TA Cergy-P, 01/12/2022, n°1911968

TA Cergy-P, 01/12/2022, n°1911968

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 septembre 2019 et le 18 mai 2021, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) ARETEC Ingénierie, représentée par Me Stephan, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du 7 février 2019 par laquelle le directeur des grands projets pôle Lycées de la région Ile-de-France a résilié le marché n° 1200520 d'ordonnancement, pilotage et coordination dont elle était titulaire ;

2°) d'annuler la décision du 13 décembre 2018 par laquelle la société d'aménagement et d'équipement de la région parisienne a rejeté sa demande indemnitaire préalable ;

3°) de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 56 000 euros hors taxe (HT) au titre de l'enrichissement sans cause, la somme de 9 890,75 euros HT au titre des prestations supplémentaires non prévues par le marché et la somme de 56 007,68 euros HT au titre de l'augmentation du volume des travaux prévus, assorties des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2018 et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur les conclusions d'excès de pouvoir :

- la décision du 7 février 2019 est signée par une autorité incompétente ;

- le directeur des grands projets pôle Lycées de la région Ile-de-France ne pouvait procéder à la résiliation du marché alors que le délai contractuel avait expiré ;

- en l'absence de faute, il a entaché la décision attaquée d'une erreur d'appréciation.

Sur les conclusions indemnitaires :

- la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée dès lors qu'elle s'est enrichie sans cause au titre des prestations effectuées après l'expiration du marché ;

- elle est engagée dès lors que la région est tenue d'indemniser les prestations supplémentaires qu'elle a réalisées ;

- elle est engagée dès lors que la décision de résiliation du marché du 7 février 2019 est entachée d'illégalité ;

- les préjudices financiers subséquemment subis doivent être réparés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2021, la présidente du conseil régional d'Ile-de-France conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable en tant qu'elle porte sur la décision de résiliation du marché ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gay-Heuzey, conseillère,

- les conclusions de M. Camguilhem, rapporteur public,

- et les observations de Me Stephan, représentant la SASU ARETEC Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'aménagement et d'équipement de la région parisienne (SAERP), maître d'ouvrage délégué par la région Ile-de-France pour la restructuration du lycée "Les côtes de Villebon" à Meudon (Hauts-de-Seine), a confié à la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) ARETEC Ingénierie, par un acte d'engagement du 4 novembre 2013, le marché d'ordonnancement, pilotage et coordination de cette opération. Par la présente requête, la SASU ARETEC Ingénierie demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, l'annulation de la décision du 7 février 2019 par laquelle le directeur des grands projets pôle Lycées de la région Ile-de-France a résilié ce marché, l'annulation de la décision du 13 décembre 2018 par laquelle la SAERP a rejeté sa demande indemnitaire préalable et la condamnation de la région Ile-de-France à lui verser la somme de 56 000 euros hors taxe (HT) au titre de l'enrichissement sans cause, la somme de 9 890,75 euros HT au titre des prestations supplémentaires non prévues par le marché et la somme de 56 007,68 euros HT au titre de l'augmentation du volume des travaux prévus, assorties des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2018 et de leur capitalisation.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la présidente du conseil régional d'Ile-de-France :

2. Une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation. Eu égard aux particularités de ce recours contentieux, à l'étendue des pouvoirs de pleine juridiction dont le juge du contrat dispose et qui peut le conduire, si les conditions en sont satisfaites, à ordonner la reprise des relations contractuelles ainsi qu'à l'intervention du juge des référés pour prendre des mesures provisoires en ce sens, l'exercice d'un recours administratif pour contester cette mesure, s'il est toujours loisible au cocontractant d'y recourir, ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux.

3. Il résulte de l'instruction que la société ARETEC Ingénierie doit être regardée comme ayant eu connaissance de la décision du 7 février 2019, par laquelle le directeur des grands projets pôle Lycées de la région Ile-de-France a résilié le marché litigieux, le 22 février 2019, date de formation de son recours gracieux dirigé contre cette décision. Ainsi, le délai de recours de deux mois ouvert à l'encontre de la décision litigieuse expirait le 23 avril 2019. Par suite, les conclusions à fin d'annulation de la décision du 7 février 2019, enregistrées le 24 septembre 2019 au greffe du tribunal, sont tardives. Elles doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions d'excès de pouvoir :

4. La décision du 13 décembre 2018 par laquelle le directeur général de la SAERP a rejeté la réclamation indemnitaire de la SASU ARETEC Ingénierie a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressée, qui a donné à sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit du requérant à percevoir les sommes auxquelles il prétend, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée sont sans objet et ne peuvent par suite qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité quasi-contractuelle au titre de l'enrichissement sans cause :

5. Aux termes des stipulations de l'article 5-1 de l'acte d'engagement du marché litigieux : "Le délai contractuel part de la date de notification du marché et s'achève à l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement (éventuellement prolongé) des travaux de l'opération (soit à titre indicatif une durée prévisionnelle de 52 mois).".

6. La société ARETEC Ingénierie soutient, dans le dernier état de ses écritures, que les prestations qu'elle a réalisées au bénéfice de la SAERP pendant la période comprise entre le 4 mars 2018 et le mois de décembre 2018 constituent un enrichissement sans cause du pouvoir adjudicateur dès lors que le marché litigieux, notifié le 4 novembre 2013, avait expiré le 4 mars 2018, eu égard à sa durée prévisionnelle de 52 mois et au rejet de ses demandes de prolongation du délai d'exécution de celui-ci formées le 2 mai 2018 et le 9 juillet 2018. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux auraient été réceptionnés non plus que le délai de garantie de parfait achèvement de ceux-ci aurait été acquis avant le mois de décembre 2018. Par suite, alors que la durée prévisionnelle du marché n'était qu'indicative et qu'il n'était pas exclu qu'elle soit prolongée, la société ARETEC Ingénierie était contractuellement liée à la SAERP pour la réalisation des prestations litigieuses pendant la période considérée. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée au titre de l'enrichissement sans cause de la SAERP.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle au titre des prestations supplémentaires :

7. Le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et seules une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération.

8. En l'espèce, pour demander l'augmentation de sa rémunération du fait de l'augmentation du volume des travaux prévus par le contrat et des travaux supplémentaires décidés par la SAERP, la société ARETEC Ingénierie soutient que ces travaux ont conduit la maîtrise d'œuvre à réaliser des prestations supplémentaires. Toutefois, la société ARETEC Ingénierie ne justifie pas des prestations précises qu'elle aurait été amenée à réaliser ni que l'ampleur des travaux supplémentaires réalisés l'aurait nécessairement conduite à effectuer des prestations supplémentaires utiles à l'exécution des modifications ainsi demandées par le maître d'ouvrage. La société ARETEC Ingénierie ne justifie pas davantage que les prestations supplémentaires alléguées d'ordonnancement, pilotage et coordination auraient été décidées par le maître d'ouvrage dès lors que, par les courriers du 16 octobre 2018, 19 octobre 2017 et 10 janvier 2019, la SAERP s'est bornée à mettre en demeure la requérante de réaliser les prestations prévues par le marché initial. Par suite, la société ARETEC Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée en l'absence de rémunération supplémentaire versée par la SAERP au titre des prestations supplémentaires réalisées.

En ce qui concerne la responsabilité quasi-contractuelle au titre de l'illégalité de la décision de résiliation :

9. En premier lieu, par arrêté du 16 juin 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture d'Ile-de-France du même jour, la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a donné délégation à M. A B, directeur des grands projets du pôle lycée, à l'effet de signer tous actes relatifs aux contrats entrant dans la compétence du pôle. Par suite, la société ARETEC Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée en tant que la décision de résiliation du marché du 7 février 2019 serait entachée d'un vice d'incompétence.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, ainsi de ce qui a été aux points 5 et 6 du présent jugement, que les travaux n'avaient pas été réceptionnés, pas plus que le délai de garantie de parfait achèvement de ceux-ci n'avait été acquis, avant le 7 février 2019. Par suite, la société ARETEC Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée en tant que la résiliation du marché du 7 février 2019 aurait été décidée après l'expiration du marché litigieux.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 32.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, dans sa version applicable au litige : "Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : / () c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels ; ()". Selon l'article 13.3 du même cahier : "13. 3. 1. Lorsque le titulaire est dans l'impossibilité de respecter les délais d'exécution du fait du pouvoir adjudicateur ou du fait d'un événement ayant le caractère de force majeure, le pouvoir adjudicateur prolonge le délai d'exécution. Le délai ainsi prolongé a les mêmes effets que le délai contractuel. / 13.3.2. Pour bénéficier de cette prolongation, le titulaire signale au pouvoir adjudicateur les causes faisant obstacle à l'exécution du marché dans le délai contractuel. Il dispose, à cet effet, d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ces causes sont apparues ou d'un délai courant jusqu'à la fin du marché, dans le cas où le marché arrive à échéance dans un délai inférieur à quinze jours. Il indique, par la même demande, au pouvoir adjudicateur la durée de la prolongation demandée. ()".

12. Par une décision du 7 février 2019, le directeur des grands projets du pôle lycée de la région Ile-de-France a prononcé la résiliation du marché litigieux, aux torts de la société requérante, après l'avoir mise en demeure, le 19 octobre 2017, le 16 octobre 2018 et le 10 janvier 2019, de remédier aux manquements relatifs à l'absence de production d'un calendrier général pointé tenant compte des interventions des entreprises par niveau, de productions de calendriers plus détaillés par zone et par corps d'état, de production d'un phasage cohérent à destination des utilisateurs, de suivi des levées des réserves en phase de parfait achèvement, de mise en place d'une réunion " planning " hebdomadaire, de production d'un état complet de l'ensemble des documents indicés avec leurs mises à jour, de production des justificatifs nécessaires à la vérification de la concordance entre l'offre et la réalisation des prestations et au regard de la cessation de toute communication depuis le 10 janvier 2019, ainsi que de toute présence sur le site des travaux. Si la société requérante soutient que ces manquements ne sont pas établis, elle n'en justifie pas en se bornant à produire deux courriers adressées à la SAERP, le premier du 25 octobre 2018 par lequel elle s'est bornée à alléguer s'être conformée aux mises en demeure relatives aux manquements qui lui ont été reprochés et le second du 19 novembre 2018 par lequel elle a informé la SAERP du retard d'exécution d'une entreprise titulaire d'un lot du marché de travaux et des conséquences de celui-ci sur ses propres obligations. Par ailleurs, si la SASU ARETEC Ingénierie soutient qu'elle n'a pas commis de faute dès lors que la SAERP était tenue de faire droit à ses demandes des 2 mai et 9 juillet 2018 de prolongation de la durée d'exécution du contrat, eu égard à la situation de force majeure constituée par des désordres structurels et la présence d'amiante dans un bâtiment, il ne résulte pas de l'instruction que ces éléments auraient été constitutifs de circonstances extérieures, imprévisibles et irrésistibles qui l'auraient empêchée de réaliser les prestations contractuellement prévues dans les délais requis. Par suite, la société ARETEC Ingénierie n'est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que la responsabilité de la région Ile-de-France est engagée en tant que la décision de résiliation du marché du 7 février 2019 méconnaît les stipulations contractuelles précitées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de la SASU ARETEC Ingénierie doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ces motifs, le tribunal décide :

Article 1er : La requête de la SASU ARETEC Ingénierie est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SASU ARETEC Ingénierie et à la présidente du conseil régional d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Oriol, présidente,

Mmes C et Gay-Heuzey, conseillères,

Assistées de Mme Ricaud, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La rapporteure,

Signé

A. GAY-HEUZEY

La présidente,

Signé

C. ORIOL

La greffière,

Signé

V. RICAUD

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour ampliation,

La greffière

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