture des frais généraux engendrée par la rupture des relations contractuelles.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que l'expertise est dépourvue de toute utilité en ce que, d'une part, elle vise à suppléer la carence de la commune de Dunkerque dans l'administration de la preuve, celle-ci n'ayant jamais démontré la durée excessive du contrat et, d'autre part, les premiers juges disposaient de l'ensemble des éléments pour statuer en toute connaissance de cause ;
- le jugement est également irrégulier dès lors que la mission confiée à l'expert l'invite à statuer sur des questions de qualification juridique des faits, ce dernier étant ainsi chargé de déterminer la durée normale d'amortissement dans une délégation de service public alors qu'il s'agit d'une notion purement juridique ;
- le tribunal aurait pu confier une mission technique à l'expert consistant à se prononcer sur le sérieux des hypothèses financières prises en considération au moment de la signature du contrat, hypothèses à l'origine de la détermination de sa durée ;
- à titre subsidiaire, la mission de l'expert, à supposer admise son utilité, devrait essentiellement porter sur les conditions dans lesquelles la durée a été déterminée par la commune de Dunkerque, en recherchant les hypothèses financières prises en considération en 1993 pour la détermination initiale de la durée de l'ensemble contractuel, au regard notamment des données prévisibles mais aussi effectives d'exploitation.
La commune de Dunkerque n'a pas produit de mémoire en défense malgré une mise en demeure en ce sens.
Par une ordonnance du 19 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 septembre 2022 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- et les observations de Me Hélène Scanvic, représentant la SA Auxiliaire de Parcs.
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 juin 1993, la commune de Dunkerque a conclu avec la société anonyme (SA) Auxiliaire de Parcs un contrat de concession portant sur l'exploitation du parc de stationnement situé place Jean Bart, un contrat de gestion déléguée du stationnement payant sur voirie et un traité commun organisant les modalités communes de ces conventions, ceci pour une durée de quarante ans à compter de la mise en service du parc de stationnement, soit le 1er juin 1995. Un contrat d'affermage du parc de stationnement situé cours François Bart, conclu le 11 juillet 1994 pour une durée identique à compter du 1er juillet 1994, s'est ajouté à cet ensemble contractuel. Par des avenants signés le 24 juillet 2012, ce dispositif contractuel a été modifié afin de tenir compte de la réorganisation de la politique de mobilité de la commune de Dunkerque qui souhaitait notamment augmenter le nombre de places de stationnement payant en voirie et créer des parcs en enclos sur la voirie publique. Puis, par délibération du 19 novembre 2015, le conseil municipal de Dunkerque a décidé de résilier unilatéralement l'ensemble de ces contrats pour motif d'intérêt général lié à leur durée excessive " au regard des investissements effectivement réalisés ", cette résiliation prenant effet à l'expiration du délai de préavis d'un an, soit le 31 décembre 2016. Par courrier du 18 février 2016, la SA Auxiliaire de Parcs a sollicité le retrait ou la modification de cette délibération afin de voir disparaître le terme de " durée excessive ". Cette demande a été rejetée le 20 mai 2016. La SA Auxiliaire de Parcs a alors, par courrier du 4 décembre 2017, demandé au maire de Dunkerque le versement d'une indemnité d'un montant de 15 424 005,48 euros en réparation du préjudice résultant, d'une part, des mesures de modification unilatérale décidées par la commune au cours de l'exécution du contrat de gestion déléguée et, d'autre part, de la mesure de résiliation unilatérale de l'ensemble contractuel. La commune de Dunkerque a refusé de faire droit à cette demande par un courrier du 19 février 2018.
2. La SA Auxiliaire de Parcs relève appel du jugement n° 1803795 du 23 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a, avant de statuer sur sa demande tendant à la condamnation de la commune de Dunkerque à lui verser la somme de 11 630 979,60 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017 avec capitalisation des intérêts, décidé qu'il serait procédé à une expertise avec mission pour l'expert, d'une part, de déterminer, dans les conditions exposées par les motifs du jugement, la durée normale d'amortissement des investissements mis à la charge de la société pour l'ensemble contractuel initial et global, d'autre part, d'indiquer, en tenant compte de la durée normale d'amortissement déterminée, si les investissements mis à la charge de la société dans le cadre de l'ensemble contractuel global, auraient été amortis, en tout ou partie, à la date d'effet de la mesure de résiliation et, le cas échéant, de déterminer la valeur résiduelle restant à amortir à cette date, ensuite, de déterminer la valeur nette comptable des investissements non amortis inscrite au bilan à la date de prise d'effet de la résiliation, tenant compte d'une durée d'exécution du contrat de quarante ans et, enfin, d'apporter tout élément permettant de déterminer le montant du manque à gagner et de la non-couverture par la société de ses frais généraux.
3. D'une part, aux termes de l'article R. 811-6 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 811-2, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige ".
4. La recevabilité d'une requête dirigée contre un jugement avant dire droit se bornant à prescrire une expertise est limitée à la contestation de l'utilité de cette expertise et des motifs du jugement qui constituent le soutien nécessaire du dispositif ordonnant cette mesure d'instruction.
5. D'autre part, aux termes de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, codifié à l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, alors en vigueur : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre. () ". Il résulte de ces dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.
6. Par ailleurs, eu égard à l'impératif d'ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention de délégation de service public dépassant la durée prévue par la loi constitue un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge.
7. La SA Auxiliaire de Parcs a fait valoir devant les premiers juges que la durée de quarante ans de l'ensemble contractuel était cohérente avec ses investissements initiaux au regard du taux de rentabilité interne (TRI) projeté de 9,10 %, lequel était compris dans la fourchette du TRI " projet de référence " fixé entre 8 % et 11% pour une délégation de service public de ce type. Cependant, elle ne s'est référée, à l'appui de sa démonstration, qu'à un taux de référence calculé à partir des caractéristiques de deux conventions conclues avec sa filiale de la région parisienne et la commune de Fontainebleau, le 4 janvier 1986, pour une durée de vingt-cinq ans et portant sur la modernisation et l'exploitation de cinq parcs de stationnement souterrains et sur voirie et sur la gestion du stationnement sur voirie, sans démontrer que le compte prévisionnel de résultat annexé à l'ensemble contractuel tenant compte d'une durée d'exécution de quarante ans correspondait à une hypothèse crédible en termes de charges et de recettes et lui permettait de dégager un bénéfice raisonnable.
8. Par ailleurs, la commune de Dunkerque, qui se bornait à soutenir devant le tribunal que la résiliation de l'ensemble contractuel pour durée excessive était justifiée eu égard, d'une part, aux prestations réelles et certaines demandées à la SA Auxiliaire de Parc, à savoir la construction et l'exploitation d'un seul parc de stationnement d'une capacité de deux cents places environ et l'exploitation du stationnement payant sur voirie, d'autre part, aux investissements mis à sa charge de 5 709 981 euros et, enfin, à l'amortissement technique des horodateurs ramené de quarante à dix ans par la société elle-même après vingt années d'exécution des conventions, n'établissait pas que la durée initialement fixée présentait un caractère excessif.
9. Dans ces conditions, le dossier soumis au tribunal administratif, notamment du fait de l'absence de tout élément sur le sérieux des hypothèses financières de l'offre de la société reposant sur une durée de quarante ans, au regard notamment des données prévisibles, mais aussi effectives d'exploitation, ne lui permettait pas d'apprécier si la durée de quarante ans prévue par les conventions litigieuses excédait la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement dans les conditions exposées au point 5 et si, à la date à laquelle la résiliation prenait effet, cette durée normale d'amortissement était atteinte. Il en résulte que la mesure d'expertise présente un caractère utile. Par ailleurs, en demandant à l'expert de déterminer la durée normale d'amortissement des investissements mis à la charge de la SA Auxiliaire de Parcs, le tribunal administratif ne lui a pas imposé de se prononcer sur des questions de droit. Par suite, la SA Auxiliaire de Parcs n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué. Elle n'est pas davantage fondée à demander, à titre subsidiaire, qu'il soit réformé en modifiant la mission confiée à l'expert alors que celle-ci est complète. Les questions posées à l'expert lui permettront en effet, d'une part, d'apprécier si les hypothèses prises en considération pour déterminer la durée des relations contractuelles relatives aux charges d'investissement et d'exploitation et aux recettes d'exploitation étaient réalistes au regard des données prévisibles et effectives de l'exploitation et, d'autre part, d'évaluer la valeur nette comptable des investissements inscrite au bilan à la date de prise d'effet de la résiliation, le bénéfice à attendre d'une exécution intégrale des contrats et la perte de couverture des frais généraux engendrée par la rupture des relations contractuelles. Par suite, il y a lieu de rejeter la requête de la SA Auxiliaire de Parcs.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Auxiliaire de Parcs est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auxiliaire de Parcs et à la commune de Dunkerque.
Délibéré après l'audience publique du 7 février 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au préfet du Nord, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
N°21DA02389