TA La Réunion, 21/02/2023, n°2000379
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 mai 2020 et 31 octobre 2022, la SAS Razel-Bec Réunion, représentée par Me Omarjee, avocat, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'avis des sommes à payer établi le 24 février 2020 par la commune de Saint-Louis pour avoir paiement de la somme de 593 313,87 euros et de la décharger en conséquence de l'obligation de payer cette somme ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Saint Louis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est dépourvue de toute signature ;
- la commune ne pouvait procéder au recouvrement de la créance sans avoir au préalable arrêté le décompte de liquidation du marché dans les conditions prévues à l'article 47 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux.
Par des mémoires en défense enregistrés les 23 septembre 2020 et 29 novembre 2022, la commune de Saint Louis, représentée par Me Moglia, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Razel-Bec Réunion la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 30 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 15 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Banvillet, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Baizet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Garnier représentant la commune de Saint-Louis,
- la société Razel-Bec Réunion n'étant ni présente ni représentée.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Saint-Louis a, par acte d'engagement du 8 février 2018, confié à la société A3TN, le marché de réalisation des travaux d'aménagement des voies et réseaux divers de la rue du Dr B et de voies annexes situées au lieudit "Le Ouaki" pour un montant de 2 699 000 euros hors taxes. Par courrier du 11 octobre 2019, le maire de la commune de Saint-Louis a prononcé la résiliation pour motif d'intérêt général de ce marché puis, par courrier du 28 octobre suivant, convoqué le représentant de la société A3TN aux opérations de réception contradictoire des travaux réalisés, lesquelles se sont tenues le 4 novembre suivant. Par un avis des sommes à payer émis le 24 février 2020, la commune de Saint-Louis a entendu avoir paiement de la somme de 593 313,87 euros correspondant au montant des travaux qu'elle estimait avoir indûment payé à la société A3TN. Par la présente requête, la société A3TN, devenue Razel-Bec Réunion, demande au tribunal l'annulation de cet avis des sommes à payer et à être déchargée de l'obligation de la payer la somme correspondante.
2. Si les parties à un marché public de travaux peuvent convenir que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution de ce marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine leurs droits et obligations définitifs, elles n'y sont pas tenues. Ainsi, les parties à un marché de travaux peuvent déroger à la règle selon laquelle seul le solde débiteur dégagé du décompte définitif permet de liquider la créance et d'en exiger le paiement par l'entreprise.
3. En l'espèce, il ne résulte pas des stipulations du cahier des clauses administratives particulières du marché et n'est pas davantage soutenu que les parties auraient entendu déroger au principe contractuel selon lequel seul le solde du décompte détermine l'ensemble de leurs droits et obligations. En outre, si la commune de Saint-Louis établit avoir engagé, postérieurement à la résiliation du marché, les opérations prévues à l'article 47.1 du cahier des clauses administratives générales, il est en revanche constant qu'elle n'a pas arrêté le décompte de liquidation du marché qui, selon l'article 47.2 de ce même cahier, tient lieu de décompte général. Dans ces conditions, la société Razel-Bec Réunion est fondée à soutenir que la créance litigieuse n'était pas certaine et exigible à la date à laquelle l'avis des sommes à payer litigieux a été émis en l'absence de décompte général lui ayant été préalablement notifié. Par suite, la commune de Saint-Louis ne pouvait légalement obtenir le remboursement de travaux indûment payés par l'émission du titre exécutoire attaqué.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que l'avis des sommes à payer du 24 février 2020 doit être annulé et que la société Razel-Bec Réunion, en l'absence de démonstration que des travaux lui auraient été indûment payés par le maître d'ouvrage, doit être déchargée de l'obligation de payer la somme de 593 313,87 euros.
Sur les frais du litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Razel-Bec Réunion, qui n'est pas la partie perdante, le versement à la commune de Saint-Louis d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la commune de Saint-Louis une somme de 1 500 euros que la société Razel-Bec Réunion demande sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : L'avis des sommes à payer du 24 février 2020 est annulé et la société Razel-Bec Réunion est déchargée de l'obligation de payer la somme de 593 313,87 euros.
Article 2 : La commune de Saint-Louis versera à la société Razel-Bec Réunion une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Razel-Bec Réunion et à la commune de Saint-Louis.
Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Khater, présidente,
M. Biget, premier conseiller,
M. Banvillet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe du tribunal le 21 février 2023.
Le rapporteur,
M. ALa présidente,
A. KHATER
La greffière,
J. BELENFANT
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
jb