CAA Lyon, 02/02/2023, n°20LY03299
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Forbo Sarlino a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner sous astreinte l'office public départemental HLM Drôme Aménagement Habitat ainsi que l'Etat à lui verser la somme de 15 219,30 euros, assortie des intérêts au taux légal augmenté de 8 points à compter du 31 mars 2016, pour le paiement de la créance que lui a cédée la société Pro'pose Vos Sols, laquelle était titulaire du marché du lot n° 10 des travaux de construction de logements collectifs sous maîtrise d'ouvrage de Drôme Aménagement Habitat.
Par jugement n° 2000272 du 15 septembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande en rejetant la demande d'astreinte et en limitant le point de départ des intérêts au 31 août 2017.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 novembre 2020, l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat, représenté par la Selarl Retex Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 septembre 2020 et de rejeter la demande de la société Forbo Sarlino ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Forbo Sarlino une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier ; le tribunal a statué ultra petita et a méconnu le principe du contradictoire ; il a estimé à tort que la demande de la société Forbo Sarlino devait être regardée comme dirigée contre lui alors qu'il n'était à aucun moment cité dans les écritures des parties ; c'est à tort que les premiers juges n'ont pas écarté le mémoire en défense de la Direction générale des finances publiques enregistré au greffe du tribunal le 21 juillet 2017, son signataire M. A, ne justifiant pas d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- la demande était irrecevable et mal dirigée ; elle n'identifie pas Drôme Aménagement Habitat comme le défendeur et n'en mentionne ni le nom, ni le domicile dans ses écritures en méconnaissance de R. 411-1 du code de justice administrative ; la société Forbo Sarlino et le comptable public ne justifient pas d'une réclamation préalable liant le contentieux ;
- aucune faute ne peut être retenue à l'égard de Drôme Aménagement Habitat dans l'établissement de la cession de créance ; le certificat de cessibilité établi par le directeur de l'Office n'est ni infondé, ni injustifié ;
- le comptable public est le seul responsable du défaut de paiement à la société Forbo Sarlino et l'erreur de ce dernier aurait comme conséquence un double paiement de cette créance.
Par mémoire enregistré le 8 septembre 2022, la société Forbo Sarlino SAS, représentée par Me Laurent, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, d'une part, de condamner l'Etat, solidairement avec Drôme Aménagement Habitat, à lui verser la somme de 15 219,30 euros, d'autre part et par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a limité le point de départ des intérêts au 31 août 2017 et de les faire courir à compter du 31 mars 2016, sous astreinte journalière de 100 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat ou de Drôme Aménagement Habitat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la Cour appréciera la demande de condamnation solidaire de Drôme Aménagement Habitat.
La clôture de l'instruction a été fixée 10 octobre 2022, par une ordonnance du même jour prise en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Forestier pour l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat ;
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 21 mars 2014, l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat a confié à la société Pro'pose Vos Sols le lot n° 10 " revêtements de sols " des travaux de construction d'un bâtiment de vingt logements collectifs, à Crest. Afin d'exécuter sa prestation, la société Pro'pose Vos Sols s'est approvisionnée en sols souples auprès de la société Forbo Sarlino, pour un montant de 22 176 euros. Pour s'acquitter de sa dette, la société Pro'pose Vos Sols a cédé, le 22 juin 2015, à ce fournisseur une partie de la créance qu'elle-même détenait sur Drôme Aménagement Habitat au titre du règlement de son marché, alors qu'elle avait préalablement cédé la totalité de sa créance contractuelle à la Banque Populaire des Alpes par acte du 7 mai 2015, cession régulièrement notifiée, le 18 mai suivant, au comptable public de Drôme Aménagement Habitat, soumis au régime de la comptabilité publique jusqu'au 1er janvier 2016. La société Forbo Sarlino a régulièrement notifié l'acte de cession de créance au comptable public, le 30 juin 2015 et, le 23 juin 2015, la Banque Populaire a notifié au comptable une mainlevée de la cession qui lui avait été consentie, à hauteur de la somme de 22 176 euros. Le comptable public a cependant continué de procéder aux derniers paiements des travaux au titre de l'exécution du marché du lot n° 10 au profit de la Banque Populaire des Alpes, en dépit d'une nouvelle signification de la cession partielle de créance accomplie par la société Forbo Sarlino, le 6 avril 2016. La société Forbo Sarlino n'ayant pu obtenir le règlement du reliquat de sa créance, chiffré à 15 219,30 euros, a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui après avoir décliné sa compétence et sur renvoi du tribunal des conflits, a, par le jugement attaqué, condamné Drôme Aménagement Habitat à le lui verser outre intérêts au taux légal augmenté de huit points à compter du 31 août 2017.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. () ".
3. Il résulte de l'instruction que les parties n'ont pas été informées de ce que l'instance ouverte sous le n° 2000272 était la reprise d'une précédente instance à l'issue de laquelle le tribunal administratif de Grenoble avait, par ordonnance n° 1703184 du 20 décembre 2017, décliné sa compétence avant que le Tribunal des Conflits ne lui renvoie l'affaire par sa décision du 8 avril 2019. Dans ces conditions, en se fondant sur l'ensemble des pièces et mémoires notamment ceux échangés avant la décision du Tribunal des Conflits sans informer les parties de cette continuité d'instance, le tribunal a méconnu le principe du contradictoire et entaché son jugement d'irrégularité. Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués au titre de la régularité du jugement attaqué, l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat est fondé à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Forbo Sarlino devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la recevabilité de la demande :
5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat, la demande de la société Forbo Sarlino a été précédée d'une réclamation préalable qui lui été adressée par courrier du 21 avril 2016 et qu'elle a d'ailleurs rejetée le 29 avril suivant.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment des mémoires produits avant la saisine du Tribunal des Conflits et à nouveau versés aux débats en appel, que la société Forbo Sarlino a entendu poursuivre tant l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat, qui est expressément mentionné dans ses écritures, que l'Etat pour recouvrer sa créance. Drôme Aménagement Habitat n'est donc pas fondé à soutenir que les conclusions de la société Forbo Sarlino n'étaient dirigées que contre l'Etat et son comptable public, ni, en tout état de cause, que les demandes de la société Forbo Sarlino ne se conformaient pas au formalisme des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire de la société Forbo Sarlino :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 1690 du code civil : " Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur () ".
8. Il résulte de l'instruction que lorsqu'au 30 juin 2015, la société Forbo Sarlino a signifié au comptable public de l'OPHLM la cession à son profit de la créance contractuelle de 22 176 euros détenue par la société Pro'pose Vols Sols, la Banque populaire des Alpes avait auparavant notifié, le 23 juin 2015, la mainlevée de la cession de créance dont elle avait initialement bénéficié de la part de Pro'pose Vos Sols, manifestant ainsi l'abandon de ses droits à paiement de la somme de 22 176 euros. Partant, à compter du 30 juin 2015, l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat ne pouvait régulièrement s'acquitter de cette dette qu'entre les mains de la société Forbo Sarlino. La circonstance que les paiements aient été effectués à tort par le comptable public à un tiers qui n'avait plus la qualité de cessionnaire n'a pu avoir pour effet de libérer l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat de sa dette envers la société Forbo Sarlino, qui pour la somme demeurant en litige, restait son unique créancier et dont il était l'unique débiteur. Par suite, l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat doit être condamné à verser à la société Forbo Sarlino la somme de 14 907,97 euros, montant du reliquat de la créance hors imputation des intérêts de retard ou de pénalités.
9. En revanche, les erreurs du comptable assignataire n'ont pas eu pour effet de rendre l'Etat débiteur de tout ou partie de la dette en litige qui trouve exclusivement sa cause dans le marché public conclu entre l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat et la société Pro'pose Vols Sols, et dans la cession de créance consentie par cette entreprise au demandeur de première instance. Il suit de là que les conclusions de la société Forbo Sarlino dirigées contre l'Etat doivent être rejetées.
10. En second lieu, en vertu des articles 1343-1 et 1343-5 du code civil, lorsque l'obligation de somme d'argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Les intérêts au taux légal majorés courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à la date de cette saisine. Il résulte de l'instruction qu'ils doivent courir à compter du 21 avril 2016, date à laquelle la réclamation préalable a été notifiée à l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat. En revanche, l'indemnité de recouvrement prévue à l'article 441-6 du code de commerce n'est pas justifiée au regard des stipulations contractuelles.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Forbo Sarlino est fondée à demander la condamnation de l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat à lui verser la somme de 14 907,97 euros, assortie des intérêts au taux légal majorés à compter du 21 avril 2016, date de l'exigibilité de sa créance, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Forbo Sarlino ou de l'Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes, la somme demandée par l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Forbo Sarlino dirigées contre l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000272 du tribunal administratif de Grenoble du 15 septembre 2020 est annulé.
Article 2 : L'OPHLM Drôme Aménagement Habitat versera à la société Forbo Sarlino la somme de 14 907,97 euros, assortie des intérêts au taux légal majorés à compter du 21 avril 2016.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Forbo Sarlino, à l'OPHLM Drôme Aménagement Habitat et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.
La rapporteure,
C. Psilakis
Le président,
Ph. Arbarétaz
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,