TA Guadeloupe, 04/04/2023, n°2100128

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2021, la société Getelec TP, représentée par Me Cabanes, demande au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy à lui verser la somme de 934 580,95 euros HT, assortie des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 1er octobre 2020 ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 59 252,72 euros, correspondant aux pénalités de retard réclamées par le centre hospitalier ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- elle est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 320 245,13 euros correspondant au paiement des travaux réalisés ;

- elle est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 437 600 euros HT en réparation des préjudices subis du fait de l'allongement de la durée d'exécution des travaux ;

- elle est fondée à demander la somme de 48 909 euros HT correspondant à l'indemnité de résiliation de 5% prévue par les stipulations de l'article 46.4 du CCAG Travaux ;

- elle est fondée à demander la somme de 59 252,72 euros correspondant aux pénalités de retard lui ayant été indument appliquées dans le décompte de résiliation ; le décompte de résiliation ne précise pas les bases de liquidation de ces pénalités de retard, et plus précisément quels manquements contractuels justifient l'application de pénalités ; elle n'est responsable d'aucun retard d'exécution du marché ; au contraire, c'est elle qui a subi de nombreux retards et incidents qui ont perturbé les conditions d'exécution du marché.

Par deux mémoires en défense et un mémoire en production de pièces, enregistrés les 8 septembre 2021, 30 janvier 2023 et 27 février 2023, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, représenté par Me Caron, conclut au rejet de la requête de la société Getelec TP et à ce que soit mise à la charge de cette société la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que la société Getelec TP lui a adressé un mémoire en réclamation après l'expiration du délai de 45 jours prévu par l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux ; ainsi que l'a affirmé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 464169 du 27 janvier 2023, le décompte de résiliation étant devenu définitif faute de contestation dans ce délai de 45 jours, la société Getelec n'était plus recevable à le contester ;

- la société requérante n'est pas fondée à demander sa condamnation au titre de travaux réalisés ; il lui incombe d'apporter les éléments de fait justifiant la réalité des prestations effectuées or aucun élément transmis à l'appui de son mémoire en réclamation ne permet de remettre en cause l'avancement des travaux décrit dans le procès-verbal de réception des travaux ; la société Getelec TP n'a sollicité aucune constatation contradictoire sur le fondement de l'article 12 du CCAG Travaux, tant avant qu'après la résiliation du marché ; lors de l'établissement du décompte de liquidation, il a été intégré au solde du marché la somme de 29 410,96 euros due au titre de travaux réalisés demeurant impayés ; cette somme, qui correspond aux devis n°5, 25 et 170 transmis par la société Getelec TP, a donc fait l'objet d'un paiement ; l'avancement des travaux proposé par la société Getelec dans son projet de décompte final ne correspondant pas à la réalité des travaux exécutés, il a été décidé de ne pas l'accepter ;

- concernant l'allongement de la durée d'exécution des travaux, aucune faute ne saurait lui être imputée et la société requérante n'établit pas le lien de causalité et la réalité du préjudice subi ;

- l'indemnité de résiliation pour motif d'intérêt général prévue à l'article 46.4 du CCAG Travaux a été intégrée au décompte de liquidation du marché et versée à la société Getelec TP ;

- les pénalités de retard infligées à la société Getelec TP en application de l'article 6.3 du CCAP correspondent d'une part à trois absences à des réunions, justifiant une pénalité de 750 euros, et d'autre part, à un retard de 32 jours dans l'exécution des travaux, pour un montant de 58 502,72 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bentolila, conseillère,

- les conclusions de M. Sabatier-Raffin, rapporteur public,

- et les observations de Me Darmon, du cabinet CLL Avocats, substituant Me Cabanes et représentant le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, la société Getelec TP n'étant ni présente, ni représentée.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 18 octobre 2013, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy a confié l'exécution du lot 401 " VRD / Station-service " du projet de " reconstruction, restructuration et extension du centre hospitalier " à la société Getelec TP. D'importantes difficultés survenues dans l'exécution du marché ont conduit le centre hospitalier à prononcer sa résiliation pour motif d'intérêt général par une décision du 5 novembre 2019. Le 10 août 2020, le centre hospitalier a notifié à la société Getelec TP un décompte de liquidation du marché comportant notamment des pénalités de retard à hauteur de 59 252,72 euros et fixant le solde du marché à la somme négative de 512 411,18 euros. Par un courrier du 1er octobre 2020, la société Getelec TP a fait part de son refus de signer le décompte de liquidation et a transmis un mémoire en réclamation, rejeté par une décision du centre hospitalier du 9 novembre 2020. Sur demande de la société, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a, par une ordonnance du 13 janvier 2022, désigné un expert aux fins de déterminer, notamment, d'une part, les quantités de travaux réalisés par la société Getelec TP et, d'autre part, les causes des retards subis par celle-ci ainsi que le montant des préjudices qui en ont résulté. Par une ordonnance n° 22BX00311 du 4 mai 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé contre l'ordonnance prescrivant cette expertise. Par une décision n°464149 du 27 janvier 2023, le Conseil d'Etat a annulé les ordonnances des 13 janvier 2022 et 4 mai 2022. Par la présente requête, la société Getelec TP demande au tribunal de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 934 580,95 euros HT et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 59 252,72 euros correspondant aux pénalités de retard mises à sa charge.

2. Aux termes de l'article 47 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, dans sa rédaction applicable au marché en litige : " () 47.2.1. En cas de résiliation du marché, une liquidation des comptes est effectuée. Le décompte de liquidation du marché, qui se substitue au décompte général prévu à l'article 13.4.2, est arrêté par décision du représentant du pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire. () / 47.2.3. Le décompte de liquidation est notifié au titulaire par le pouvoir adjudicateur, au plus tard deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1. () ". Aux termes de l'article 13 de ce même CCAG : " () 13.4.2. () Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général. () Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d'y procéder. L'absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord. () / 13.4.4. Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. () / 13.4.5. Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur, dans le délai de quarante-cinq jours fixé à l'article 13.4.4, () ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché () ". Enfin, aux termes de son article 50 : " () 50.1.1. Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général () ".

3. Il résulte de la combinaison de ces stipulations, en l'absence de stipulation particulière relative au décompte de liquidation du marché, que, en cas de résiliation du marché, l'établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les stipulations des articles 13 et 50 du cahier des clauses administratives générales.

4. Il résulte des stipulations de l'article 13.4.2 du CCAG-Travaux précité que l'absence de notification au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l'article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet seulement au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l'absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l'autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord. Par conséquent, la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois, qu'elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l'article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d'être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

5. Il résulte de l'instruction que le 10 août 2020, le centre hospitalier a notifié à la société Getelec TP le décompte de liquidation du marché. Ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent jugement, il appartenait à cette société, titulaire du marché, de renvoyer au centre hospitalier le décompte signé ou de lui faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer dans un délai de 45 jours. Il n'est pas contesté que la réclamation sur le décompte de liquidation notifié le 10 août 2020 n'a été formée que par un courrier du 1er octobre 2020, notifié le 5 octobre 2020, soit après l'expiration de ce délai. A défaut d'avoir respecté ce délai et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la résiliation du marché aurait elle-même fait l'objet d'une contestation, ce décompte est devenu définitif et ne peut plus être contesté. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy doit être accueillie et la requête de la société Getelec TP ne peut qu'être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

6. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. () ".

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, liquidés et taxés par une ordonnance du 14 février 2023 pour un montant de 4 088,71 euros, comprenant le montant d'une allocation provisionnelle de 3 000 euros, à la charge définitive de la société Getelec.

8. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la société Getelec TP demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Getelec TP la somme de 1 500 euros à verser au centre hospitalier sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Getelec TP est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise, ordonnée le 13 janvier 2022 par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, liquidés et taxés à la somme de 4 088,71 euros, sont mis à la charge définitive de la société Getelec TP.

Article 3 : La société Getelec TP versera au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Getelec TP et au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Guiserix, président,

- M. Antoine Lubrani, conseiller,

- Mme Hélène Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

La rapporteure,

Signé

H. BENTOLILALe président,

Signé

O. GUISERIX

La greffière,

Signé

A. CETOL

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

L'adjointe de la greffière en chef,

Signé

A. Cétol