CAA Versailles, 04/07/2023, n°23VE00238

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société générale de faux-plafonds et isolation a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541- 1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Clamart à lui verser, à titre principal, une provision de 280 676,17 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er novembre 2021 et de l'indemnité forfaitaire de 40 euros, à titre subsidiaire, une provision de 133 482,58 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er novembre 2021 et de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et, en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Clamart la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2215497 du 19 janvier 2023, la vice-présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 février 2023, la Société générale de faux-plafonds et isolation, représentée par Me Chamard-Sablier, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Clamart à lui verser une provision de 280 676,17 euros TTC au titre du solde du marché, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation ainsi que de l'indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Clamart à lui verser une provision de 133 482,58 euros TTC au titre du solde du marché, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Clamart la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa créance n'est pas sérieusement contestable dès lors qu'un décompte général et définitif est intervenu tacitement le 30 septembre 2021, conformément aux dispositions de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ; elle a transmis son projet de décompte final accompagné d'un mémoire en réclamation, simultanément à la commune et au maître d'œuvre, par lettre du 11 août 2021, notifiée respectivement les 13 et 14 août 2021 ; la commune ne lui ayant pas notifié de décompte général dans le délai d'un mois imparti à compter du 14 août 2021, elle a établi un projet de décompte général qu'elle a transmis à la commune avec copie au maître d'œuvre par lettre du 17 septembre 2021, reçu le 20 septembre 2021 ; la commune ne lui ayant pas notifié de décompte général dans le délai de dix jours imparti à compter du 20 septembre 2021, son projet de décompte général est devenu le décompte général et définitif le 30 septembre 2021 ;

- le décompte général et définitif lie définitivement les parties et ne peut plus donner lieu à contestation, en vertu de l'alinéa 4 de l'article 13.4.4 du CCAG travaux et la commune ne peut plus remettre en cause le montant de sa créance ;

- c'est à tort que la vice-présidente du tribunal administratif a considéré qu'elle n'établissait pas avoir transmis son projet de décompte final simultanément au représentant du pouvoir adjudicateur et au mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre alors qu'elle a produit le relevé d'étapes de la livraison émanant des services postaux et que la vice-présidente du tribunal administratif a d'ailleurs constaté qu'un colis dont le numéro correspond à celui indiqué sur la lettre d'envoi du projet de décompte final a été vainement présenté au siège du mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre ;

- il ne lui appartenait pas d'établir que le facteur avait informé le destinataire du colis de la mise en instance du colis dès lors que l'article 13.3.2 du CCAG Travaux impose seulement de transmettre le projet de décompte final par tout moyen permettant d'en donner une date certaine ; il n'est de toute façon pas possible pour l'expéditeur d'établir qu'un avis de passage a bien été adressé au destinataire ;

- elle ne peut être tenue pour responsable du manque de diligence du maître d'œuvre qui a admis que le colis n'avait pas été retiré car la société était en congés et dont les courriers adressés en recommandé au maître d'œuvre reviennent régulièrement avec la mention " pli avisé non réclamé " ;

- la notification du projet de décompte final au maître d'œuvre doit être réputée accomplie au 14 août 2021, date à laquelle les services postaux ont présenté le pli pour la première fois ;

- la transmission par la commune d'un " projet rectificatif de décompte " par lettre du 13 décembre 2021, soit postérieurement à l'intervention du décompte général et définitif tacite, est sans incidence ; ce document ne peut, de toute façon, pas être considéré comme le décompte général dès lors que la commune indique qu'il s'agit d'un projet rectificatif de décompte et précise qu' " un décompte final est actuellement en cours d'élaboration ", que ce document n'est pas signé par la commune et qu'il est tardif ;

- le courrier du maître d'œuvre du 10 novembre 2021 ne mentionne pas un refus du projet de décompte général ; en tout état de cause, la circonstance selon laquelle le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage auraient manifesté leur opposition au projet de décompte général est inopérante dès lors qu'il appartenait à la commune de lui notifier le décompte général de son marché dans le délai de dix jours ;

- la commune a admis qu'elle se trouvait a minima débitrice de la somme de 133 482,58 euros TTC ;

- le bon usage des deniers publics ne fait pas obstacle à la condamnation de la commune à verser une provision.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 avril 2023, la commune de Clamart, représentée par Me Aaron, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la Société générale de faux-plafonds et isolation la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun décompte général et définitif n'est né tacitement le 1er octobre 2021 dès lors que la Société générale de faux-plafonds et isolation n'a respecté ni les règles de transmission du projet de décompte final prévues par le CCAG travaux, ni les règles de preuve de la notification par voie postale ; en effet, la requérante n'a pas transmis son projet de décompte final au mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre simultanément à sa transmission au maître d'ouvrage, en méconnaissance de l'article 13.3.2 du CCAG travaux ; elle reconnaît elle-même ne pouvoir prouver qu'un avis de passage a bien été déposé dans la boîte aux lettres du maître d'œuvre, n'ayant pas demandé à l'administration postale une attestation de distribution du colis, la capture d'écran du suivi colissimo ne comportant pas de mentions précises, claires et concordantes mais démontrant au contraire qu'aucun avis de passage n'a été déposé et les mentions portées sur le colissimo ne permettant pas de vérifier que le colis a été envoyé à la bonne adresse ; par ailleurs, il existe un désaccord sur le montant des sommes dues au titulaire puisque le maitre d'œuvre a refusé le document du 17 septembre 2021 envoyé par le titulaire et a ensuite rédigé un projet de décompte rectifié que l'exposante a communiqué à la requérante ;

- à titre subsidiaire, la réclamation de la Société générale de faux-plafonds et isolation est infondée dès lors que l'exposante, qui ne peut pas être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas, ne lui doit que 133 482,59 euros TTC ; s'agissant des travaux supplémentaires, le titulaire connaissait la réglementation à appliquer pour la pose et le scellement des bâtis de portes ; s'agissant des travaux réalisés en exécution de l'ordre de service n° 4, certains étaient prévus au marché, les travaux de peinture ont été rendus nécessaires à cause du mauvais ordonnancement des travaux par le titulaire et l'accès en partie haute pour les jouées de plafond font partie de la prestation contractuelle initiale et une partie de la prestation n'a pas été réalisée, de sorte que le maître d'ouvrage ne doit que 13 026,33 euros HT ; s'agissant des travaux réalisés en exécution de l'ordre de service n° 5, il appartenait au titulaire de commander les portes CF1H ; s'agissant du décalage du planning, la réception des ouvrages a été prononcée plus d'un an avant la réclamation à ce titre, le titulaire avait accumulé du retard avant la période de restriction de déplacement liée à l'épidémie de Covid 19, des prestations ont été sous-traitées alors que le titulaire s'était engagé à ne pas recourir à la sous-traitance et une moins-value de 28 554,49 euros HT doit être appliquée pour travaux non réalisés ;

- la Société générale de faux-plafonds et isolation lui doit la somme de 946 045,22 euros TTC au titre du nettoyage complet de fin de chantier qu'elle n'a pas réalisé et des pénalités de retard.

Par une décision du 1er septembre 2022, le président de la cour a désigné Mme Signerin-Icre, présidente de la 5ème chambre, pour statuer en qualité de juge des référés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;

- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La Société générale de faux-plafonds et isolation, titulaire du marché " Menuiseries intérieures / Cloisons / Faux plafonds / Isolations intérieures / peinture / Revêtements de sol " dans le cadre de l'opération de construction d'un groupe scolaire et d'un centre de loisirs dont la commune de Clamart était maître d'ouvrage, fait appel de l'ordonnance du 19 janvier 2023 par laquelle la vice-présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Clamart à lui verser une provision de 280 676,17 euros au titre du solde du marché.

Sur les conclusions à fin de provision :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. () ".

3. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

4. Aux termes de l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans sa version issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 susvisé modifié par l'arrêté du 3 mars 2014, applicable au marché en litige : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. () / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus. " Aux termes de l'article 13.4.2 de ce CCAG : " () / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire " Aux termes de l'article 13.4.4 de ce CCAG : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général () / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. () Le décompte général et définitif lie définitivement les parties () ".

5. Même si elle intervient après l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, courant à compter de la réception des travaux, la réception, par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, du projet de décompte final, établi par le titulaire du marché, est le point de départ du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4. Toutefois dès lors qu'en application de l'article 13.4.2, l'expiration du délai de trente jours prévu par celui-ci est appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ce délai ne peut pas courir tant que ceux-ci n'ont pas tous deux reçus le document en cause.

6. En l'espèce, s'il résulte de l'instruction que la réception des travaux a été prononcée avec réserves le 6 octobre 2020 et que, par courriers datés du 11 août 2021, la Société générale de faux-plafonds et isolation a transmis par colissimo, simultanément au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre, son projet de décompte final, les indications portées sur la page de suivi en ligne du colissimo adressé au maître d'œuvre ne permettent ni de connaître le motif pour lequel le pli n'a pas pu être remis à son destinataire, ni, surtout, de s'assurer que le maître d'œuvre a été avisé de la mise en instance du courrier. Si la société requérante fait valoir qu'elle n'est pas en capacité de prouver qu'un avis de passage a bien été déposé, elle n'établit pas, ni même n'allègue avoir sollicité de l'administration postale une attestation justifiant de la régularité des opérations de présentation de son envoi à l'adresse du destinataire. Dans ces conditions, dès lors que la notification régulière du projet de décompte final au maître d'œuvre n'est pas établie, le délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG Travaux, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4, n'a pu commencer à courir. Par suite, la Société générale de faux-plafonds et isolation ne peut se prévaloir de l'existence d'un décompte général et définitif intervenu tacitement le 30 septembre 2021.

7. Par ailleurs, si la commune reconnaît que le solde des travaux de la société requérante s'établit, compte tenu des paiements antérieurs et de la révision des prix, à la somme de 133 482,58 euros TTC, elle précise qu'elle entend appliquer des pénalités contractuelles à hauteur de 1 079 527,80 euros, de sorte que la Société générale de faux-plafonds et isolation reste redevable de la somme de 946 045,22 euros TTC. La Société requérante, qui ne conteste ni le principe ni le montant de ces pénalités, n'est donc pas fondée à soutenir que la commune admet lui devoir la somme de 133 482,58 euros TTC pour se prévaloir d'une créance non sérieusement contestable à hauteur de ladite somme.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la Société générale de faux-plafonds et isolation n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la vice-présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a rejeté sa demande de provision.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme réclamée par la Société générale de faux-plafonds et isolation sur leur fondement soit mise à la charge de la commune de Clamart, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Société générale de faux-plafonds et isolation la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Clamart sur le fondement de ces mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la Société générale de faux-plafonds et isolation est rejetée.

Article 2 : La Société générale de faux-plafonds et isolation versera à la commune de Clamart la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Société générale de faux-plafonds et isolation et à la commune de Clamart.

Fait à Versailles le 4 juillet 2023.

La présidente de la 5ème chambre,

Juge des référés

Corinne SIGNERIN-ICRE

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,