TA Bordeaux, 15/05/2024, n°2204624


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés le 29 août 2022 et le 24 janvier 2024, la société Aquitaine Rénovation Peinture, représentée par la Selarl Jacques Vincens, demande au tribunal :

1°) à titre principal, d'écarter l'application des pénalités qui lui ont été imposées dans le cadre du marché public conclut avec le département de la Dordogne et d'enjoindre au département de lui verser les sommes dues en exécution du marché, soit 55 405,07 euros TTC, et ce, dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire les pénalités de retard qui lui ont été infligées à un montant correspondant à 10 % du prix du marché, soit 12 039,25 euros et d'enjoindre au département de lui verser les sommes dues en exécution du marché, soit 43 365, euros TTC, et ce, dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge solidaire du département de la Dordogne et de la société d'économie mixte du Périgord la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- par acte d'engagement notifié le 17 mars 2020, elle a conclu avec le département de la Dordogne un marché public de restructuration, d'adaptation et d'extension du Campus Périgord situé à Périgueux pour un montant de 224 982 euros TTC ;

- elle a connu un retard dans l'exécution des travaux conduisant à l'établissement d'un procès-verbal de réception partielle du 14 janvier 2022 accompagné d'un ordre de service précisant la réduction du montant du marché à hauteur de 144 471 euros TTC (soit 120 392,50 euros HT) et mettant à sa charge des pénalités de retard pour un montant de 57 350 euros TTC soit 40 % du prix total du marché TTC (48 % du prix HT) ;

- sa requête est recevable dès lors que le procès-verbal de réception globale des travaux ne lui a été notifié que le 28 mars 2022, l'ordre de service valant décompte de liquidation lui ayant été adressé avant la signature de ce procès-verbal, il ne saurait en conséquence produire tous ses effets ; en tout état de cause, elle s'est rapprochée du département pour contester l'application des pénalités de retard ;

- par courrier du 8 juin 2022 elle a sollicité une réduction du montant de ces pénalités auprès de l'assistant au maître d'ouvrage, la société d'économie mixte du Périgord (SEMIPER), qui a rejeté sa demande par lettre du 29 juin 2022 ;

- le retard dans les travaux qui lui est reproché ne lui est pas imputable mais est consécutif au retard imputable à d'autres intervenants ainsi qu'à la situation sanitaire liée à la crise de la covid-19 ; la réalisation de travaux de substitution au niveau de la bibliothèque n'a causé aucun préjudice au maître de l'ouvrage dès lors que la bibliothèque était ouverte ; ainsi, l'application des pénalités doit être écartée ;

- l'article 19.2.2 du CCAG Travaux issu de la modification du 30 mars 2021 stipule que le montant total des pénalités ne saurait dépasser 10 % du montant HT du marché ; en l'espèce, elles représentent 48 % du montant HT du marché ; le montant de ces pénalités est donc particulièrement excessif et il appartiendra au tribunal de les réduire à la somme de 12 039,24 euros correspondant à 10 % du montant HT du marché.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 30 janvier 2023 et le 20 mars 2024, le département de la Dordogne, représenté par Me Penisson, conclut à titre principal à l'irrecevabilité des conclusions de la requête, à titre subsidiaire à son rejet au fond et dans tous les cas, à ce qu'il soit mis à la charge de la société Aquitaine Rénovation Peinture la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- en tout état de cause, les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 janvier 2023, la société d'économie mixte du Périgord (SEMIPER), représentée par Me Penisson, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Aquitaine Rénovation Peinture la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- en tout état de cause, les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 8 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caste,

- les conclusions de Mme Denys, rapporteure publique,

- les observations de Me Nadaud pour la société ARP et de Me Penisson pour le département de la Dordogne et la SEMIPER.

Considérant ce qui suit :

1. Le département de la Dordogne et la société Aquitaine Rénovation Peinture (ARP) ont, par acte d'engagement notifié le 17 mars 2020 par la société d'économie mixte du Périgord (SEMIPER) en sa qualité de mandataire de la collectivité, conclu un marché portant sur le lot 4 relatif aux façades des travaux de restructuration, d'adaptation et d'extension du Campus Périgord à Périgueux pour un montant total de 187 485 euros HT, soit 224 982 euros TTC. A la suite de la résiliation pour faute dudit marché, la société ARP a été destinataire d'un ordre de service portant décompte de liquidation en date du 10 janvier 2022 mettant à sa charge des pénalités de retard pour un montant de 57 350 euros TTC. Par un courrier du 8 juin 2022, la société ARP a sollicité auprès de la société SEMIPER la réduction du montant des pénalités mises à sa charge par le département de la Dordogne. Un rejet de sa demande lui a été opposé par courrier du 29 juin 2022. Par sa requête, elle demande au tribunal à titre principal d'écarter l'application des pénalités mises à sa charge et à titre subsidiaire d'en réduire le montant afin de ne pas dépasser 10 % du montant du prix du marché.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. D'une part, selon l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " Les pièces contractuelles du marché sont les suivantes () : / -le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 ". Aux termes des stipulations de l'article 47.2.3 du cahier des clauses administratives générales approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 : " Le décompte de liquidation est notifié au titulaire par le pouvoir adjudicateur, au plus tard deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1. Cependant, lorsque le marché est résilié aux frais et risques du titulaire, le décompte de liquidation du marché résilié ne sera notifié au titulaire qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Dans ce cas, il peut être procédé à une liquidation provisoire du marché, dans le respect de la règlementation en vigueur ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 13.4.3 de ce cahier : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / () / En cas de contestation (). Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG ". Aux termes de l'article 50.1.1 du même cahier des clauses administratives générales : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général ".

4. Le département de la Dordogne fait valoir qu'il a notifié à la société ARP le décompte de liquidation du marché par l'ordre de service n°1362 du 10 janvier 2022 et que ce décompte, à défaut d'avoir été contesté dans un délai de trente jours, a acquis un caractère définitif. Toutefois, il résulte de l'instruction que la résiliation du marché public liant la société requérante au département de la Dordogne a été prononcée aux frais et risques du titulaire, que postérieurement à cette résiliation, le département a conclu deux marchés de substitution afin de faire exécuter les travaux restants et qu'il a procédé à la réception de ces travaux le 3 juin 2022. Ainsi, l'ordre de service du 10 janvier 2022 doit nécessairement être qualifié de décompte provisoire en application des stipulations précitées de l'article 47.2.3 du cahier des clauses administratives particulières. Par suite, le département de la Dordogne ne peut utilement soutenir que ce décompte aurait acquis un caractère définitif faute d'avoir été contesté dans le délai de réclamation de trente jours prévu par les stipulations précitées de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.

Sur les pénalités de retard :

5. La société requérante sollicite la décharge totale des pénalités de retard qui lui ont été infligées par le département de la Dordogne pour un montant de 55 405,07 euros TTC ou, subsidiairement, leur modulation à la baisse, eu égard à leur caractère, selon elle, manifestement excessif.

6. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.

7. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.

8. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

En ce qui concerne le bien-fondé des pénalités de retard :

9. Il résulte de l'instruction que le département de la Dordogne a infligé des pénalités de retard à la société ARP au titre de 105 journées de retard dans l'exécution de travaux à raison de 500 euros par jour de retard et au titre du non-respect du délai contractuel d'exécution à raison d'un forfait de 1 500 euros. Pour contester le bien-fondé de ces pénalités, la société ARP se prévaut des courriers qu'elle a adressés en février et juin 2021 au maître d'œuvre et à la SEMIPER, dans lesquels elle faisait état de retards imputables à d'autres intervenants sur le chantier. Toutefois, d'une part il résulte de l'instruction que les pénalités de retard dans l'exécution des travaux ont été appliquées à raison de la période du 1er juillet au 13 octobre 2021 alors que les courriers précités de la société ARP concernent des retards antérieurs au 1er juillet 2021 et d'autre part, les termes de ces courriers ne permettent d'apprécier ni la réalité ni les conséquences des retards allégués par la requérante et qui seraient imputables à d'autres entrepreneurs. Enfin, il résulte de l'instruction que la société ARP avait elle-même proposé de nouveaux délais d'exécution à la suite de l'arrêt du chantier prescrit à compter du 17 mars 2020 par l'ordre de service n°128, en raison du confinement résultant de la crise sanitaire, proposition acceptée par le maître d'œuvre ainsi qu'il ressort des comptes rendus de chantier versés au dossier et qui aurait donc dû être respectés par la société. Dans ces conditions, la société APR n'est pas fondée à contester le bien-fondé des pénalités de retard prévues par l'article 11.1 du cahier des clauses administratives particulières, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la seconde fin de non-recevoir opposée en défense tirée de ce que ces conclusions seraient nouvelles.

En ce qui concerne la modulation des pénalités :

10. Pour soutenir que le montant total des pénalités mises à sa charge, soit la somme de 57 350 euros, est manifestement excessif, la société ARP soutient qu'un tel montant qui correspondrait selon elle à 48 % du prix du marché HT, excède le plafond de 10 % du montant hors taxes du marché, plafond prévu par le cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux approuvés par l'arrêté du 30 mars 2021. Toutefois, le marché conclu entre la société ARP et le département était soumis aux stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables marchés publics approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 qui ne prévoit aucun plafond maximal de pénalités. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, les pénalités de retard représentent 28 % du montant HT du marché. Enfin, la société ARP ne saurait utilement soutenir que la réalisation de travaux de substitution au niveau de la bibliothèque n'a causé aucun préjudice au maître de l'ouvrage. Dans ces conditions, eu égard à l'ampleur du retard imputable à la société requérante, supérieur à trois mois, et compte tenu de ce que celle-ci ne verse à l'instance aucun élément relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure les pénalités litigieuses présenteraient un caractère manifestement excessif, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de modération des pénalités infligées et d'en rectifier le montant.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Dordogne et de la SEMIPER, qui ne sont pas les parties perdantes, la somme demandée par la société ARP au titre des frais liés au litige. En revanche, il y a lieu de faire droit aux conclusions présentées par le département de la Dordogne et la SEMIPER sur le même fondement et de mettre à la charge de la société ARP la somme de 1 000 euros à verser respectivement à chacun des défendeurs à l'instance.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la société Aquitaine Rénovation Peinture est rejetée.

Article 2 : Il est mis à la charge de la société Aquitaine Rénovation Peinture la somme de 1 000 (mille) euros à verser respectivement au département de la Dordogne et à la société d'économie mixte du Périgord sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Aquitaine Rénovation Peinture, au département de la Dordogne et à la société d'économie mixte du Périgord.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Zuccarello, présidente,

- Mme Jaouën, première conseillère,

- Mme Caste, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2024.

La rapporteure,

F. CASTE

La présidente,

F. ZUCCARELLO

La greffière,

M. A

La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

N°2204624