CAA Toulouse, 06/12/2022, n°20TL02763
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Beming a demandé au tribunal administratif de Nîmes, par trois demandes distinctes, l'annulation de la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes a implicitement refusé de lui verser la somme de 242 408,49 euros hors taxes, soit 290 890,18 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts moratoires, et de leur capitalisation au titre du marché de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la réorganisation de son service de stérilisation, d'enjoindre au directeur précité de procéder à la régularisation du marché par la voie d'avenant sous quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir, d'annuler le décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre qui lui a été notifié le 27 février 2018 ainsi que la décision du 23 mars 2018 par laquelle le directeur de cet établissement a rejeté sa réclamation du 12 mars 2018 formée à la suite de la notification du décompte général du marché, et de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 290 890,18 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices subis, augmentée des intérêts moratoires " au taux BCE + 8 points " à compter du 13 mars 2018, avec capitalisation annuelle.
Par un jugement n°s 1801232-1900414-1801539 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Nîmes a joint ces trois demandes et les a rejetées.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 6 août 2020, puis réenregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et des mémoires des 15 février, 15 juillet, et 8 septembre 2021, la société Beming, représentée par la SCP Richer et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) dans le dernier état de ses conclusions, de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 290 890,18 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires, à compter du 13 mars 2018, au taux BCE majoré de 8 points et de leur capitalisation ainsi que la somme de 15 000 euros HT, soit 18 000 euros TTC au titre de la mission complémentaire "détails quantitatifs estimatifs" (DQE) et, subsidiairement, la désignation d'un expert ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qui lui oppose le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, les conclusions tendant à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 15 000 euros HT au titre de la mission complémentaire " détails quantitatifs estimatifs " sont recevables dès lors qu'elles ne procèdent pas d'une cause juridique nouvelle, se rattachant à la contestation du décompte général ;
- le jugement de première instance est entaché d'une erreur d'appréciation des faits de l'espèce, quant à l'absence de reconnaissance d'un préjudice subi par la société Beming à raison d'une modification du programme par le maître d'ouvrage ;
- ainsi, l'article 1 du cahier des clauses techniques particulières prévoyait que l'intervention aurait lieu en milieu non occupé dans un temps réduit pendant lequel le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes devait externaliser la stérilisation pour permettre cette intervention ; or, lors de la première réunion d'études, le maître d'ouvrage a entendu procéder à un phasage des travaux afin que ceux-ci puissent se dérouler en site occupé ; il s'en est suivi un décalage de 20 mois dans la réalisation du projet, ainsi qu'un décalage supplémentaire de 15 mois pour le suivi technique et administratif ;
- elle a été chargée d'un nombre important de tâches justifiant l'annonce, par un courrier du 1er décembre 2016 du maître d'ouvrage, d'une revalorisation de ses honoraires, à condition que la réception de l'ouvrage puisse être prononcée ; or, il n'a jamais procédé à cette revalorisation ;
- parmi les charges supplémentaires qui lui ont été imposées, se trouvent celles ayant trait à la mission de conception, mais également à la mission DET, à la mission AOR et à la mission d'OPC ; il devait être tenu compte de la complexité de la mission ; la mission OPC devient plus complexe quand le programme est modifié pour qu'une intervention se fasse en site occupé, ce qui allonge la durée du chantier ; si le tribunal a considéré que le planning ne permettait pas compte tenu de sa présentation, de démontrer l'accomplissement d'un travail supplémentaire, l'établissement du planning était rendu complexe par la multitude d'intervenants sur le chantier ;
- le centre hospitalier régional et universitaire ne justifie pas, de plus, que la part des travaux supplémentaires imputables à la maîtrise d'ouvrage ne correspondrait qu'à un écart de 2,52 % ; le différend des parties relatif à la phase SSI, qui est postérieure à la réception des travaux en février 2016, n'a aucun lien avec la réalisation du programme, au titre duquel la société demandait une indemnisation ; en outre, elle a mis en demeure le maître d'ouvrage d'enjoindre au bureau de contrôle de répondre aux demandes de la maîtrise d'œuvre, ou à défaut de résilier le marché de cette société ; il ne peut donc lui être reproché de ne pas s'être préoccupée de désigner un contrôleur de travaux en septembre 2016 ,
- la modification du programme du marché lui a causé un préjudice en termes de rémunération de sa mission de maîtrise d'œuvre ; en effet, le montant des travaux est passé de 750 000 euros, avec une rémunération de la maîtrise d'œuvre de 65 300 euros TTC, à 851 629,15 euros TTC avec un coefficient de complexité qui doit être relevé à 1,8 ; la rémunération de la maîtrise d'œuvre doit donc s'élever à 178 062,95 euros HT ;
- elle a subi également un préjudice au titre de la perte d'industrie, lié à la perte de couverture de ses charges fixes pour un délai de vingt mois de décalage correspondant à la somme de 35 073,06 euros HT ;
- le décalage du planning des travaux de vingt mois a également entraîné une perte de rendement de son personnel, évaluée, pour quatre personnes affectées à 25 % sur le projet, à la somme de 25 274,15 euros ;
- les intérêts moratoires sollicités commencent à courir à compter de la réception du mémoire de réclamation, au taux légal augmenté de huit points, conformément à l'article 4.4 du cahier des clauses administratives particulières du marché.
Par deux mémoires, enregistrés les 25 mai et 23 août 2021, le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, représenté par Me Vrignaud, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Beming le paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions présentées en appel par la société Beming tendant à le condamner à verser la somme de 15 000 euros au titre de la mission complémentaire et, subsidiairement, à la désignation d'un expert, constituent des conclusions nouvelles qui sont irrecevables en appel et, en outre, ces conclusions indemnitaires sont également irrecevables faute pour la société Beming d'avoir porté ce différend selon les modalités prévues par l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- les autres moyens invoqués par la société Beming ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 10 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 14 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guiorguieff, représentant la société Beming.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 22 avril 2014, le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes a confié à la société Beming, mandataire d'un groupement conjoint, une mission de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la réorganisation de son service de stérilisation sous la forme d'un marché public en procédure adaptée passé en application du I de l'article 28 du code des marchés publics. L'article 3 de l'acte d'engagement prévoyait que la durée globale prévisionnelle d'exécution du marché de maîtrise d'œuvre était de trente-six mois. Conformément aux stipulations de l'article I.1 du cahier des clauses techniques particulières du marché, l'opération devait être réalisée en deux phases, conditionnées par des opérations connexes d'achats de laveurs, d'autoclaves et la libération d'un espace de fabrication de médicaments cytostatiques produits dans cette zone, les deux tranches de travaux devant être réalisées en juillet et août 2014, pour l'une, et pour l'autre en 2015 pour la même période de juillet et août . Selon ce même article du cahier des clauses techniques particulières, la zone concernée devait correspondre à l'ensemble de la stérilisation en prévoyant que "l'intervention aurait lieu en milieu non occupé, mais dans un temps imparti réduit, temps pendant lequel le CHU (devait) externaliser sa stérilisation". L'acte d'engagement fixait le forfait de rémunération du maître d'œuvre à la somme de 75 000 euros hors taxes, soit un taux de rémunération de 10 % au regard du coût prévisionnel des travaux, évalué à 250 000 euros hors taxes pour la phase 1 des travaux et à 500 000 euros hors taxes pour la phase 2. Les travaux ont été réceptionnés par procès-verbal du 22 septembre 2016. Par un mémoire en réclamation du 8 novembre 2017, reçu le 6 décembre suivant, la société Beming a mis en demeure le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes d'enjoindre au bureau de contrôle de répondre à ses demandes aux fins de pouvoir réceptionner l'ouvrage et de revaloriser ses honoraires et a sollicité, compte tenu de la modification du programme du marché et de l'augmentation du montant initial des travaux, la signature d'un avenant de régularisation au regard de son préjudice financier. Par une décision du 7 février 2018, le directeur du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes a implicitement refusé de procéder à une telle régularisation et de verser à la société la somme réclamée au titre de la modification du programme du marché. Par un ordre de service notifié le 27 février 2018, le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes a communiqué à la société Beming le décompte général définitif du marché daté du 22 février 2018 pour un montant de 80 903,56 euros hors taxes. La société requérante a alors émis des réserves sur ce décompte et adressé au maître d'ouvrage un mémoire en réclamation en date du 12 mars 2018 auquel le directeur du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes a opposé un refus, par courrier du 23 mars 2018.
2. Par la présente requête, la SAS Beming demande à la cour l'annulation du jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 290 890,18 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices subis, augmentée des intérêts moratoires " au taux BCE + 8 points " à compter du 13 mars 2018, avec capitalisation annuelle. Elle demande également à la cour, dans le dernier état de ses écritures, la condamnation du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 15 000 euros hors taxes, soit 18 000 euros toutes taxes comprises, au titre de la mission complémentaire "détails quantitatifs estimatifs", et subsidiairement la désignation d'un expert.
Sur la fin de non-recevoir opposée aux conclusions de la société Beming tendant à la condamnation du centre hospitalier hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 18 000 euros au titre de la mission complémentaire "détails quantitatifs estimatifs":
3. Aux termes de l'article 37 de l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles : "() Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'une lettre de réclamation exposant les motifs de son désaccord et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Cette lettre doit être communiquée au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. /Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception de la lettre de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation".
4. En l'espèce, faute pour la société Beming d'avoir respecté la procédure prévue par les stipulations précitées de l'article 37 de l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier régional et universitaire à lui verser la somme de 18 000 euros au titre de la mission complémentaire "détails quantitatifs estimatifs" sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions de la société Beming tendant à la condamnation du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes à lui verser la somme de 290 890,18 euros au titre des dépenses exposées dans le cadre de l'exécution du marché :
5. Aux termes de l'article 9 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre : " La mission de maîtrise d'œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement. Le montant de cette rémunération tient compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux". Aux termes de l'article 29 du décret du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : "Le contrat fixe la rémunération forfaitaire du maître d'œuvre. Cette rémunération décomposée par éléments de mission tient compte : / a) De l'étendue de la mission () / b) Du degré de complexité de cette mission () / c) Du coût prévisionnel des travaux basé soit sur l'estimation prévisionnelle provisoire des travaux établie par le maître d'œuvre lors des études d'avant-projet sommaire, soit sur l'estimation prévisionnelle définitive des travaux établie lors des études d'avant-projet définitif ". Aux termes de l'article 30 du même décret : " Le contrat de maîtrise d'œuvre précise, d'une part, les modalités selon lesquelles est arrêté le coût prévisionnel assorti d'un seuil de tolérance, sur lesquels s'engage le maître d'œuvre, et, d'autre part, les conséquences, pour celui-ci, des engagements souscrits. () En cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'œuvre fait l'objet d'un avenant qui arrête le programme modifié et le coût prévisionnel des travaux concernés par cette modification, et adapte en conséquence la rémunération du maître d'œuvre et les modalités de son engagement sur le coût prévisionnel".
6. Il résulte de ces dispositions, ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte et que seules une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché, si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
7. Dans l'hypothèse où une modification de programme ou de prestations a été décidée par le maître de l'ouvrage, le droit du maître d'œuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage. En revanche, ce droit n'est subordonné ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé en application des dispositions de l'article 30 du décret susvisé du 29 novembre 1993, ni même, à défaut d'avenant, à celle d'une décision par laquelle le maître d'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'œuvre.
8. Aux termes de l'article 3.1 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché : "Les prestations faisant l'objet du marché seront réglées par un prix forfaitaire selon les stipulations de l'acte d'engagement". Aux termes de l'article 3.2 du même document : "Le forfait définitif de rémunération est le produit du taux de rémunération fixé à l'acte d'engagement par le montant du coût prévisionnel des travaux sur lequel s'engage le maître d'œuvre. Ce forfait est exclusif de tout autre émolument au remboursement de frais au titre de la même mission. Le maître d'œuvre s'engage à ne percevoir aucune autre rémunération dans le cadre de la réalisation de l'opération. Le forfait définitif est réputé établi sur la base des conditions économiques en vigueur au mois Mo des études". En application de l'article 1.1 du cahier des clauses techniques particulières du marché, l'opération de réhabilitation et de réorganisation du service de stérilisation du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes devait être réalisée en deux phases, conditionnées par des opérations connexes d'achats de laveurs, d'autoclaves et la libération d'un espace de fabrication de médicaments cytostatiques produits dans cette zone, les deux tranches de travaux, dont une ferme et une conditionnelle, devant être réalisées durant les mois de juillet et août 2014, pour l'une, et, pour l'autre, en 2015, pour la même période de juillet et août. Selon ce même article du cahier des clauses techniques particulières " l'intervention aurait lieu en milieu non occupé, mais dans un temps imparti réduit, temps pendant lequel le CHU (devait) externaliser sa stérilisation ".
9. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, qu'alors que l'article I. 1 du cahier des clauses techniques particulières stipulait que l'intervention de la société Beming devait s'effectuer en milieu non occupé, lors d'une réunion du 24 avril 2014 ayant précédé le début des travaux décidé par l'ordre de service émis le même jour par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, il a été demandé à la société Beming d'effectuer les travaux "dans un site occupé en activité, une continuité de service (étant) demandée". Ainsi que le fait valoir la société appelante, le changement dans les conditions d'exécution du marché était de nature, compte tenu notamment des contraintes supplémentaires inhérentes à la stérilisation des locaux, induites par son intervention en milieu occupé, à ouvrir droit à une rémunération de la maîtrise d'œuvre supérieure à celle accordée forfaitairement par l'acte d'engagement. Toutefois, pas plus en appel qu'en première instance, la société Beming ne justifie par les documents qu'elle produit de l'existence de dépenses supplémentaires qu'elle aurait engagées pour l'exécution du marché du fait de la modification du programme de ce marché par le maître d'ouvrage. En effet, elle se borne en appel à renvoyer aux documents produits devant le tribunal administratif et qui se présentent sous forme d'un tableau établi par elle, dont il n'est pas établi qu'il reprendrait des éléments de sa comptabilité. En tout état de cause et ainsi que le fait valoir le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, il ne résulte pas de l'instruction que les heures accomplies pendant les phases 1 et 2 des travaux constitueraient des heures supplémentaires dont elle n'aurait pas déjà été indemnisée par les rémunérations de maîtrise d'œuvre dues par le centre hospitalier en vertu de l'annexe n° 1 "Missions et répartition des honoraires" de l'acte d'engagement du 22 avril 2014. Il en est de même des tableaux produits en première instance, auxquels renvoie la requête d'appel, se rapportant à des notes de frais qui auraient été exposés entre 2014 et 2017 par des salariés de la société, au sujet desquels la société appelante ne soutient pas qu'ils ne feraient pas double emploi avec les sommes dues sur la base de l'acte d'engagement. En tout état de cause, les documents produits ne sont pas issus de sa comptabilité et, par suite, ne peuvent être regardés comme ayant une valeur probante. Si, par ailleurs, la société Beming a produit en appel, en annexe à son mémoire du 15 juillet 2021, un calendrier d'exécution des travaux, allant de février 2014 à septembre 2015, ce document ne comporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait exposé des dépenses supplémentaires du fait de la réalisation des travaux en site occupé. Dans ces conditions, et alors que, de plus, le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, contrairement à ce que soutient la société Beming, aurait pu, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, utilement opposer à la société des manquements à ses obligations relatives au suivi des travaux du système de sécurité incendie, qui relevaient de sa mission de maîtrise d'œuvre, les conclusions de l'appelante tendant à la condamnation du centre hospitalier régional et universitaire à lui verser des sommes supplémentaires au titre de l'exécution de ses missions de maîtrise d'œuvre doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fins d'expertise :
10. Faute pour la société Beming de produire des éléments sérieux et fiables, qui constitueraient un commencement de preuve quant à l'existence de dépenses supplémentaires qui auraient été induites par la modification par le maître d'ouvrage des conditions d'exécution du marché, ses conclusions subsidiaires tendant à la désignation d'un expert, lesquelles, contrairement à ce qu'il est opposé en défense par le centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, ne sont pas irrecevables dès lors qu'elles peuvent être présentées à tout moment de la procédure, doivent être écartées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Beming n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Beming demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Beming au bénéfice du centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Beming est rejetée.
Article 2: La société Beming versera au centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Beming et au centre hospitalier régional et universitaire de Nîmes.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
20TL02763