TA de Toulouse, 09 novembre 2023, n° 2200186

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 janvier 2022, 25 janvier et 21 mars 2023, la société SBF groupe, représentée par la Selarl ISALEX avocats, doit être regardée comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de condamner la communauté d'agglomération de l'Albigeois à lui verser une somme de 50 000 euros au titre du paiement direct des prestations effectuées, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 11 décembre 2019 ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la communauté d'agglomération de l'Albigeois à lui verser une somme de 50 000 euros au titre du préjudice qu'elle estime avoir subi, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts à compter du 11 décembre 2019, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de l'Albigeois les dépens ainsi que le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la communauté d'agglomération de l'Albigeois a méconnu l'article 14.1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dès lors qu'elle n'a signé la déclaration de sous-traitance que le 30 décembre 2019 alors qu'elle avait été informée de sa présence sur le chantier depuis plusieurs mois ;

- elle a remis à la communauté d'agglomération de l'Albigeois ainsi qu'au maître d'œuvre une note de calcul des garde-corps et des plans de calepinage sur lesquels sa participation au chantier est mentionnée ; ces documents de travail ont été intégrés dans un compte rendu d'une réunion de chantier en date du 19 novembre 2019, auquel le président de la société SBF groupe a assistée ; le maître d'œuvre lui a demandé de livrer un prototype de garde-corps ;

- bien qu'aucune décision de résiliation ne soit intervenue, il apparaît que la communauté d'agglomération de l'Albigeois a mis un terme aux relations contractuelles alors que les travaux d'étude et de réalisation du prototype de garde-corps avaient été réalisés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 novembre 2022 et 10 mars 2023, la communauté d'agglomération de l'Albigeois conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- elle a été destinataire d'un acte de sous-traitance pour lequel elle a délivré un agrément ; elle l'a signé le 30 décembre 2019 et l'a transmis en mains propres à la société IOA construction le 16 janvier 2020 ;

- le maître d'œuvre n'a pas sollicité la société SBF groupe afin qu'elle livre un prototype de garde-corps ; il a émis de nombreuses réserves quant à ce projet et que les études d'exécution n'étaient ni finalisées, ni validées ; la société IOA construction a fait livrer les pattes d'attache du garde-corps sans qu'aucune demande d'agrément n'ait été soumise au maître d'œuvre et sans que les études correspondantes n'aient fait l'objet d'un visa du maître d'œuvre ;

- elle n'a diligenté aucune mesure de résiliation ; une telle mesure est intervenue de fait en raison de la liquidation judiciaire de la société IOA construction au mois de mars 2022 et de la décision du liquidateur de ne pas poursuivre l'exécution du marché ;

- aucune facture de la société SBF groupe n'a été soumise au maître d'œuvre par la société IOA construction au titre de l'exécution du marché et des situations de travaux mensuelles ; elle a eu connaissance de la facture d'un montant de 50 000 euros le 9 juillet 2021 alors que les études d'exécution n'étaient ni finalisées, ni validées et que le maître d'œuvre n'avait jamais ordonné la fabrication d'un prototype de garde-corps ; le 11 décembre 2019, soit la date d'établissement de la facture, la société requérante n'avait pas réalisé de prototype ; la facture ne chiffre pas un prototype mais un linéaire de garde-corps d'environ 49 mètres qui ne peut être associé à aucune prestation effectivement réalisée ; la somme réclamée par la société SBF groupe est incohérente par rapport au devis fourni.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pétri ;

- et les conclusions de M. Déderen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'une opération de construction d'une passerelle piétonne et cyclable au-dessus du Tarn dans la commune d'Albi, la communauté d'agglomération de l'Albigeois a confié le marché relatif à la réalisation de la charpente métallique à la société IOA construction par un acte d'engagement signé le 25 juillet 2018. La société IOA construction a désigné comme sous-traitant la société SBF groupe pour la fourniture et la pose de garde-corps en inox. Une déclaration de sous-traitance a été signée par les sociétés IOA construction et SBF groupe ainsi que par la communauté d'agglomération de l'Albigeois le 30 décembre 2019 pour un montant de 50 000 euros. Par un courrier du 9 juillet 2021, la société SBF groupe a demandé le règlement d'une facture de 50 000 euros à la communauté d'agglomération de l'Albigeois correspondant aux travaux qu'elle a réalisés dans le cadre de ce marché. Par la présente requête, la société SBF groupe demande au tribunal de condamner la communauté d'agglomération de l'Albigeois à lui verser cette somme de 50 000 euros au titre du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Sur le paiement direct des prestations effectuées :

2. Selon l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelé sous-traitant tout ou partie de l'exécution du () marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " L'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de contrat de sous-traitance (). Aux termes de l'article 6 de cette loi : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. () ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage, pour la part du marché dont il assure l'exécution, est subordonné à la double condition qu'à la demande de l'entrepreneur principal, le sous-traitant ait été accepté par le maître de l'ouvrage et que les conditions de paiement du contrat de sous-traitance aient été agréées par lui. Toutefois, dans l'hypothèse d'une rémunération directe du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier peut contrôler l'exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant, y compris en vérifiant la correspondance entre la consistance des travaux réalisés et les stipulations du marché.

4. Il résulte de l'instruction que la communauté d'agglomération de l'Albigeois, maître d'ouvrage, a accepté la société SBF groupe en qualité de sous-traitante de la société IOA construction, titulaire du marché, et agréé ses conditions de paiement, par un formulaire DC4, déclaration de sous-traitance, signé le 30 décembre 2019. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la société requérante n'a pas respecté les étapes imposées par le maître d'œuvre dans le cadre de l'exécution du marché public litigieux, à savoir, dans l'ordre : la validation des documents d'exécution des travaux par le maître d'œuvre ; l'exécution d'un prototype de garde-corps pour validation par le maître d'œuvre ; l'exécution de la phase relative aux pattes d'attache des garde-corps. En effet, dans un courriel du 3 septembre 2020, le maître d'œuvre s'est étonné d'avoir vu livrer des pattes d'attache du garde-corps alors même, ainsi que cela a été indiqué à plusieurs reprises lors de réunions de chantier, que les documents d'exécution n'avaient pas été finalisés, et donc validés, et a rappelé à la société requérante l'obligation de réaliser un prototype de garde-corps avant la livraison des pattes d'attache correspondantes. Le maître d'œuvre a une nouvelle fois exprimé son étonnement à l'occasion d'une réunion de chantier qui s'est tenue le 23 octobre 2023, ainsi que la nécessité de disposer des documents d'exécution pour validation. Par ailleurs, la société IOA construction a demandé au maître d'œuvre, par un courriel du 17 janvier 2021, des informations relatives à la livraison du prototype de garde-corps, et ce dernier lui a répondu que la réalisation de ce prototype ne pouvait pas intervenir avant la validation des documents d'exécution. Il résulte toutefois de l'instruction que la société requérante a d'abord procédé à la livraison des pattes d'attache des garde-corps puis à la réalisation d'un prototype de ces garde-corps, sans que les documents d'exécution aient pu être finalisés et, par conséquent, validés. Elle ne saurait par suite être fondée à demander à la communauté d'agglomération de l'Albigeois de lui régler des prestations pour lesquelles aucun accord ne lui a été donné. En tout état de cause, la facture qu'elle a transmise au maître d'ouvrage le 9 juillet 2021 mentionne la fourniture et la pose de 48,83 garde-corps en inox, alors même qu'il n'est pas établi qu'une telle prestation ait été demandée par le maître d'ouvrage et réalisée par la société requérante, qui se prévaut de la réalisation d'un prototype de garde-corps et des pattes d'attache de ces garde-corps uniquement. Par suite, et alors même qu'elle a été acceptée en qualité de sous-traitante et que ses conditions de paiement ont été agréées, la société SBF groupe n'est pas fondée à demander le paiement de la somme de 50 000 euros au titre du paiement direct.

Sur la responsabilité quasi-délictuelle du maître d'ouvrage :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 14.1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : / - le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; / - si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution. ". Il résulte de ces dispositions que le maître d'ouvrage qui, ayant eu connaissance d'une sous-traitance irrégulière, s'abstient de toute mesure propre à y mettre fin, commet une faute de nature à engager sa responsabilité.

6. La société SBF groupe soutient que la communauté d'agglomération de l'Albigeois aurait commis une faute en procédant à son agrément de manière tardive et que sa responsabilité doit être engagée en raison de la méconnaissance de l'article 14.1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la société SBF groupe a été acceptée en qualité de sous-traitante de l'entrepreneur IOA construction par un acte signé par la communauté d'agglomération de l'Albigeois le 30 décembre 2019. S'il résulte de l'instruction que la société SBF groupe a produit des documents techniques (une note de calcul et un plan de calepinage) les 5 mai et 22 octobre 2019 et que sa présence sur le chantier a été constatée à plusieurs reprises à l'occasion de réunions de chantier, les 26 mars et 5 novembre 2019 notamment, il résulte également de l'instruction que la société requérante a communiqué tardivement les pièces nécessaires à son agrément. Plus précisément, le compte rendu de réunion de chantier n° 30 en date du 26 mars 2019 indique que la déclaration de candidat n'est pas signée par les sociétés SBF groupe et IOA construction et que le maître d'œuvre a demandé à la société SBF groupe de lui transmettre des références complémentaires. En outre, des rappels ont été adressés à la société SBF groupe à plusieurs reprises et la liste de ses références a été communiquée le 16 juillet 2019. Par ailleurs, dans le compte rendu de la réunion de chantier n° 49, le maître d'ouvrage indique que la société SBF groupe n'a pas fait l'objet d'un agrément dès lors que les références qu'elle a transmises sous forme de liste ne correspondent pas à ce qui a été demandé par le maître d'œuvre et rappelle que ce sont des références illustrées de garde-corps d'une nature et d'une complexité similaires à celles du marché litigieux ainsi que des certificats de capacité de donneurs d'ordre qui ont été sollicités. Il résulte également des pièces produites que des rappels ont été effectués auprès de la société SBF groupe à l'occasion de la réunion de chantier n° 50 et que les références transmises le 29 août 2019 ne répondaient toujours pas à la demande du maître d'œuvre. Le compte rendu de la réunion de chantier n° 52 indique que les certificats de capacité sont toujours en attente, et celui de la réunion de chantier n° 55 rappelle que le maître d'ouvrage se trouve toujours en attente des pièces complémentaires demandées à la société SBF groupe. Enfin, il résulte du compte rendu de la réunion de chantier n° 57 qui s'est tenue le 19 novembre 2019 que la société SBF groupe a transmis deux certificats de bonne exécution sans toutefois pouvoir transmettre de références correspondant à la demande du maître d'œuvre. Aussi, au vu de ce qui vient d'être dit, la société SBF groupe n'est pas fondée à demander l'engagement de la responsabilité pour faute de la communauté d'agglomération de l'Albigeois dès lors que l'agrément tardif dont elle se prévaut résulte de ses propres carences dans la transmission des pièces nécessaires à cet agrément. Ainsi, dès lors que le maître d'ouvrage n'a pas été mis en mesure d'agréer la société requérante avant le 19 novembre 2019 et que le formulaire de déclaration du candidat modifié a été signé par cette dernière le 11 décembre suivant et par la société IOA construction le lendemain, l'agrément intervenu le 30 décembre 2019 ne saurait être considéré comme tardif. Par suite, les conclusions présentées par la société SBF groupe sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la communauté d'agglomération de l'Albigeois doivent être rejetées.

7. En second lieu, si la société SBF groupe sollicite l'engagement de la responsabilité de la communauté d'agglomération de l'Albigeois au motif qu'elle aurait procédé à la résiliation du contrat en dépit de la réalisation de travaux d'étude et d'un prototype de garde-corps, elle n'établit ni la réalité de cette mesure de résiliation, ni une faute de l'administration. A supposer que la personne publique contractante aurait procédé à une résiliation fautive, et étant précisé que la société requérante ne précise pas de quels rapports contractuels il s'agit, le lien de causalité entre cette faute et le préjudice dont elle se prévaut n'aurait en tout état de cause pas été établi, pour les motifs exposés au point 4.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la société SBF groupe ainsi que celles présentées sur le fondement du droit au paiement direct du sous-traitant doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société SBF groupe relatives aux dépens, au demeurant inexistants, et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société SBF groupe est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société SBF groupe et à la communauté d'agglomération de l'Albigeois.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Carotenuto, présidente,

M. Hecht, premier conseiller,

Mme Pétri, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

La rapporteure,

M. PETRI

La présidente,

S. CAROTENUTO

La greffière,

F. LE GUIELLAN

La République mande et ordonne au préfet du Tarn, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,