TA Dijon, 05/01/2023, n°2001692

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 juillet 2020, le 29 juillet 2021, le 8 novembre 2021 et le 24 novembre 2021, M. D A, représenté par Me Bodin, demande au tribunal :

1°) d'annuler la decision en date du 9 juin 2020 par laquelle la directrice de la direction commune de la communauté hospitalière de territoire (CHT) Saône-et-Loire Nord-Morvan lui a infligé la sanction disciplinaire du licenciement ;

2°) d'enjoindre à la CHT Saône-et-Loire Nord-Morvan de le réintégrer dans ses fonctions ;

3°) de " mettre à la charge du " une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A soutient que :

- la signataire de la décision de licenciement ne disposait pas d'une délégation personnelle opposable lui donnant compétence pour prendre cette décision ;

- la signataire de cette décision aurait dû avoir l'accord du directoire ou d'une instance de gouvernance pour procéder à son licenciement ;

- il a été informé de son licenciement avant même tout commencement de procédure et sans rien connaître des faits justifiant son licenciement ;

- la procédure d'entretien préalable n'a pas été régulière et a contrevenu aux droits de la défense, notamment sur l'information et le principe du contradictoire ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la composition de la CAP était irrégulière, une partie des membres n'étant pas de catégorie au moins égale à la sienne, et l'un des membres étant placé sous son autorité hiérarchique ;

- la décision est entachée de détournement de procédure, le choix de la procédure de licenciement pour faute grave qui est disciplinaire n'ayant été choisie que parce que la directrice de la communauté hospitalière pouvait la signer, tandis qu'un licenciement pour perte de confiance supposait l'aval des instances de gouvernances compétentes s'agissant d'un emploi fonctionnel ;

- les faits qui lui sont reprochés ne pouvant être qualifiés de fautes graves justifiant un licenciement, la sanction est manifestement disproportionnée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 juin, 15 octobre et 24 novembre 2021, le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, représenté par Me Eyrignoux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 2005-921 du 2 août 2005 portant statut particulier des grades et emplois des personnels de direction des établissements mentionnés à l'article 2 (1° et 2°) de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B,

- les conclusions de M. E,

- et les observations de Me Bodin représentant M. A, et de Me Eyrignoux représentant le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.

Considérant ce qui suit :

1. M. A a été recruté, à compter du 29 juillet 2019, pour exercer les fonctions de directeur délégué du centre hospitalier de Montceau-les-Mines en vertu d'un contrat à durée indéterminée. Par une décision du 9 juin 2020, la directrice de la direction commune de la CHT Saône-et-Loire Nord-Morvan lui a infligé la sanction disciplinaire du licenciement. M. A demande l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 2-1 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 : "I. - Une commission consultative paritaire compétente à l'égard des agents contractuels mentionnés à l'article 1er est instituée, dans chaque département, par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé agissant au nom de l'Etat. () / Les commissions consultatives paritaires comprennent, en nombre égal, des représentants de l'administration et des représentants des personnels (). / II. - Ces commissions sont obligatoirement consultées dans les cas prévus aux articles 17-1,17-2, 41-5 et 41-6 ainsi que sur les décisions individuelles relatives : () 3° Aux sanctions disciplinaires autres que l'avertissement et le blâme. () Lorsqu'une commission consultative paritaire siège en matière disciplinaire, seuls les représentants du personnel occupant un emploi de niveau au moins égal à celui de l'agent dont le dossier est examiné, ainsi qu'un nombre égal de représentants de l'administration, sont appelés à délibérer ". Aux termes de l'article 39 du même décret : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une période déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée. / 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. / La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée ". L'article 40 de ce même décret prévoit que : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité signataire du contrat. / L'agent contractuel à l'encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. Il a également le droit de se faire assister par les défenseurs de son choix. / L'intéressé doit être informé par écrit de la procédure engagée et des droits qui lui sont reconnus ". L'article 43 de ce décret dispose que : " Le licenciement ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. L'intéressé est convoqué à l'entretien préalable par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. / L'agent peut se faire accompagner par la ou les personnes de son choix. / Au cours de l'entretien préalable, l'administration indique à l'agent les motifs du licenciement () ".

3. Il est vrai que, par un courrier en date du 10 avril 2020 adressé par lettre recommandée avec avis de réception, Mme C, directrice du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, chargée de la direction commune de la CHT Saône-et-Loire Nord-Morvan, a convoqué M. A, le 27 avril 2020, à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave et lui a notifié sa suspension à compter de la notification de ce courrier. M. A n'ayant pris connaissance de ce courrier que le 22 avril 2020, une nouvelle décision de suspension et une convocation à un entretien préalable le 29 avril 2020 ont été signifiées à l'intéressé par voie d'huissier le 21 avril 2020. La commission administrative paritaire s'est ensuite réunie le 26 mai 2020 et a rendu son avis le 27 mai suivant. Le 9 juin 2020, Mme C a enfin formalisé une décision de licenciement pour faute grave à l'encontre de M. A.

4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, par un communiqué rendu public le 10 avril 2020, Mme C a informé la presse de sa décision de " mettre fin au contrat de travail du directeur délégué de l'établissement " de Montceau-les-Mines. Compte tenu des termes sans équivoque figurant dans ce communiqué de presse, la décision de licencier M. A avait ainsi été prise dès le 10 avril 2020 alors que, pourtant, à cette date, l'intéressé n'avait encore bénéficié d'aucune des garanties, mentionnées au point 2, encadrant une procédure de licenciement. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la décision de le licencier, ultérieurement formalisée le 9 juin 2020, a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce premier motif, l'annulation.

5. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

6. Il est reproché à M. A, tout d'abord, d'avoir signé des bons de commande alors qu'il n'en avait pas la compétence, et d'avoir ce faisant manqué à son devoir de probité en engageant financièrement l'établissement au mépris des règles de la commande publique, ensuite, d'avoir détourné les moyens du service et manqué à son obligation de probité en utilisant à de nombreuses reprises un véhicule de service à des fins personnelles et, enfin, d'avoir adopté un comportement intimidant et agressif à l'égard d'un médecin ainsi qu'à l'encontre d'un membre du comité social et économique (CSE).

7. S'agissant du grief relatif à la méconnaissance des règles de la commande publique, si la fonction achat relève, en application de l'article L. 6132-3 du code de la santé publique, de l'établissement support d'un groupement hospitalier de territoire, M. A disposait toutefois d'une délégation générale de signature consentie par Mme C le 12 juillet 2019 à l'effet de signer tous actes, décisions, avis, notes de service et courriers internes et externes à l'établissement dont il assurait la direction déléguée, à l'exception d'actes au nombre desquels ne figurent pas les achats. Par ailleurs, l'établissement public n'établit pas que M. A aurait été rappelé à l'ordre par sa hiérarchie sur le respect des règles de la commande publique ou des procédures internes mises en place pour sécuriser la fonction achats au sein de la communauté hospitalière. Dans ces conditions, il ne ressort pas des seules pièces du dossier soumis à l'appréciation du tribunal que les faits reprochés à l'intéressé sur ce premier grief seraient de nature à justifier une sanction disciplinaire.

8. S'agissant du grief tenant au comportement de M. A vis-à-vis d'un médecin et d'un membre du CSE, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'appréciation portée par le médecin sur l'attitude de M. A, qualifiée notamment d'intimidante et condescendante, apparait particulièrement subjective et n'est corroborée par aucun élément autre que le témoignage du médecin concerné et, d'autre part, que, lors de la réunion du CSE, aucune menace n'a été proférée par M. A à l'encontre de son interlocuteur. S'il ressort de la médiation organisée à l'issue de cette réunion par l'inspection du travail que l'attitude de M. A lors de cette réunion était caractérisée par une absence de sens du dialogue et de savoir-faire relationnel, aucun comportement violent ou agressif n'a été retenu à l'encontre de l'intéressé. Dans ces conditions, les faits reprochés à M. A en lien avec ce grief ne sauraient être regardés comme des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.

9. Enfin, il est reproché à M. A d'avoir utilisé un véhicule de service à des fins personnelles pour effectuer des trajets sur de longues distances, en dépit de trois rappels à l'ordre intervenus le 19 décembre 2019, les 6 et 16 janvier 2020, et d'avoir fait prendre en charge des frais de déplacement sans rapport avec ses fonctions, pour lesquels il établissait lui-même ses ordres de mission. Ces faits, dont la matérialité n'est pas contestée, constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire. Toutefois, en dépit de l'obligation de probité renforcée pesant sur M. A eu égard à ses fonctions de directeur délégué d'un établissement hospitalier, la sanction de licenciement apparait, dans les circonstances de l'espèce, hors de proportion avec la gravité de ces faits. Le requérant est par suite fondé à demander, pour ce second motif, l'annulation de la sanction de licenciement prononcée à son encontre.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution". L'annulation d'une décision évinçant illégalement un agent public implique, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, la réintégration juridique rétroactive de cet agent à la date de la décision d'éviction illégale, entraînant la régularisation de ses droits sociaux. Si l'agent le demande, l'administration doit également procéder, pour l'avenir, à sa réintégration effective dans l'emploi qu'il occupait avant son éviction illégale ou dans un emploi équivalent à celui-ci.

11. L'annulation de la décision disciplinaire du licenciement infligée à M. A implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait existant à la date du présent jugement, qu'il soit procédé à la réintégration de l'intéressé, dans les conditions définies au point 10. Il y a dès lors lieu d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, établissement support de la direction commune, de procéder à cette réintégration dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme demandée par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au titre des frais exposés par cet établissement et qui ne sont pas compris dans les dépens.

13. Les conclusions présentées par M. A au même titre ne sont dirigées contre aucune personne morale identifiée et doivent dès lors être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 9 juin 2020 par laquelle la directrice de la direction commune de la communauté hospitalière de territoire Saône-et-Loire Nord-Morvan a prononcé le licenciement de M. A est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône de procéder à la réintégration de M. A dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties sont rejetées pour le surplus.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D A et au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Boissy, président,

- M. Blacher, premier conseiller,

- Mme Desseix, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 janvier 2023.

La rapporteure,

M. DesseixLe président,

L. BoissyLa greffière,

E. Herique

La République mande et ordonne au préfet de Saône-et-Loire, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier

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