CAA Paris, 17/01/2023, n°21PA04865
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Génie Civil Calédonien (GC2) a saisi le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'une demande tendant à la condamnation de la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 31 431 447 francs CFP en réparation du préjudice causé par son éviction irrégulière du marché public de travaux relatif à la rénovation et à la sécurisation du foyer d'action éducative de Païta conclu le 4 avril 2019 entre la
Nouvelle-Calédonie et la société Optimus.
Par un jugement n° 2000444 du 27 mai 2021, le Tribunal administratif de la
Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2021, la société Génie Civil Calédonien, représentée par Me Elmosnino, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 mai 2021 du Tribunal administratif de la
Nouvelle-Calédonie ;
2°) de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 31 431 447 francs CFP ;
3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 350 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a retenu la Nouvelle-Calédonie, son offre était conforme et elle a présenté l'ensemble des pièces requises par le règlement particulier d'appel d'offres ;
- l'entreprise attributaire du marché (la société Optimus) ne disposait pas des capacités nécessaires à la réalisation du marché de travaux dès lors qu'elle était en situation de cessation de paiement et qu'une procédure collective était en cours depuis le 4 mars 2019 ; par ailleurs, cette société n'avait pas fourni les attestations fiscales et CAFAT à jour ;
- elle justifie d'une chance sérieuse d'obtenir le marché ; elle a ainsi droit à l'indemnisation de la perte de la marge nette que le marché lui aurait procurée, soit la somme de 31 431 447 francs CFP.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2022, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Meier-Bourdeau Lecuyer, conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Génie civil calédonien au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Génie civil calédonien sont infondés, outre que le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Optimus est inopérant.
Par un mémoire, enregistré le 17 août 2022, la société Optimus, représentée par
Me Pieux, conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 360 000 Fr. Pacifique (3000 € ) soit mise à la charge de la société Génie civil calédonien au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Génie civil calédonien sont infondés.
Par une ordonnance du 19 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au
2 septembre 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;
- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lécuyer pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Considérant ce qui suit :
1. La Nouvelle-Calédonie a lancé, par un avis d'appel public à la concurrence publié les 1er et 2 février 2019, une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché de travaux relatif à la rénovation et à la sécurisation du foyer d'action éducative de Païta.
Ce marché a été attribué à la SARL Optimus. La société Génie Civil Calédonien (GC2), dont l'offre a été écartée, a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner
la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 31 431 447 francs CFP en réparation des préjudices résultant de son éviction irrégulière. Elle relève appel du jugement du 27 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
3. Aux termes de l'article 13-3 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics en Nouvelle-Calédonie, applicable à la procédure de passation du marché litigieux : "L'exécution des marchés ne peut être confiée qu'aux entreprises ayant les capacités juridiques, techniques et financières nécessaires. L'administration apprécie souverainement ces capacités ()". Aux termes de l'article 27-2 de cette délibération : "La commission d'appel d'offres arrête la liste des soumissionnaires admis à concourir, élimine les offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables, procède au classement des offres par ordre décroissant et propose d'attribuer le marché au candidat dont l'offre correspond le mieux aux besoins exprimés. ()".
4. Un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d'éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c'est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières.
5. En vertu de l'article 3.1 du règlement particulier d'appel d'offres (RPAO), chaque dossier de candidature devait être composé des pièces suivantes : - la déclaration d'intention de soumissionner (DIS) ; - un extrait K-BIS datant de moins de 3 mois à la date de remise de l'offre ; - une note établissant les références du candidat, conforme au modèle joint en annexe 3 du RPAO ; - une note indiquant ses moyens techniques ; - un état des effectifs ; - le plan de charge pour la période de mars à novembre 2019 ; - une attestation d'assurance en responsabilité civile professionnelle à jour concernant le domaine d'activités qui correspond aux prestations pour lesquelles le candidat soumissionne, avec indication du montant maximal garanti (ou extrait du contrat correspondant) ; - une attestation de domiciliation bancaire ; - le certificat de visite des lieux. Le même règlement précisait que : " lorsque l'offre est présentée en groupement, chaque membre du groupement doit inclure dans l'enveloppe extérieure son dossier de candidature pour lui-même et pour ses sous-traitants dans l'ordre et les formes précisées ci-dessus ". Il résulte de l'instruction que la société GC2 a proposé une offre en groupement constitué de sept cotraitants, lesquels devaient donc, pour répondre aux exigences fixées par l'article 3.1 du RPAO précité, également fournir l'ensemble des pièces exigées par le règlement. Le procès-verbal de la commission technique de dépouillement des offres du 7 mars 2019 fait apparaître qu'aucun des cotraitants de la société GC2 n'a fourni d'attestation bancaire ni de certificat de visite et qu'il manquait le plan de charge pour quatre d'entre eux. Si elle conteste, par une affirmation générale, le fait que ses cotraitants n'avaient pas fourni de dossiers complets, elle ne produit aucun justificatif pas plus en première instance qu'en appel. Dès lors, la société GC2 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que son offre a été écartée comme non conforme.
6. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Il s'en suit que lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.
7. La société requérante soutient que l'offre de la société Optimus, aurait dû être écartée dès lors, d'une part, qu'elle était en situation de cessation de paiement et qu'une procédure collective était en cours depuis le 4 mars 2019 et, d'autre part, que cette société n'avait pas fourni les attestations fiscales et CAFAT (caisse de compensation des prestations familiales des accidents du travail et prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie) à jour. En l'espèce, comme il a été dit au point 5, l'éviction de la société requérante du marché litigieux est fondée sur le caractère non conforme de son offre. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été évincée du marché du fait d'une irrégularité ayant concerné la société Optimus. Dès lors, l'irrégularité de l'offre de la société Optimus ne saurait, en tout état de cause, être la cause directe de son éviction.
8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été évincée irrégulièrement du marché public litigieux. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Génie civil calédonien n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
10. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Génie civil calédonien au titre du même article, une somme de 1 500 euros à verser à la Nouvelle-Calédonie. Il n'y a pas lieu, en revanche, en l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre du même article par la société Optimus qui n'a que la qualité d'observateur dans ce litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Génie civil calédonien est rejetée.
Article 2 : La société Génie civil calédonien versera la somme de 1 500 euros à la
Nouvelle-Calédonie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Optimus au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Génie civil calédonien et à la
Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée à la société Optimus.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 janvier 2023.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
T. CELERIER
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.