TA Melun, 28/08/2023, n°2205388
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mai 2022 et 24 février 2023, la SAS ALM, représentée par Me Le Roy, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner le département de Seine-et-Marne à lui régler une provision de 69 733, 47 euros ;
2°) de mettre à la charge du département de Seine-et-Marne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et aux entiers dépens.
La société soutient qu'elle est fondée à se prévaloir du caractère définitif du projet de décompte final notifié à la société OBM.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre 2022 et 24 mars 2023, le département de Seine-et-Marne, représenté par le cabinet Goutal, Alibert et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société ALM une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département de Seine-et-Marne soutient que la requête de la société ALM est irrecevable dès lors que la société n'a pas respecté le mécanisme imposé par l'article R. 2193-11 du code de la commande publique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Gracia, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de Seine-et-Marne a attribué le 8 août 2018 le marché public global de performance pour la conception, la construction et l'exploitation et la maintenance d'un nouveau collège dans la commune de Villeparisis, à un groupement conjoint d'entreprises, dont la société OBM Construction est mandataire solidaire. Ledit groupement a sous-traité une partie des travaux de gros œuvre à la société ALM. Par acte du 20 décembre 2019, le département de Seine-et-Marne a accepté la société ALM en qualité de sous-traitant du titulaire de ce marché et a agréé ses conditions de paiement. Le 13 octobre 2021, la société ALM soutient avoir adressé sa demande de paiement direct à la société OBM, entrepreneur principal, en application de
l'article R. 2193-11 du code de la commande publique, en déposant son projet de décompte définitif sur la plateforme " Chorus ". La société OBM n'a fait aucune observation à la suite de ce dépôt. Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 13 janvier 2022, la société ALM a adressé au département de Seine-et-Marne une demande en paiement direct de son décompte que le département de Seine-et-Marne a rejeté par lettre en date du 26 janvier 2022. Par la présente requête, la société ALM demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le département de Seine-et-Marne à lui verser la somme de 69 733, 47 euros au titre de son décompte.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
Sur les conclusions tendant au versement d'une provision :
3. Aux termes de l'article L. 2193-11 du code de la commande publique : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. Toute renonciation au paiement direct est réputée non écrite ". Aux termes de l'article R. 2193-11 du code de la commande publique : " Le sous-traitant admis au paiement direct adresse sa demande de paiement au titulaire du marché, par tout moyen permettant d'en assurer la réception et d'en déterminer la date, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. ". Aux termes de l'article R. 2193-12 du même code : " Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date de réception ou du récépissé mentionnés à l'article R. 2193-11 pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, à l'acheteur. ". Aux termes de l'article R. 2193-13 du même code : " Passé le délai mentionné à l'article R. 2193 12, le titulaire du marché est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. ". Aux termes de l'article R. 2193-14 du même code : " Lorsque le sous-traitant a obtenu la preuve ou le récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande de paiement dans les conditions fixées à l'article R. 2193-11 ou qu'il dispose de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé par le titulaire, le sous-traitant adresse sa demande de paiement à l'acheteur accompagnée de cette preuve, du récépissé ou de l'avis postal. L'acheteur adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, dont le contenu est d'ailleurs rappelé dans l'acte de sous-traitance du 20 décembre 2019, que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s'il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l'issue de cette procédure, le maître d'ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s'il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement.
5. Si la société ALM se prévaut du dépôt de son décompte général définitif sur la plateforme " Chorus " à destination de la société OBM, entrepreneur principal et titulaire du marché, elle ne justifie pas de la date de réception de ce décompte par ce dernier et, par suite, qu'il ait donné son accord, même implicite, sur sa demande de paiement direct. Au demeurant, à supposer que la société OBM puisse être regardée comme ayant admis implicitement la demande de paiement direct de son sous-traitant, il ne ressort pas de l'instruction que la mise en demeure de procéder au paiement direct adressée le 13 janvier 2022 par la société sous-traitante ALM à l'acheteur comportait la preuve de la réception de la demande de paiement par le titulaire, contrairement aux dispositions de l'article R. 2193-14 du code de la commande publique citées au point 3.
6. Dans ces conditions, le département de Seine-et-Marne était fondé à ne pas avoir donné suite à la demande de paiement direct qui lui a été adressée. Il s'en suit que la créance dont se prévaut la société ALM ne peut être regardée comme non sérieusement contestable. Par suite ses conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit mis à la charge du département de Seine-et-Marne une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société ALM une quelconque somme à ce même titre au bénéfice du département de Seine-et-Marne.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société ALM est rejetée.
Article 2 : La demande département de Seine-et-Marne, tendant à ce qu'il soit mis à la charge de la société AM une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ALM et au département de Seine-et-Marne.
Fait à Melun, le 28 août 2023.
Le juge des référés,
J-Ch. Gracia
La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.