TA Caen, 28/12/2022, n°2100330
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 16 février 2021, le 3 mai 2021, le 18 octobre 2021 et le 20 juin 2022, M. A B et Mme E C, représentés par Me Enguehard, demandent au tribunal :
1°) d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre du 5 février 2021 qui a validé un devis de travaux d'un montant de 2 302 euros ;
2°) de rejeter la demande de condamnation pour procédure abusive formulée par la défense ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le maire de la commune de Coulouvray-Boisbenatre n'a pas de délégation du conseil municipal pour ester en justice ;
- leur requête est recevable ;
- la délibération est entachée d'un vice de procédure, la convocation du conseil municipal étant irrégulière ;
- la délibération méconnaît l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales ;
- la délibération méconnaît l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales ;
- la délibération, qui méconnaît la mise en concurrence prévue par le décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif à diverses dispositions concernant les marchés de l'Etat et des collectivités territoriales, est motivée par du favoritisme ;
- la requête n'est pas abusive.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 avril 2021, le 16 septembre 2021 et le 25 février 2022, la commune de Coulouvray-Boisbenâtre, représentée par Me Soublin conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. B et Mme C au titre de l'indemnisation du préjudice né d'une procédure abusive, et la somme de 1 500 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B et Mme C ne sont pas fondés et que la procédure engagée devant le tribunal est abusive.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D,
- les conclusions de M. Bonneu, rapporteur public,
Les parties n'étaient ni présentes, ni représentées
Considérant ce qui suit :
1. M. A B et Mme E C sont élus d'opposition au sein du conseil municipal de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre. Par une délibération du 5 février 2021, objet du présent litige, le conseil municipal de la commune a approuvé un devis de 2 302 euros hors taxe pour effectuer des travaux de remise en état d'un appartement.
Sur la recevabilité des écritures en défense de la commune :
2. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : "Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal, et de transiger avec les tiers dans la limite de 1 000 € pour les communes de moins de 50 000 habitants et de 5 000 € pour les communes de 50 000 habitants et plus ()".
3. Il ressort des pièces du dossier que le conseil municipal de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre a, par une délibération du 4 juillet 2020, donné délégation au maire de la commune, en application de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales précité, pour agir et défendre au nom de la commune. Dès lors, le moyen tiré de l'absence de délégation du maire pour représenter la commune en justice manque en fait et doit être écarté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales : "Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est transmise de manière dématérialisée ou, si les conseillers municipaux en font la demande, adressée par écrit à leur domicile ou à une autre adresse. ". Aux termes de l'article L. 2121-11 du même code : "Dans les communes de moins de 3 500 habitants, la convocation est adressée trois jours francs au moins avant celui de la réunion".
5. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Coulouvray-Boisbenâtre compte moins de 3 500 habitants et que les convocations, attestées par des écrits d'élus, ont été envoyées le jeudi 28 février 2021 pour une réunion du 5 février 2021, soit un délai de plus de trois jours francs. Par conséquent, le moyen tiré de l'irrégularité de la convocation du conseil municipal doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, dans sa version en vigueur à la date de la délibération : " Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ".
7. La seule circonstance que l'un des conseillers municipaux, qui a pris part aux délibérations du conseil municipal de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre ayant pour objet l'approbation d'un devis de travaux, soit le frère de l'artisan bénéficiaire du contrat, ne suffit pas à établir qu'il soit "intéressé à l'affaire" au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce conseiller municipal, simple membre suppléant, ait participé aux travaux de la commission d'appel d'offre ayant examiné le devis approuvé, ni qu'il ait influencé le vote du conseil municipal. En conséquence, le moyen doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ".
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les conseillers municipaux n'auraient pas été mis à même d'exercer, en tant que de besoin, leur droit à l'information en prenant connaissance du dossier avant la réunion ou en demandant des précisions en séance, afin d'être à même de délibérer en toute connaissance de cause. En l'absence d'élément circonstancié produit par les requérants, il n'est pas établi que des conseillers municipaux aient sollicité en vain, avant la réunion du conseil municipal ou pendant la séance du 5 février 2021, la communication d'informations complémentaires, en particulier la communication du devis en cause. Il ressort d'ailleurs de l'extrait du registre des délibérations que ce devis a été présenté en séance. En conséquence, le moyen tiré du défaut d'information des conseillers municipaux doit être écarté.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 2122-8 du code de la commande publique : "L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 40 000 euros hors taxes ou pour les lots dont le montant est inférieur à 40 000 euros hors taxes et qui remplissent la condition prévue au b du 2° de l'article R. 2123-1. L'acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin".
11. M. B et Mme C soutiennent que l'approbation du devis en cause ne respecte pas les règles applicables en matière de mise en concurrence et de publicité du marché telles que prévues par l'article R. 2122-8 du code de la commande publique précité. Il ressort des pièces du dossier que le devis fait état d'une somme de 2 302 euros hors taxe, soit un montant en dessous du seuil de mise en concurrence ou de soumission à publicité. Si les requérants invoquent un défaut de publicité et de mise en concurrence, le devis considéré, dont il n'est pas établi qu'il s'inscrirait dans un marché global supérieur à 40 000 euros sur un an, n'entre pas dans la catégorie des marchés soumis à publicité ou mise en concurrence. En conséquence, le moyen tiré du défaut de mise en concurrence ou de publicité du devis approuvé par la délibération attaquée doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B et Mme C doit être rejetée dans l'ensemble de ses conclusions.
Sur les conclusions reconventionnelles pour procédure abusive :
13. Les conclusions présentées par M. B et Mme C présentent la nature d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite les conclusions reconventionnelles de la commune de Coulouvray-Boisbenâtre, qui tendent à l'octroi d'une indemnité en réparation du préjudice lié au caractère abusif de la procédure, ne sont pas recevables.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B et de Mme C la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Coulouvray-Boisbenâtre et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B et Mme C est rejetée.
Article 2 : M. B et Mme C verseront à la commune de Coulouvray-Boisbenâtre une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, à Mme E C et à la commune de Coulouvray-Boisbenâtre.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Cheylan, président,
M. Martinez, premier conseiller,
Mme Arniaud, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2022.
Le rapporteur,
Signé
P. D
Le président,
Signé
F. CHEYLAN
La greffière,
Signé
C. BÉNIS
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Bénis