TA Grenoble, 07/07/2023, n°2303979

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 juin et 5 juillet 2023, la société Sibille Tp, représentée par Me Brillat, demande, dans le dernier état de ses conclusions, au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation à compter de l'examen des offres initiales formulées par les candidats dans le cadre de la procédure de passation d'un marché ayant pour objet l'aménagement d'une zone aqualudique sur le plan d'eau de Queige ;

2°) d'ordonner à la commune de Queige, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres, sous un délai de 5 jours à compter de la date de notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Queige la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Sibille Tp soutient :

- qu'elle est recevable et bien fondée à agir ;

- la note obtenue concernant le critère prix résulte de manquements manifestes de la Commune aux règles fixées par le règlement de la consultation ; alors même que son offre financière était inférieure à celle de l'attributaire inscrite dans l'offre remise par ses soins avant la date limite de réception et déposée sur la plateforme AWS, elle a été moins bien notée ; si les règles de notation fixées par le règlement de la consultation avaient été respectées, elle aurait dû être déclarée attributaire du marché ; la Commune ne démontre pas que l'offre financière de 122 294,40 euros est celle qui a été formulée initialement par la société Vibert, avant la date limite de réception des offres ; les éléments produits démontrent que la société Vibert a réajusté son offre financière au cours d'une négociation à laquelle la requérante n'a pas été invitée à participer, au mépris de l'article 8.3 du règlement de la consultation.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 juillet 2023, la commune de Queige, représentée par son maire en exercice, ayant pour conseil Me Pyanet, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Vial-Pailler pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 6 juillet 2023 à 14 h 30 ont été entendus :

- le rapport de M. Vial-Pailler, juge des référés ;

- les observations de Me Brillat pour la société Sibille Tp qui a soutenu que la modification de l'offre initiale par le candidat retenu présente un delta de 35 000 euros sur un marché de 120 000 euros, que ce montant est trop élevé pour une négociation, qu'il y a eu une rupture d'égalité dans le cadre de la négociation, qu'il y a eu rattrapage d'une offre irrégulière.

- les observations de Me Amet pour la commune de Queige qui a fait valoir que les deux sociétés ont été traitées sur un pied d'égalité puisque toutes les deux ont été invitées à préciser ou à compléter les montants respectifs de leurs offres.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation et d'injonction :

1. Le 24 février 2023, la commune de Queige a lancé une consultation, sous la forme d'une procédure adaptée ouverte, pour la réalisation des travaux relatifs à l'aménagement d'une zone aqualudique sur le plan d'eau de Queige, dont la maîtrise d'œuvre avait été confiée à la société Abest Ingénierie. Ce marché était décomposé en 3 lots, dont un lot 1 intitulé " VRD-Terrassement ". La date limite de remise des offres était fixée au 20 mars 2023. Le 20 mars 2023, la société Sibille Tp a déposé une offre pour ce lot. Une offre a été également reçue de la société Vibert pour ce même lot. Le maître d'œuvre a sollicité de la part de la société Sibille Tp des précisions et compléments s'agissant de son offre par courriel du 26 avril 2023, auquel la société a apporté réponse le 5 mai 2023. La société Vibert a complété son offre le 4 mai 2023. A l'issue de la procédure de consultation, l'offre de la société requérante a été classée seconde derrière l'offre de la société Vibert, à laquelle il a été décidé d'attribuer le marché. La société Sibille Tp, demande, dans le dernier état de ses conclusions, au juge des référés d'annuler la procédure de passation à compter de l'examen des offres initiales formulées par les candidats dans le cadre de la procédure de passation de ce marché.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". En vertu de ces dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'entité adjudicatrice à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". Aux termes de son article L. 2152-2 : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ". Aux termes de son article R. 2152-1 : " Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées. ". Aux termes de son article R. 2152-2 : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles. ".

4. L'article 8.2 du règlement de la consultation prévoit également que : " Le jugement des offres sera effectué dans les conditions prévues aux articles L.2152-1 à L.2152-4, R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique et donnera lieu à un classement des offres. L'attention des candidats est attirée sur le fait que toute offre irrégulière ou inacceptable pourra être régularisée pendant la négociation, et que seule une offre irrégulière pourra être régularisée en l'absence de négociation. En revanche, toute offre inappropriée sera systématiquement éliminée. Toute offre demeurant irrégulière pourra être régularisée dans un délai approprié. La régularisation d'une offre pourra avoir lieu à condition qu'elle ne soit pas anormalement basse. Les critères retenus pour le jugement des offres sont pondérés de la manière suivante :

Critères Pondération1-Méthodologie et moyens mis en oeuvre 50 points1.1-Délai d'exécution des travaux 5 points1.2-Démarche environnementale 10 points1.3-Analyse des travaux et organisation du chantier 15 points1.4-Justificatif des produits et matériaux mis en place 10 points1.5-Moyens humains et moyens matériels 10 points2-Prix des prestations 50 points

Prix des prestations :

Note du candidat : 50 x (prix des prestations Offremin) / (Offrecandidat)

() Dans le cas où des erreurs purement matérielles (de multiplication, d'addition ou de report) seraient constatées entre les indications portées sur le bordereau des prix unitaires et le détail quantitatif estimatif, le bordereau des prix prévaudra et le montant du détail quantitatif estimatif sera rectifié en conséquence. L'entreprise sera invitée à confirmer l'offre ainsi rectifiée ; en cas de refus, son offre sera éliminée comme non cohérente. Aux termes de son article 8.3 - Suite à donner à la consultation : " Après examen des offres, le pouvoir adjudicateur engagera des négociations avec les 3 candidats sélectionnés. Toutefois, le pouvoir adjudicateur se réserve la possibilité d'attribuer le marché sur la base des offres initiales, sans négociation. () ".

5. Le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. Le pouvoir adjudicateur ne peut, dès lors, attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par ce règlement. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur qui, dans le cadre d'une procédure adaptée, décide de recourir à une négociation, peut librement choisir les candidats avec lesquels il souhaite négocier et peut en conséquence, dans le respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables et ne pas les éliminer d'emblée. Il doit cependant, à l'issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables. Cette négociation doit être explicitement annoncée dans l'avis d'appel public à la concurrence ou le règlement de la consultation et être conduite selon les modalités prévues par ledit règlement dans le respect, notamment, du principe d'égalité entre les candidats. Enfin, si le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l'inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur.

6. Par ailleurs, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, à l'issue de la consultation, sur les mérites respectifs des offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas commis d'erreur matérielle dans le classement des offres et n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en méconnaissant ou en altérant manifestement ses termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

7. En premier lieu, la requérante soutient que le courrier en date du 15 juin 2023 par lequel la Commune l'a informé du rejet de son offre mentionne, toutefois que : " le marché a été confié à l'entreprise Sibille TP classée au premier rang du lot 1 sur la base des critères d'attribution du marché indiqué dans le règlement de consultation ", ce qui pourrait relever une erreur de fait dans son classement. Toutefois, il résulte de l'instruction que le prix proposé tant dans le cadre de l'offre initiale que dans le cadre de l'offre rectifiée par la société Sibille TP était supérieur à celui de la société Vibert, attributaire du marché. L'appréciation du critère : " Méthodologie et moyens mis en œuvre " ne fait l'objet, par ailleurs, d'aucune contestation. Il en résulte que le courrier en date du 15 juin 2023 n'est entaché que d'une erreur purement matérielle, qui ne caractérise aucune erreur de fait dans le classement des offres ou dénaturation du contenu de l'offre de la société requérante.

8. En deuxième lieu, la requérante soutient que la note obtenue concernant le critère prix résulte de manquements manifestes de la Commune aux règles fixées par le règlement de la consultation, que dans le cadre de son offre initiale, elle avait proposé une offre financière d'un montant hors taxe de 142 260,25 euros, que son offre financière était inférieure à celle de l'attributaire inscrite dans l'offre remise par ses soins avant la date limite de réception et déposée sur la plateforme AWS, qu'elle a été moins bien notée, que si les règles de notation fixées par le règlement de la consultation avaient été respectées, elle aurait dû être déclarée attributaire du marché, la Commune ne démontrant pas que l'offre financière de 122 294,40 euros était celle qui avait été formulée initialement par la société Vibert, avant la date limite de réception des offres, que les éléments produits démontrent que la société Vibert a réajusté son offre financière au cours d'une négociation à laquelle la requérante n'a pas été invitée à participer, au mépris de l'article 8.3 du règlement de la consultation, qu'il y a eu une rupture d'égalité dans le cadre de la négociation et le rattrapage d'une offre irrégulière.

9. Toutefois, ainsi qu'il est mentionné au point 4, l'article 8.2 du règlement de la consultation prévoit, dans le respect des dispositions des articles R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique rappelées au point 3, que dans le cas où des erreurs purement matérielles (de multiplication, d'addition ou de report) seraient constatées entre les indications portées sur le bordereau des prix unitaires et le détail quantitatif estimatif, le bordereau des prix prévaudra et le montant du détail quantitatif estimatif sera rectifié en conséquence et que l'entreprise sera invitée à confirmer l'offre ainsi rectifiée. Il résulte de l'instruction que dans le cadre de l'examen des offres, le pouvoir adjudicateur a engagé une négociation afin de demander des compléments d'information, sur le lot n°l : VRD. Ainsi, il a été demandé à l'entreprise Vibert TP de confirmer son offre en mettant en adéquation le DQE et l'AE et de compléter son mémoire technique. Il lui a également été demandé des garanties quant à la durabilité de la cuve de stockage des eaux. Il a été, également, demandé à la société Sibille Tp de fournir un planning prévisionnel de l'opération ainsi que de fournir le détail de prix relatif à l'article n°42015 " Vanne à boisseau flottant ". A l'issue de ces rectifications et demandes de précisions, l'offre initiale de la société Vibert d'un montant de 85 303,90 HT, soit 102 364,68 TTC, s'est élevée à 122 294,40 HT soit 146 753,28 T.T.C. L'offre initiale de la société Sibllle Tp, d'un montant de 142 260,25 HT, soit 170712,30 TTC, s'est élevée à 144 260,25 HT, soit 173 112,30 TTC. Il en résulte, ainsi qu'il a été dit au point 7, que le prix proposé tant dans le cadre de l'offre initiale que dans le cadre de l'offre rectifiée par la société Sibille TP était supérieur à celui de la société Vibert, attributaire du marché. La commune de Queige justifie de l'offre financière de 122 294,40 euros formulée initialement par la société Vibert. Contrairement à ce que soutient la requérante, cette procédure de rectification a été conduite selon les modalités prévues par le règlement de la consultation dans le respect du principe d'égalité entre les candidats. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Vibert ait profité de la procédure de rectification pour modifier la teneur de son offre ou que son offre était toujours irrégulière à l'issue de cette procédure. Enfin, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de contrôler l'appréciation portée par l'acheteur public sur les mérites respectifs des offres.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Sibille Tp n'est pas fondée à contester la régularité de la procédure de passation en litige. Ses conclusions à fins d'annulation et d'injonction ne peuvent, dès lors, être accueillies.

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Queige, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Sibille Tp une somme de 1 500 euros en remboursement des frais exposés par la commune de Queige et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Sibille Tp est rejetée.

Article 2 : La société Sibille Tp versera à la commune de Queige la somme de 1500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sibille Tp, à la commune de Queige et à la société Vibert.

Fait à Grenoble, le 7 juillet 2023.

Le juge des référés, Le greffier,

C. VIAL-PAILLER G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.