TA Guadeloupe, 24/01/2023, n°2100629

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2021, la société à responsabilité limitée (SARL) Switch Energie, représentée par Me Delumeau, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'accord-cadre passé par le syndicat mixte d'électricité de la Guadeloupe (SyMEG) pour des prestations de maîtrise d'œuvre liées aux opérations d'électrification sur le réseau de distribution d'électricité de la Guadeloupe ;

2°) d'enjoindre au SyMEG de relancer la procédure de consultation ;

3°) de mettre à la charge du SyMEG une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- les motifs de rejet de son offre ne lui ont pas été communiqués avec suffisamment de précision, en méconnaissance des dispositions de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- son offre n'était pas irrégulière ;

- le SyMEG aurait dû l'inviter à régulariser son offre, en application des dispositions de l'article R. 2152-2 du code de la commande publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2021, le syndicat mixte d'électricité de la Guadeloupe, représenté par la SCP Seban et Associés, agissant par Me Vandepoorter, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Switch Energie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la société requérante a été informée du rejet de son offre ainsi que du motif de rejet par un courrier du 20 avril 2021 ;

- l'offre de la société requérante était irrégulière car elle était incomplète ; les pièces produites par la société lors du dépôt de son offre finale correspondent uniquement aux documents produits dans le cadre de la phase de négociation ; elle n'a pas produit les bordereaux des prix unitaires pour chacun des lots ;

- il avait la faculté et non l'obligation d'autoriser la société requérante à régulariser son offre.

La requête a été communiquée aux sociétés Energie Caraïbes Consulting, Artelia, Bet-E-Unimon, Safège-Suez Consulting et au groupement SARL Arfi-LTC SAS-Gamma Ingénierie, qui n'ont pas produit d'observations.

Par ordonnance du 31 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 novembre 2022 à 12 heures.

La société Switch Energie a produit un mémoire le 5 janvier 2022, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bentolila, conseillère,

- les conclusions de M. Sabatier-Raffin, rapporteur public,

- les parties n'étant ni présentes, ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 12 août 2020 au journal officiel de l'Union européenne, le syndicat mixte d'électricité de la Guadeloupe (SyMEG) a lancé une procédure avec négociation en vue de la passation d'un accord-cadre portant sur des prestations de maîtrise d'œuvre liées aux opérations d'électrification sur le réseau de distribution d'électricité de la Guadeloupe. La société Switch Energie s'est portée candidate pour l'attribution de chacun des quatre lots de cet accord-cadre. Par un courrier du 20 avril 2021, le SyMEG l'a informée du rejet de son offre au motif que celle-ci était irrégulière et lui a indiqué le nom des entreprises attributaires pour chacun des quatre lots de l'accord-cadre. Les contrats ont ensuite été signés le 27 mai 2021. Par la présente requête, la société Switch Energie demande au tribunal l'annulation de cet accord-cadre.

Sur les conclusions en contestation de la validité du contrat :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité.

3. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Au titre de tels manquements, le concurrent évincé peut contester la décision par laquelle son offre a été écartée comme irrégulière.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : "L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. ".

5. Si la société requérante soutient que le SyMEG a méconnu les dispositions précitées en ne l'informant pas avec suffisamment de précision des motifs du rejet de son offre, cette irrégularité est sans rapport direct avec son éviction et n'affecte pas la validité du contrat, de sorte qu'elle ne saurait justifier son annulation. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 20 avril 2021, le SyMEG a informé la société Switch Energie du rejet de son offre pour l'attribution des quatre lots de l'accord-cadre litigieux. Ce courrier de notification précisait également que les offres présentées par la société requérante avaient été rejetées en raison de leur irrégularité, dès lors que les plis transmis pour chacun des quatre lots ne comportaient pas l'ensemble des pièces réclamées au titre des offres finales. Le SyMEG lui a par ailleurs indiqué les noms et pourcentages attribués au titre des différents lots ainsi que les motifs ayant conduit au choix de ces offres. Puis, par un courrier du 7 juin 2021, le SyMEG a, en réponse au courrier adressé par la société Switch Energie le 26 mai 2021, de nouveau indiqué à ladite société les motifs de rejet de son offre en lui précisant que celle-ci avait été écartée comme irrégulière car contrairement aux articles 5.1 et 5.2 du règlement de consultation, elle n'avait pas remis une offre finale complète. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

7. Selon l'article 6.1.1 du règlement de la consultation " Sera déclarée comme irrégulière, une offre, qui, tout en apportant une réponse au besoin de l'entité adjudicatrice, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées au sein des documents de la consultation. Ceci sera, notamment, le cas s'il est constaté que le bordereau de prix n'est pas fourni ou s'il est incomplet. ". De plus, il résulte des articles 5.1 et 5.2 du règlement de la consultation que les candidats devaient, à l'issue des négociations, remettre leurs offres finales, composées d'un acte d'engagement par lot, d'un mémoire technique limité à 20 pages ainsi que, pour chaque lot pour lequel le candidat soumissionnait, un bordereau des prix unitaires complété et signé.

8. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Switch Energie, qui soumissionnait pour les quatre lots du contrat litigieux ait, parmi les pièces composant son offre finale, remis les bordereaux des prix unitaires pour chacun de ces lots. Si, en particulier, la société requérante produit dans la présente instance une capture d'écran de la plateforme eguadeloupe mentionnant les diverses pièces qu'elle a produites au stade de la phase de négociations, ces pièces ne se rapportent pas à la phase de remise des offres finales mais à celle des négociations. Dès lors, c'est à bon droit que le SyMEG a écarté l'offre de la société Switch Energie comme irrégulière. Ce moyen doit donc être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2152-2 du même code : "Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles".

10. Il résulte de ces dispositions que si l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l'offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu'elles ne sont pas anormalement basses et que la régularisation n'a pas pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s'agit toutefois que d'une simple faculté qui lui est offerte et non d'une obligation. En l'espèce, à supposer même qu'une invitation à régulariser son offre par l'envoi de bordereaux des prix unitaires dûment complétés et signés n'ait pas eu pour effet d'en modifier les caractéristiques substantielles, le SyMEG pouvait éliminer les offres de cette société pour les quatre lots du contrat sans l'inviter au préalable à la régulariser. Par suite, ce moyen doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société Switch Energie en contestation de validité du contrat doivent être rejetées.

Sur les conclusions en injonction :

12. Les conclusions tendant à l'annulation du contrat litigieux étant rejetées, celles tendant à ce qu'il soit enjoint au SyMEG de lancer une nouvelle procédure de passation du contrat doivent également l'être.

Sur les frais liés au litige :

13. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SyMEG, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

14. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Switch Energie la somme de 1 500 euros à verser au SyMEG sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Switch Energie est rejetée.

Article 2 : La société Switch Energie versera au SyMEG la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Switch Energie, au syndicat mixte d'électricité de la Guadeloupe, à la société Energie Caraïbes Consulting, à la société Artelia, à la société Bet-E-Unimon, à la société Safège-Suez Consulting et au groupement SARL Arfi-LTC SAS-Gamma Ingénierie.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Guiserix, président,

- M. Antoine Lubrani, conseiller,

- Mme Hélène Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

La rapporteure,

Signé

H. BENTOLILALe président,

Signé

O. GUISERIX

La greffière,

Signé

A. CETOL

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

L'adjointe de la greffière en chef,

Signé

A. Cétol

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