TA Bordeaux, 07/02/2024, n°2105817


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire, respectivement enregistrés les 3 novembre 2021, 10 novembre 2021 et 19 septembre 2022, M. A B, la SAS Patriarche, venant aux droits et obligations de la société BDM Architectes, et la SAS Ingerop Conseil et Ingénierie, représentés par la Selarl Aequo, demandent au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier Sud Gironde à verser les sommes de 19 794,60 euros HT à M. A B, 46 037,09 euros HT à la société Patriarche et 43 251,95 euros HT à la société Ingerop Conseil et Ingénierie au titre des prestations supplémentaires demandées ;

2°) de condamner le centre hospitalier Sud Gironde à verser les sommes de 13 616 euros HT à M. A B, 37 200 euros HT à la société Patriarche et 37 751 euros HT à la société Ingerop Conseil et Ingénierie au titre de la revalorisation de leurs honoraires ;

3°) de condamner le centre hospitalier Sud Gironde à verser les sommes de 15 602,16 euros HT à M. A B, 31 204,33 euros HT à la société Patriarche et 15 279,78 euros HT à la société Ingerop Conseil et Ingénierie au titre du manque à gagner résultant de l'inexécution du marché de maîtrise d'œuvre ;

4°) de condamner le centre hospitalier Sud Gironde à verser les sommes de 1 291,15 euros HT à M. A B, architecte, 2 581,31 euros HT à la société Patriarche et 2 502,60 euros HT à la société Ingerop Conseil et Ingénierie au titre de l'indemnité de résiliation ;

5°) de rejeter les conclusions reconventionnelles présentées par le centre hospitalier Sud Gironde dans son mémoire en défense ;

6°) de mettre à la charge du centre hospitalier Sud Gironde la somme de 3 000 euros à verser à chacun des requérants en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- selon marché public n°2013-59 du 25 juillet 2013, le centre hospitalier Sud Gironde (CHSG) a confié une mission de maîtrise d'œuvre pour la restructuration et l'extension du " site Pasteur " E au groupement de maîtrise d'œuvre, conjoint, composé de la société d'architecture BDM Architectes (mandataire du groupement), aux droits et obligations de laquelle vient aujourd'hui la société Patriarche, de M. A B, architecte DPLG, de la société Ingérop Conseil et Ingénierie, bureau d'études pour les lots techniques, de la société Ergonova ergonomiste, et de la société IDB Acoustique, bureau d'études acoustique ;

- ils peuvent prétendre à la rémunération des prestations supplémentaires réalisées pour le compte du CHSG dès lors que leurs missions initiales ont évolué ;

- ils ont droit au paiement d'un honoraire global de 32 242 euros HT correspondant à la réalisation des études architecturales pour la partie consultations en zone verte, urgences, maternité, hall 2 ainsi qu'il résulte du dossier DCE de mars 2016 et du courrier du 11 avril 2016 ;

- au titre des travaux de la partie locaux communs Val de Brion, ils sont fondés à solliciter la somme de 5 986,58 euros HT au titre de la réalisation des études architecturales ainsi que l'attestent le plan PRO établi par BDM Architectes le 5 novembre 2015 intégré dans le dossier DCE de mars 2016 et des mails adressés par le CHSG à la maîtrise d'œuvre par lesquels ces prestations ont été expressément commandées ;

- lors de l'exécution du marché, de nombreux travaux supplémentaires ont été demandés par le maître de l'ouvrage ; ces prestations supplémentaires qui n'étaient pas prévues dans sa mission initiale, ont impliqué la réalisation d'études architecturales et techniques, l'analyse de devis et un surplus de travail au titre de sa mission DET ; selon ses calculs, le montant de ces travaux supplémentaires s'est élevé à la somme de 402 400 euros HT ; conformément aux règles de calcul des honoraires de la maîtrise d'œuvre intervenue au titre de ses missions de base, complémentaire CSSI et SYNTHESE, ils sont fondés à solliciter la somme totale de 55 330 euros HT ;

- en raison de la résiliation des marchés de travaux, le groupement de maîtrise d'œuvre a procédé, sur demande du CHSG, aux investigations nécessaires donnant lieu à l'établissement de procès-verbaux contradictoires avec les entreprises de travaux ; ces investigations excèdent le périmètre de ses missions DET et AOR ; ils sont fondés à solliciter à ce titre la somme de 15 500 euros HT d'honoraires complémentaires ;

- en raison du morcellement des études et de l'allongement de la durée des travaux, la maîtrise d'œuvre est fondée à solliciter la réactualisation de ses honoraires ; lors de la conclusion du marché, il n'était pas prévu que le chantier serait sous-divisé en plusieurs sous-ensembles, impliquant un allongement significatif de la durée des travaux et un morcellement des études nécessaires à la conduite des opérations ; l'économie du contrat s'en est trouvée bouleversée et la rémunération initialement fixée n'a pas permis de compenser la charge de travail générée ; ils sont donc fondés à solliciter à ce titre une revalorisation de leurs honoraires à hauteur de 10 % du montant initialement prévu, soit la somme globale de 88 567 euros HT ;

- la maîtrise d'œuvre est également fondée à solliciter l'indemnisation de ses préjudices résultant des fautes commises par la maîtrise d'ouvrage dans l'exécution du contrat ; il est constant que la maîtrise d'ouvrage a commis une faute en décidant de suspendre la réalisation d'un projet déjà engagé à la condition " d'obtenir le financement nécessaire " ; la renonciation à l'exécution du contrat et sa résiliation tacite doivent conduire à indemniser la maîtrise d'œuvre ; en l'espèce, le CHSG a prononcé la résiliation pour motif d'intérêt général des marchés publics correspondant à la phase 4 du projet (travaux de réaménagement de la zone de gériatrie et de la zone centrale), ce qui a entraîné la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre ; le manque à gagner peut se calculer en appliquant le pourcentage de rémunération prévu à l'acte d'engagement à la proportion du marché n'ayant pu être effectué, soit 12,25 % ; ce manque à gagner a engendré une perte de résultat pour les membres de la maîtrise d'œuvre qui peut être chiffré en appliquant le taux de marge de 9,5 % pour les agences d'architectes et de 4,8 % pour les entreprises d'ingénierie, soit au total, un montant global d'indemnisation due au titre de l'inexécution du marché s'élevant à 62 086,27 euros HT ;

- comme le constate le CCIRA, le maître de l'ouvrage n'a pas officiellement rompu le marché de maîtrise d'œuvre à la suite de la résiliation des travaux, de sorte que les parties restent contractuellement liées ; or, l'interruption de travaux de plus de cinq ans conjuguée au maintien des relations contractuelles est préjudiciable pour le groupement de maîtrise d'œuvre et engage la responsabilité du CHSG ; en outre, il est établi que le CHSG prévoit de retirer une partie des missions contractuellement confiées au groupement pour les confier à un nouvel entrepreneur ; or, une telle pratique est un manquement contractuel grave qui engage sa responsabilité ; cette attitude démontre la volonté non équivoque de la personne publique de tacitement résilier leur contrat ; la maîtrise d'œuvre est donc fondée à solliciter l'indemnité de résiliation prévue à l'article 27.1 du CCAP devant s'élever à la somme de 6 376,06 euros HT.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 mai 2022, le centre hospitalier Sud Gironde, représenté par Me Guimet de la Selarl Guimet Avocats, conclut :

1°) à l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires des sociétés requérantes ;

2°) au rejet au fond de ces conclusions ;

3°) à la condamnation in solidum des sociétés requérantes à lui verser les sommes les sommes suivantes : 391 410, 3575 euros HT en réparation du surcoût auquel est exposé le maître d'ouvrage s'agissant des travaux réalisés, par rapport au montant initial des travaux tel qu'il avait été évalué par la maîtrise d'œuvre, 243 075,75 euros HT en réparation du surcoût que le retard dans le traitement des conséquences de la résiliation des marchés de travaux a occasionné aux entreprises, et dont celles-ci entendent obtenir réparation du maître d'ouvrage, 74 124 euros HT en réparation des surcoûts directs qu'il a lui-même exposés du fait des manquements du groupement requérant dans l'exécution de ses missions DET et AOR et 43 594,01 euros HT en application de la pénalité stipulée par l'article 19 du CCAP du marché de maîtrise d'œuvre ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés requérantes in solidum la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les demandes formulées par les requérantes sont irrecevables faute de transmission d'un mémoire en réclamation, au sens de l'article 37 du CCAG-Prestations intellectuelles, dans les deux mois à compter du jour où le différend est apparu avec le maître d'ouvrage : alors que ce différend était né au plus tard le 13 septembre 2017, le mémoire en réclamation n'a été transmis au CHSG que le 2 juillet 2021, soit tardivement ;

- tant le principe que le montant des demandes formulées au titre des rémunérations de prestations complémentaires sont contestables ; en effet, il n'y a eu aucune demande explicite du maître de l'ouvrage de modification du programme de travaux ; en tout état de cause, si la maîtrise d'œuvre devait être regardée comme fondée à solliciter des honoraires complémentaires et comme démontrant et justifiant les dépenses utilement exposées - ce qui est contestable et contesté - sa rémunération complémentaire ne saurait, en tout état de cause, dépasser 84 100 € HT ainsi que l'ont admis le CCIRA et le rapport d'expertise ;

- les prestations supplémentaires demandées par le maître de l'ouvrage pour l'assister dans le processus de résiliation des marchés de travaux sont incluses dans le forfait ; en tout état de cause, si la maîtrise d'œuvre devait être regardée comme fondée à solliciter des honoraires complémentaires pour ce poste - ce qui est contestable et contesté -, il faudrait alors retrancher son bénéfice du montant des dépenses utilement exposées, montant qu'elle aurait préalablement justifié et démontré ;

- s'agissant de la réactualisation des honoraires, elle est contestable dans son principe : en effet, le prétendu " morcellement des études " était antérieur à l'acte d'engagement dès lors que la décomposition du projet en plusieurs phases était prévu dès le stade de la consultation ; en outre, l'allongement de la durée des travaux n'est pas de nature, à lui seul, à justifier l'allocation d'une rémunération complémentaire et la maîtrise d'œuvre ne démontre pas l'ampleur de l'impact qu'il aurait eu sur la nature, l'étendue ou la complexité de sa mission ; cette demande est également contestable dans son montant, puisqu'à supposer que la maîtrise d'œuvre parvienne à démontrer que des prestations supplémentaires lui auraient été commandées par le maître de l'ouvrage dans des conditions irrégulières, elle n'aurait en tout état de cause droit au remboursement que des dépenses utilement exposées, déduction faite de son bénéfice ;

- s'agissant de la demande d'indemnisation, elle est mal fondée dès lors que le marché de maîtrise d'œuvre n'a pas été résilié comme les requérantes le constatent elles-mêmes ; elles n'ont donc droit à aucune indemnité de résiliation ;

- la résiliation des marchés de travaux correspondant à la phase 4 de l'opération n'est pas fautive, mais justifiée par un impérieux motif d'intérêt général ; à supposer que l'arrêt du chantier puis la résiliation des travaux présente un caractère fautif, ce qui est contestable et contesté, la part de responsabilité de la maîtrise d'œuvre dans ces dérapages financiers majeurs doit être mise en avant comme étant directement et exclusivement à l'origine de l'arrêt du chantier puis de la résiliation des marchés de travaux ;

- le CHSG est fondé à solliciter la condamnation des sociétés du groupement de maîtrise d'œuvre à lui verser la somme de 391 410,3575 euros HT en réparation du surcoût auquel est exposé le maître d'ouvrage s'agissant des travaux réalisés, par rapport au montant initial des travaux tel qu'il avait été évalué par la maîtrise d'œuvre, 243 075,75 euros HT en réparation du surcoût que le retard dans le traitement des conséquences de la résiliation des marchés de travaux a occasionné aux entreprises, et dont celles-ci entendent obtenir réparation du maître d'ouvrage et 74 124 euros HT en réparation des surcoûts directs qu'il a lui-même exposés ensuite des manquements du groupement dans l'exécution de ses missions DET et AOR ; en effet, la maîtrise d'œuvre est directement responsable des dérapages financiers majeurs ayant contraint le CHSG à l'arrêt des travaux puis à la résiliation des marchés de travaux, ce faisant elle a manqué à l'exécution de sa mission DET et à son devoir de conseil ; en outre, la méthodologie employée par la maîtrise d'œuvre dans la réalisation des constats contradictoires la rend également directement responsable de l'allongement du traitement des conséquences de la résiliation des marchés de travaux ; la mauvaise qualité des constats contradictoires a contraint le CHSG à solliciter une expertise judiciaire ; ce faisant, elle a commis une faute dans l'exécution de sa mission AOR ; enfin, le CHSG est fondé à solliciter 43 594,01 euros HT en application de la pénalité stipulée par l'article 19 du CCAP du marché dès lors que le seuil de tolérance a été dépassé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caste, rapporteure,

- les conclusions de Mme Denys, rapporteure publique,

- les observations de Me Le Pennec représentant M. A B, la SAS Patriarche, venant aux droits et obligations de la société BDM Architectes, la SAS Ingerop Conseil et Ingénierie, et de Me Guimet, représentant le centre hospitalier Sud Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. En 2010, le centre hospitalier Sud Gironde (CHSG) a décidé de procéder à la restructuration et à l'extension de son site Pasteur, situé sur le territoire de la commune E. Selon marché public n°2013-59 du 25 juillet 2013, le CHSG a confié une mission de maîtrise d'œuvre pour la restructuration et l'extension du " site Pasteur " E au groupement de maîtrise d'œuvre conjoint composé de la société d'architecture BDM Architectes (mandataire du groupement), aux droits et obligations de laquelle vient aujourd'hui la société Patriarche, de M. A B, architecte DPLG, de la société Ingerop, bureau d'études pour les lots techniques, de la société Ergonova, ergonomiste, et de la société IDB Acoustique, bureau d'études acoustique. Au terme de ce marché, le coût prévisionnel des travaux a été estimé à 11 600 000 € HT et la rémunération des différents intervenants à la maîtrise d'œuvre selon pourcentage dudit coût (12,5 % du montant des travaux pour la mission loi MOP, 0,10 % pour la mission Ergonome et 0,27 % pour la mission Acoustique, 0,50 % pour la mission optionnelle CSSI et 1 % pour la mission SYN). Par avenant n°1 du 18 décembre 2014, le coût prévisionnel de l'ouvrage à l'issue des quatre phases de travaux projetées a été fixé à 4 890 300 euros, fixant de même le forfait définitif de rémunération. Par l'avenant n°2 du 25 décembre 2015, le coût a été porté à 5 754 333 euros avec cinq phases de travaux. Le marché de travaux a été divisé en cinq lots. Les lot n°1 et n°2 ont confiés aux sociétés Eiffage et SPIE par actes d'engagement du 7 avril 2014. Le lot n°3 a été confié à la SARL Saita Entreprise par acte d'engagement du 7 avril 2014. Le lot n°4 a été attribué à la société Linde France. Le lot n°5 a été confié à la société Clima Froid Aquitaine par acte d'engagement du 3 juillet 2014. Enfin, plusieurs avenants aux marchés de base ont été conclus entre le maître de l'ouvrage et les différentes sociétés de travaux, ayant eu pour effet d'augmenter le coût des travaux. Alors que les travaux étaient en cours de réalisation en phase 4, le CHSG, confronté à la constatation de " dérapages financiers " ayant conduit à l'ouverture d'une enquête préliminaire par le procureur de la République territorialement compétent, a pris, le 1er avril 2016, la décision de suspendre les travaux pour une durée de douze mois à compter de cette date. Le 27 juillet 2017, le CHSG a décidé de résilier les marchés de travaux pour motif d'intérêt général. Par la présente requête, les sociétés formant le groupement conjoint de maîtrise d'œuvre demandent au tribunal de condamner le maître de l'ouvrage à leur verser les sommes de 19 794,60 euros HT à M. A B, 46 037,09 euros HT à la société Patriarche et 43 251,95 euros HT à la société Ingerop au titre des prestations supplémentaires demandées. Elles sollicitent également la condamnation du CHSG à leur verser les sommes de 13 616 euros HT à M. A B, 37 200 euros HT à la société Patriarche et 37 751 euros HT à la société Ingerop au titre de la revalorisation de leurs honoraires ainsi que les sommes de 15 602,16 euros HT à M. A B, 31 204,33 euros HT à la société Patriarche et 15 279,78 euros HT à la société Ingerop au titre du manque à gagner résultant de l'inexécution du marché de maîtrise d'œuvre. Enfin, elles demandent au tribunal de condamner cet établissement à leur verser les sommes de 1 291,15 euros HT à M. A B, architecte, 2 581,31 euros HT à la société Patriarche et 2 502,60 euros HT à la société Ingerop au titre de l'indemnité de résiliation.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier Sud Gironde :

2. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, applicable au marché en litige : "/ 37.2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / 37.3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".

3. Il résulte des stipulations de l'article 37 précédemment citées du cahier des clauses administratives générales que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. L'apparition d'un différend, au sens des stipulations précitées, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. En revanche, en l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend au sens des stipulations précédemment citées.

4. Il ne résulte pas de l'instruction que le CHSG ait pris une position écrite, explicite et non équivoque faisant apparaître son désaccord vis-à-vis des demandes qui lui ont été transmises pour le compte du groupement de maîtrise d'œuvre par son mandataire, la société BDM Architecture, dès le 16 juin 2016. En effet, si les sociétés requérantes versent à l'instance les nombreux courriers par lesquels elles ont sollicité notamment la conclusion d'un avenant n°3 ou encore détaillé le coût des prestations supplémentaires dont elles réclament le paiement, il ne résulte pas de l'instruction que le maître de l'ouvrage se soit, par écrit, opposé explicitement et de manière non équivoque à ces demandes. Si, par un courriel du 29 juillet 2017, le centre hospitalier a indiqué " [confirmer] son accord pour une plus-value de 30 000 euros HT en contrepartie des postes évoqués dans [le] courrier du 28 novembre 2016 ", un tel engagement ne peut être regardée comme une position non équivoque faisant naître un différend dès lors que d'une part, il ne porte que sur les prestations réalisées pour la partie consultations zone verte, urgences, maternité, hall 2, pour la partie locaux communs Val de Brion, et sur la demande de revalorisation du montant du marché de maîtrise d'œuvre en conséquence de l'augmentation du montant des marchés de travaux, que d'autre part, il s'apparente à un accord et qu'enfin, il ressort des termes de ce même courriel que le maître de l'ouvrage a indiqué que le surplus des demandes serait discuté ultérieurement au cours d'une réunion. Enfin, il ne résulte pas non plus de l'instruction que les requérants aient mis en demeure le CHSG de prendre position sur leur désaccord dans un certain délai. Dès lors, à la date à laquelle les sociétés requérantes ont présenté leur mémoire en réclamation, soit le 2 juillet 2021, le délai de deux mois prévus par les stipulations précitées n'avait pas commencé à courir, de sorte qu'aucune forclusion ne peut leur être opposée.

Sur les conclusions de la requête :

En ce qui concerne les prestations supplémentaires :

5. Aux termes de l'article 9 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre, applicables à la date du litige : " la mission de maîtrise d'œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement. Le montant de cette rémunération tient compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux ". Aux termes de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " Le contrat de maîtrise d'œuvre précise, d'une part, les modalités selon lesquelles est arrêté le coût prévisionnel assorti d'un seuil de tolérance, sur lesquels s'engage le maître d'œuvre, et, d'autre part, les conséquences, pour celui-ci, des engagements souscrits () En cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'œuvre fait l'objet d'un avenant qui arrête le programme modifié et le coût prévisionnel des travaux concernés par cette modification, et adapte en conséquence la rémunération du maître d'œuvre et les modalités de son engagement sur le coût prévisionnel ".

6. Il résulte de ces dispositions que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seules une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. La prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si, d'une part, elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si, d'autre part, le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.

7. En premier lieu, les sociétés requérantes sollicitent le paiement des sommes de 32 242 euros HT et 5 986,59 euros HT correspondant respectivement à la réalisation intégrale des études architecturales jusqu'au dossier de la phase projet pour la consultation en zone verte, les urgences, la maternité et le hall 2 d'une part et la partie locaux communs Val de Brion d'autre part. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des échanges de courriels entre la maîtrise d'œuvre et le maître de l'ouvrage le 9 décembre 2015, que les prestations supplémentaires évoquées par les requérantes ne s'apparentent pas à une nouvelle modification de programme ou une modification de prestations qui auraient été décidées par le maître de l'ouvrage mais ne sont que la conséquence de la modification du programme issu de l'avenant n°2, lequel a par ailleurs adapté la rémunération de la maîtrise d'œuvre au coût des travaux tel qu'issu de cette modification. Il résulte ainsi de l'instruction que les modifications des dossiers sollicitées pour les urgences et la zone verte s'apparentaient respectivement à une simplification du dossier pour la première et à la création d'un bureau complémentaire dans le SAS ainsi qu'à ce qu'un rafraichissement de divers locaux soit fait " en option " pour la seconde. Également, s'agissant des prestations réalisées dans les locaux communs de Val de Brion, il résulte des termes du même courriel du 9 décembre 2015 que le maitre de l'ouvrage a seulement envisagé l'abandon du système de pare-soleil. Enfin, les termes du courrier du 28 novembre 2016 transmis par le mandataire du groupement conjoint au CHSG révèlent que la demande de paiement des sommes de 32 242 euros et 5 986,58 euros au titre des prestations supplémentaires dont se prévaut le groupement pour les zones sus évoquées porte en réalité sur des prestations qui ont été réalisées avant que le CHSG ne décide de renoncer à l'exécution des travaux. Ainsi, en l'absence de prestations supplémentaires, les demandes tendant au paiement des sommes de 32 242 euros et 5 986,58 euros doivent être rejetées.

8. En deuxième lieu, le groupement de maîtrise d'œuvre demande au tribunal de condamner le CHSG à lui verser la somme totale de 55 330 € HT au titre des prestations réalisées suivant les travaux supplémentaires demandés aux entreprises titulaires des lot n°1 à n°5 par différents avenants aux marchés de travaux de base, faisant valoir que le coût de ces prestations n'a pas été répercuté sur le marché de maîtrise d'œuvre et par suite, sur leur rémunération globale. Il résulte de l'instruction que par l'acte d'engagement du 25 juillet 2013, le montant provisoire de la rémunération du groupement de maîtrise d'œuvre a été fixé en fonction du coût prévisionnel des travaux et d'un taux de rémunération défini par mission de maîtrise d'œuvre. En outre, il résulte du point 4.2 du cahier des clauses administratives particulières du marché en cause que l'avenant destiné à évaluer le coût prévisionnel de l'ouvrage fixerait le forfait définitif de la rémunération de la maîtrise d'œuvre. Ainsi, il est constant que le forfait définitif du marché a été fixé à compter du 16 décembre 2014, date de signature de l'avenant n°1 et n'avait pas vocation à évoluer si ce n'est à hauteur d'éventuelles modifications de prestations. Tirant les conséquences d'une modification exceptionnelle du programme, l'avenant n°2 est intervenu le 25 décembre 2015 et a adapté la rémunération du maître d'œuvre au montant définitif des travaux tels que redéfini pour prendre en compte cette modification du programme. Ainsi, en application des dispositions et du principe respectivement rappelés aux point 5 et 6 du présent jugement, la rémunération de la maîtrise d'œuvre, qui présentait un caractère forfaitaire et non proportionnel, n'avait pas vocation à évoluer tout au long de l'exécution des marchés de travaux. Dans ces conditions, la demande tendant au paiement de la somme de 55 330 € HT au titre des prestations réalisées suivant les travaux supplémentaires demandées aux entreprises de travaux ne peut qu'être rejetée.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 1.5 du cahier des clauses administratives particulières du 30 avril 2012, applicable au marché en litige : " Contenu des éléments de la mission : / La mission de maitrise d'œuvre est établie conformément à : / La loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maitrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maitrise d'œuvre privée / Le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maitrise d'œuvre confiées par des maitres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ; ()Le présent marché est constitué des éléments suivants : / Eléments de mission de base : () Code : AOR ; Libellé : Assistance aux opérations de réception () ". Selon l'article 11 du décret n°93-1268 du 29 novembre 1993, alors applicable : " L'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement a pour objet : / a) D'organiser les opérations préalables à la réception des travaux () ".

10. Si les sociétés requérantes demandent au tribunal de condamner le CHSG à leur verser la somme de 15 500 euros HT au titre de la rémunération qu'elles estiment leur être due au titre de l'établissement des constats contradictoires, il résulte de l'instruction que la mission " loi MOP " leur a été confiée par l'acte d'engagement du 25 juillet 2013. Or, ainsi qu'il résulte de l'article 1.5 du CCAP précité, cette mission comprend l'assistance aux opérations de réception, laquelle est définie, aux termes de l'article 11 du décret du 29 novembre 1993, comme l'organisation des opérations préalables à la réception des travaux. Dans ces conditions, il est constant que la préparation d'un projet permettant de déterminer une méthodologie de réception des travaux ainsi que l'établissement des procès-verbaux de constats contradictoires qui constituent les prestations réalisées par le groupement de maîtrise d'œuvre sur demande de la maîtrise d'ouvrage à la suite de la résiliation des marchés de travaux, entrent dans le cadre de sa mission AOR. Par suite, la demande tendant à la condamnation du CHSG à leur verser la somme de 15 500 euros HT au titre de ces prestations doit être rejetée.

11. Enfin, les sociétés requérantes font valoir qu'elles peuvent prétendre à la revalorisation de leurs honoraires en raison du morcellement des études et de l'allongement de la durée des travaux, qui auraient eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat. Toutefois, il résulte de l'instruction que, préalablement à la conclusion de l'acte d'engagement, le maître de l'ouvrage a informé le groupement de maîtrise d'œuvre, par un courrier du 2 juillet 2013, qu'il se trouvait dans " l'impossibilité actuelle d'envisager des travaux d'une telle ampleur avant plusieurs années " et qu'il envisageait " des rénovations partielles des services en faisant des consultations individuelles, par opérations ". Le découpage du projet de rénovation et de restructuration du centre hospitalier en plusieurs phases a ainsi été matérialisé lors de la conclusion des avenants n°1 et n°2 entre les parties, comme il a été dit au point 7 du présent jugement. Enfin, compte tenu du principe rappelé au point 6 du présent jugement, la prolongation de la mission du maître d'œuvre n'est pas de nature à justifier une rémunération supplémentaire. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le morcellement et la durée des travaux justifieraient une actualisation à la hausse de leurs honoraires. Cette demande, tendant au paiement de la somme de 88 767 euros HT, doit être rejetée.

En ce qui concerne les fautes de l'administration :

12. Le groupement de maîtrise d'œuvre demande l'indemnisation de son manque à gagner résultant des fautes consistant pour le CHSG à avoir renoncé à exécuter le contrat et à avoir résilié unilatéralement le marché de maîtrise d'œuvre.

S'agissant de l'existence d'une résiliation du marché de maitrise d'œuvre :

13. D'une part, en dehors du cas où elle est prononcée par le juge, la résiliation d'un contrat administratif résulte, en principe, d'une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l'absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles. Les juges du fond apprécient souverainement, sous le seul contrôle d'une erreur de droit et d'une dénaturation des pièces du dossier par le juge de cassation, l'existence d'une résiliation tacite du contrat au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en particulier des démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d'autres moyens, de la période durant laquelle la personne publique a cessé d'exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme, ou encore de l'adoption d'une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l'exécution du contrat ou de faire obstacle à l'exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles.

14. D'autre part, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, reprises aujourd'hui au 5° de l'article L. 6 du code de la commande publique, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits éventuels à indemnité de son cocontractant.

15. Il résulte de l'instruction que les marchés de travaux de l'opération ont été résiliés pour motif d'intérêt général par le maître d'œuvre par des décisions du 27 juillet 2017. S'il est constant qu'une telle décision n'a pas eu pour effet de procéder à la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre, il résulte néanmoins de l'instruction qu'entre la date de la saisine du juge des référés par le CHSG, qui est intervenue le 17 juillet 2018 et celle du présent jugement, le groupement de maîtrise d'œuvre n'a réalisé aucune prestation au titre du marché qui le lie au CHSG pendant une durée supérieure à cinq années. En outre, les requérants soutiennent, sans être contredits et en versant à l'instance un article de presse, que le maître de l'ouvrage souhaite faire réaliser des travaux sur l'aile " court séjour gériatrique " du site E, sans avoir recours au groupement de maîtrise d'œuvre en cause, alors que cette aile est l'objet des travaux qui auraient été menés si les marchés de travaux n'avaient pas été résiliés. Enfin, si la résiliation des marchés de travaux est, en principe, sans incidence sur l'échéance du marché de maîtrise d'œuvre, il résulte de l'instruction que le motif de la résiliation des marchés de travaux est lié à l'augmentation significative de leur prix, que les parties qualifient de " dérapages financiers " ayant conduit à un signalement au procureur de la République et à l'ouverture d'une enquête préliminaire. Le CHSG précise dans ses écritures qu'il estime le groupement de maîtrise d'œuvre en partie responsable desdits " dérapages " en ce qu'il n'aurait pas correctement rempli sa mission de direction de l'exécution des travaux, en ne portant pas une attention particulière au montant des travaux et à leur évolution, et en omettant d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur l'augmentation significative de leur coût. Au vu de ces éléments, le CHSG doit être regardé, par son comportement, comme ayant tacitement mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles pour un motif d'intérêt général tenant aux conditions financières anormales d'exécution des travaux.

S'agissant des préjudices du groupement conjoint de maitrise d'œuvre :

16. En premier lieu, aux termes de l'article 27.1 du cahier des clauses administratives particulières : " Conformément à l'article 33 du CCAG-PI, dans le cas où le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, en tout ou partie, sans qu'il y ait faute du titulaire, le maître d'œuvre percevra à titre d'indemnisation une somme forfaitaire calculée en appliquant au montant hors TVA, non révisé, de la partie résiliée du marché, un pourcentage égal à 1,00 % (un pour cent) ".

17. Ainsi qu'il a été précisé au point 15 du présent jugement, la résiliation tacite doit être considérée comme étant intervenue pour un motif d'intérêt général. Dans ces conditions, les sociétés formant le groupement conjoint de maîtrise d'œuvre peuvent prétendre à percevoir l'indemnité de résiliation prévue aux stipulations précitées de l'article 27.2 du CCAP du marché en cause. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de M. D, sapiteur, en date du 31 août 2020, que le montant de l'indemnité résultant de l'application de cette clause peut être fixée à la somme de 6 376,06 euros hors taxe, répartie comme suit : 2 582,31 euros hors taxe pour le compte de la société BDM Architectes, aux droits de laquelle vient la société Patriarche, 1 291,15 euros hors taxe pour le compte de M. B et 2 502,60 euros hors taxe pour le compte de la société Ingérop Conseil et Ingénierie.

18. En second lieu, si les requérants sollicitent une indemnisation supplémentaire au titre de la renonciation du maître d'ouvrage à l'exécution de leur marché, cette cause juridique ne saurait être invoquée en l'espèce, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, le marché de maîtrise d'œuvre doit être regardé comme ayant été résilié pour motif d'intérêt général.

Sur les conclusions reconventionnelles :

19. Le CHSG cherche à engager la responsabilité contractuelle des sociétés du groupement de maîtrise d'œuvre en raison des fautes commises dans l'estimation du coût des travaux, dans le suivi et la coordination des entreprises, dans l'exercice de son devoir de conseil et dans l'exécution de sa mission d'assistance aux opérations de réception des travaux.

20. En premier lieu, aux termes de l'article 19 du cahier des clauses administratives particulières, applicable au marché en litige : " Si le coût constaté est supérieur au seuil de tolérance tel que défini à l'article 17, le concepteur supporte une pénalité égale à la différence entre le coût constaté et le seuil de tolérance multiplié par le taux défini ci-après. / Ce taux est égal au taux de rémunération t fixé à l'article 2 de l'acte d'engagement multiplié par 2. / Cependant, le montant de cette pénalité ne pourra excéder 15 % du montant de la rémunération Co x t des éléments postérieurs à l'attribution des marchés de travaux ". Selon l'article 17 de ce cahier : " Le seuil de tolérance est égal au coût de réalisation des travaux majoré du produit de ce coût par le taux de tolérance indiqué à l'article 16 ". Aux termes de l'article 16 du même cahier : " Le coût de réalisation des travaux des marchés résultant des contrats de travaux passés par le Maître d'ouvrage (en phase ACT) sur lequel s'engage le Maître d'œuvre est affecté du taux de tolérance " Xt " tel que défini à l'article 2 de l'Acte d'Engagement. / Le respect de cet engagement est contrôlé à l'achèvement de l'ouvrage (DGD) ". Enfin, aux termes de l'article 2.3 de l'acte d'engagement : " En application des articles 11 à 20 du CCAP, le maître d'œuvre s'engage à respecter un taux de tolérance provisoire au stade études et définitif au stade des travaux fixé comme suit : / () / - Travaux Xt : 3,00 % (trois pour cent) ".

21. Le CHSG se prévaut d'une faute commise par la maîtrise d'œuvre dans l'estimation du coût des travaux, faisant valoir que le seuil de tolérance a été dépassé au vu du coût final des travaux, ouvrant droit à l'application de la pénalité prévue aux stipulations précitées de l'article 19 du cahier des clauses administratives particulières. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport du sapiteur, M. C, que le coût des réalisations des travaux s'est élevé à la somme de 5 261 122,49 euros HT alors que le coût prévisionnel des travaux sur lequel s'est engagé la maîtrise d'œuvre aux termes de l'avenant n°2, a été fixé à 5 754 333 € HT, de sorte que ce montant n'a pas été dépassé par la réalisation des travaux. Par suite, il n'y a pas lieu d'appliquer la pénalité sollicitée par le CHSG.

22. En deuxième lieu, le maître de l'ouvrage soutient que la maîtrise d'œuvre a entaché l'exercice de sa mission de direction de l'exécution des travaux d'insuffisance et a manqué à son devoir de conseil dès lors qu'elle a été contrainte de résilier les marchés de travaux à la suite de " dérapages financiers " ayant donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire. Toutefois, le CHSG n'apporte aucune précision sur les " dérapages financiers " qui ont conduit à l'abandon du projet en cours de réalisation. En particulier, elle ne verse à l'instance aucun élément issu de la procédure d'enquête préliminaire, dont elle pouvait obtenir communication sur autorisation du procureur de la République et qui aurait été susceptible d'éclairer le tribunal sur l'éventuelle implication de la maîtrise d'œuvre dans ces faits de nature à caractériser des fautes dans l'exercice de ses missions DET et de son devoir de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage.

23. Enfin, le CHSG impute à la maîtrise d'œuvre une faute consistant en des anomalies, insuffisances, incohérences et erreurs dans l'élaboration de ses livrables lors de la phase d'opérations de liquidation des marchés de travaux résiliés qu'il estime lui avoir été remis dans un délai anormalement long.

24. D'une part, il résulte de l'instruction que par une lettre du 26 mai 2017, réceptionnée le 29 mai 2017, le maître de l'ouvrage a sollicité de la part de la maîtrise d'œuvre son assistance lors de la phase d'opérations de liquidation des marchés de travaux résiliés. Aux termes de ce courrier, le CHSG a précisé que compte tenu des " difficultés rencontrées au cours de cette opération, dues notamment au découpage en phases sans identification précise des postes de chaque phase dans la DPGF ", il était attendu de la maîtrise d'œuvre " au plus vite " la proposition d'une démarche opérationnelle permettant de faire " un point général, complet et exhaustif des paiements réalisés ". Il résulte de l'instruction que ce n'est que le 25 octobre 2017 que le groupement a transmis son projet de rapport, soit cinq mois après la demande du maître de l'ouvrage et à la suite d'une mise en demeure adressée le 6 septembre 2017 et d'un courrier de relance du 20 octobre 2017. Il en résulte également que ce projet a fait l'objet de modifications sur demande de la maîtrise d'ouvrage à la suite d'une réunion du 17 novembre 2017 et n'a été transmis par la maîtrise d'œuvre, dans sa version modifiée, que le 5 février 2018. Il résulte également de l'instruction que les constats contradictoires avec les entreprises de travaux se sont déroulés sur site, hors représentation du maître de l'ouvrage, les 22, 23 et 29 mars 2018 et que les procès-verbaux de constat contradictoire ont été adressés au CHSG le 4 avril 2018, lequel a, après avoir relevé des incohérences sur ces procès-verbaux, sollicité de la maîtrise d'œuvre une correction de celles-ci par un courrier de mise en demeure du 4 mai 2018. Il résulte des éléments versés à l'instance qu'en réponse, la maîtrise d'œuvre a indiqué, dans sa lettre du 17 mai 2018, qu'un retour serait fait point par point aux demandes d'explications et de précisions de la maîtrise d'ouvrage mais qu'il convenait de reconvoquer les entreprises de travaux à de nouvelles opérations de constats contradictoires avec la présence de la maîtrise d'ouvrage après la notification par celle-ci aux entreprises de son refus de signature des constats contradictoires. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des documents contractuels, qu'un délai d'exécution de la mission d'assistance aux opérations de réception des travaux ait été prévu entre les parties. En outre, au vu de la complexité du projet en phasage et des difficultés rencontrées par les parties lors de l'exécution des marchés, le délai de cinq mois entre la demande de remise d'un rapport proposant une méthodologie financière pour le constat des travaux à la maîtrise d'œuvre et la remise du projet de rapport n'apparaît pas anormalement long, non plus que le délai de trois mois pour les corrections apportées à ce rapport, au vu des circonstances particulières de l'espèce. Enfin, ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction que les procès-verbaux de constat contradictoire ont été remis rapidement à la maîtrise d'ouvrage, le 4 avril 2018, soit quelques jours après les opérations de constats contradictoires. Dans ces conditions, aucune faute tirée du délai excessif de réalisation de ses missions ne peut être reprochée à la maîtrise d'œuvre.

25. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment de l'annexe 1 au courrier du 4 mai 2018, que le maître de l'ouvrage a relevé sur les procès-verbaux de constat contradictoire des écarts entre les constats de la maîtrise d'œuvre quant aux travaux effectivement réalisés ou non par les entreprises et les pourcentages devant traduire financièrement la réalisation de ceux-ci. Il résulte du rapport du sapiteur M. C que ces erreurs, moins nombreuses que celles pointées par le maître de l'ouvrage, se réduisent aux calculs dans les pourcentages, que la maîtrise d'ouvrage, qui n'a pas été représentée lors des opérations de constats contradictoires, a d'ailleurs pu, préalablement au dépôt du rapport d'expertise, aisément corriger, et confirment que les constats effectués par la maîtrise d'œuvre sur la réalité de l'exécution des travaux ont été corrects. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du courrier du 28 mai 2018 adressé par la maîtrise d'œuvre au CHSG, que celle-ci s'est engagée à reprendre ces erreurs de pourcentage lors d'une nouvelle opération de constat contradictoire, cette fois en présence du maître de l'ouvrage, et après notification aux entreprises de travaux du refus de notification des procès-verbaux. Or, il ne résulte pas de l'instruction que cette seconde opération de constat ait eu lieu avant la saisine du juge des référés expertises par le maître de l'ouvrage. Compte tenu de ces éléments, le CHSG n'est pas fondé à soutenir que la maîtrise d'œuvre aurait commis une faute dans l'exécution de sa mission AOR.

26. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions reconventionnelles présentées par le CHSG et tendant à la condamnation des sociétés requérantes doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E:

Article 1er : Le Centre hospitalier Sud Gironde est condamné à verser les sommes de 2 582,31 euros HT à la société Patriarche, 1 291,15 euros HT à M. B et 2 502,60 euros à la société Ingerop Conseil et Ingénierie.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Patriarche, à M. B, à la société Ingerop Conseil et Ingénierie et au centre hospitalier Sud Gironde.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Zuccarello, présidente,

- Mme Suzie Jaouën, première conseillère,

- Mme Caste, conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2024.

La rapporteure,

F. CASTE

La présidente,

F. ZUCCARELLO La greffière,

I. MONTANGON

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,