TA Besançon, 24/03/2023, n°2300376

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 mars 2023 et le 18 mars 2023, la société de travaux publics et industriels (STPI), représentée par Me Madjri, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner à la communauté de communes de Rahin et Chérimont de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat litigieux et, à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation du marché public engagée par la communauté de communes de Rahin et Chérimont passée en procédure adaptée pour des travaux de création de passerelles dans le cadre de travaux connexes à la voie verte ;

2°) d'enjoindre à la communauté de communes de Rahin et Chérimont de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres et de fournir divers documents à la juridiction ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes de Rahin et Chérimont la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- la société Parietti, mandataire du groupement Parietti-STPI-Pech'Alu, s'associe à son recours ;

- la requête est recevable alors même qu'elle était membre d'un groupement ;

- les sous-critères pour lesquels la société a obtenu une note moyenne, à savoir organisation générale du chantier, planning et fiches techniques sont flous et ne permettent pas aux soumissionnaires de connaître les attentes de l'acheteur ;

- la méthode de notation est irrégulière puisqu'elle ne permet pas de choisir l'offre économiquement la plus avantageuse ;

- l'évaluation discutable des trois critères a exercé une influence conséquente sur l'attribution du marché ;

- la communauté de communes n'a pas motivé le rejet de son offre et ne l'a pas informée de façon régulière du rejet de son offre ;

- la procédure a été passée en méconnaissance de l'égalité de traitement entre candidats puisqu'avant même l'établissement du rapport d'analyse des offres, l'entreprise attributaire avait déjà été choisie ;

- en l'absence d'éléments communiqués par la communauté de communes, le manquement aux règles relatives à la commission d'appel d'offres est caractérisé.

Par un mémoire distinct, enregistré le 18 mars 2023, et présenté en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, la STPI a transmis son mémoire technique et les éléments de son offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2023, la communauté de communes de Rahin et Chérimont, représentée par Me Suissa, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la STPI une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme A en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le 20 mars 2023 en présence de Mme Chiappinelli, greffière d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Madjri, représentant la STPI, qui a renouvelé en les développant ou les précisant les conclusions et les autres moyens de la requête et a soutenu que la pondération des sous-critères n'était pas annoncée dans le règlement de consultation et a eu une incidence dans le choix de l'attributaire ;

- les observations de Me Suissa, représentant la communauté de communes de Rahin et Chérimont, qui a renouvelé en les développant ou les précisant les conclusions et les autres moyens de son mémoire en défense.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

La STPI a présenté une note en délibéré le 21 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes de Rahin et Chérimont a engagé la passation d'un marché public selon la procédure adaptée portant sur les travaux relatifs à la création de passerelles dans le cadre de travaux connexes à la voie verte. La STPI dont l'offre a été rejetée, a saisi le juge du référé précontractuel.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation du rejet de l'offre de la requérante :

4. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : "Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 dudit code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue".

5. L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre posée par ces dispositions a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

6. La requérante soutient que le pouvoir adjudicateur ne lui a pas communiqué les éléments relatifs aux caractéristiques et avantages de l'offre de l'attributaire. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 24 janvier 2023, la communauté de communes de Rahin et Chérimont s'est bornée à indiquer au mandataire du groupement Parietti-STPI-Pech'Alu le nom de l'attributaire ainsi que le fait que son offre avait été classée seconde et les notes finales du groupement et de l'attributaire. A la suite de la demande du groupement tendant à obtenir les motifs du rejet de son offre, la communauté de communes défenderesse a par lettre du 2 février 2023 informé le mandataire du groupement des notes sur la valeur technique et le prix des offres de la société attributaire et du groupement en précisant le détail de notation du mémoire technique du seul groupement. Alors que ni le rapport d'analyse des offres, ni les modalités d'application de la méthode de notation ne lui ont été communiqués, la société requérante n'a en conséquence, jamais eu connaissance, au vu des éléments produits par l'acheteur, des caractéristiques et avantages de l'offre retenue pour en contester utilement les motifs du rejet de son offre devant le juge du référé précontractuel. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que l'acheteur public a commis, sur ce point, des manquements à ses obligations de publicité et de transparence des procédures.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de transparence :

7. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution ". L'article R. 2152-11 du même code dispose : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".

8. Il résulte des dispositions précitées que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d'informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S'il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. En revanche, il n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.

9. Il ressort de l'article 6 du règlement de la consultation que la sélection des candidatures et le jugement des offres seraient réalisés en fonction du prix, à hauteur de 40 %, et de la valeur technique, à hauteur de 60 %. Selon ce même règlement, cette dernière sera appréciée au regard de 11 sous-critères que sont : 1- l'organisation du marché notée sur 10 points ; 2- la méthodologie prévue pour la réalisation des terrassements accès ; 3- la méthodologie prévue pour la pose des passerelles notée sur 20 points ; 4- la note de pré-dimensionnement par passerelles notée sur 20 points ; 5- la méthodologie pour la réalisation des massifs notée sur 10 points ; 6- les fiches techniques (passerelle, granula, béton) notée pour 5 points ; 7- moyens matériels et humains notés sur 5 points ; 8- un planning noté sur 10 points ; 9- les procédures de contrôles internes notées sur 2,5 points ; 10 - la démarche environnementale notée sur 5 points ; 11- hygiène et sécurité notée pour 2,5 points. La société attributaire, l'Entreprise Roger Martin et le groupement Parietti-STPI-Pech'Alu dont fait partie la société requérante STPI ont obtenu les notes suivantes :

Entreprise

Roger MartinGroupement Parietti-STPI-Pech'AluValeur technique 100/10084/100Prix92.2/100100/100Total 9.69/109.04/10

10. La communauté de communes révèle en outre dans son mémoire en défense que, pour évaluer les sous-critères relatifs à l'organisation du chantier, le planning et les fiches techniques, le pouvoir adjudicateur a distingué des éléments d'appréciation pondérée qui n'ont pas été portés à la connaissance des candidats. Ainsi, le pouvoir adjudicateur a utilisé, sans le porter à la connaissance des candidats, un barème de notation du sous-critère 1 " organisation du chantier", noté sur 10 points, indiquant les éléments d'appréciation suivants : la présentation des intervenants et du chantier, noté sur 2 points ; la prise en compte des contraintes du site et leurs traitements noté sur 4 points ; la préparation du chantier noté sur 2 points ; le phasage général noté sur 2 points, mais également un barème de sous-cotation du sous-critère 8 " planning " noté sur 10 points indiquant deux éléments d'appréciation notés sur 5 points chacun, le respect des délais d'exécution et l'adéquation avec le calendrier, ainsi qu'un barème de sous-cotation du sous-critère 6 " fiches techniques " en fiche technique noté sur 1 point ; adéquation des fiches techniques avec le CCTP noté sur 4 points.

11. Il ressort des écritures de la communauté de communes que la note obtenue par le groupement Parietti-STPI-Pech'Alu dans le sous-critère " organisation du chantier " ne comporte que 2 points correspondant au phasage du chantier, les autres éléments ont été notés à 0 point. Sur le sous-critère planning, si l'élément adéquation avec le calendrier reçoit un 5/5, le respect des délais d'exécution est noté 0/5 en raison du planning présenté à 7 mois de travaux alors que les délais étaient fixés à 6 mois. Enfin le sous-critère relatif aux fiches techniques est noté 1 point pour les fiches techniques et 1 point pour l'adéquation des fiches techniques avec le CCTP.

12. En conséquence, si l'énonciation des sous-critères et leur pondération informent les candidats sur l'importance relative des critères retenus pour leur permettre d'adapter la présentation de leur offre selon la pondération de ces critères, elle ne leur permet pas de connaitre les éléments retenus par l'acheteur public pour apprécier les offres reçues et notamment leur valeur technique. Par ailleurs, l'énonciation en termes très généraux des sous-critères du critère de la valeur technique, bien que faisant référence à des critères classiques ont toutefois trait à la consistance technique des offres et ne permettent pas de déterminer ce que retiendra l'acheteur pour apprécier leur valeur relative. Il résulte de ce qui précède que les éléments de pondération qui n'ont pas été portés à la connaissance des soumissionnaires portent sur les exigences du pouvoir adjudicateur quant au contenu des offres remises, et ne permettaient, dès lors, pas en l'espèce, de connaitre les conditions de mise en œuvre du critère de la valeur technique. En s'abstenant d'apporter de telles précisions dans les documents de la consultation, la communauté de communes de Rahin et Chérimont a méconnu le principe de transparence des procédures en omettant de préciser les modalités de mise en œuvre des critères de sélection des offres.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les manquements relevés aux points 6 et 12 sont de nature à avoir lésé les intérêts de la société requérante. En conséquence, la procédure d'attribution par la communauté de communes de Rahin et Chérimont du marché public portant sur les travaux relatifs à la création de passerelles dans le cadre de travaux connexes à la voie verte doit être annulée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués par la requérante.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Compte tenu du motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre à la communauté de communes de Rahin et Chérimont, si elle entend conclure un marché de même objet, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres en se conformant à ses obligations de transparence et de mise en concurrence.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la STPI qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la communauté de communes de Rahin et Chérimont au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la communauté de communes de Rahin et Chérimont le versement à la STPI, seule partie requérante à l'instance, d'une somme de 1 500 euros au même titre.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure d'attribution par la communauté de communes de Rahin et Chérimont du marché public portant sur les travaux relatifs à la création de passerelles dans le cadre de travaux connexes à la voie verte est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la communauté de communes de Rahin et Chérimont de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres.

Article 3 : La communauté de communes de Rahin et Chérimont versera à la STPI une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société de travaux publics et industriels, à la communauté de communes de Rahin et Chérimont et à l'entreprise Roger Martin.

Fait à Besançon, le 24 mars 2023.

La juge des référés,

S. A

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Saône, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

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