TA Montpellier, 03/11/2022, n°2026307

Vu la procédure suivante :

Par ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, transmis au tribunal administratif de Montpellier la requête présentée par la Banque Courtois.

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 8 décembre 2020 et le 31 août 2021, la Banque Courtois, représentée par la SCP Lussan, demande au tribunal :

1°) de condamner l'office public de l'habitat Toulouse Métropole Habitat à lui verser une somme de 21 687,64 euros, assortie des intérêts légaux de retard à compter de la première mise en demeure effectuée le 26 novembre 2012, ceux-ci devant être capitalisés en application de l'article L. 1343-2 du code civil ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse Métropole Habitat une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande n'est pas prescrite eu égard aux dernières dates de mise en demeure de payer ;

- la créance dont elle réclame le paiement lui est due en application des dispositions des articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier ;

- le fait qu'elle ait notifié une main levée de cette créance par courrier du 28 février 2011 est sans influence sur les obligations de Toulouse Métropole Habitat étant donné le fax et le courrier qu'elle a ensuite envoyés sur l'exigibilité de la créance ;

- aucune faute exonératoire ne peut lui être reprochée alors qu'il ne lui revenait pas d'exiger le paiement de la somme à la société qui lui avait cédé sa créance et auprès de laquelle Toulouse Métropole Habitat a effectué le versement en litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2021, l'office public de l'habitat Toulouse Métropole Habitat, représentée par la SCP Salesse et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Banque Courtois une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la Banque Courtois lui a notifié une levée de cession de créance et elle n'a pas accusé réception du fax annulant cette mainlevée ;

- le formalisme du fax ayant pour objet d'annuler la mainlevée est insuffisant pour justifier une reprise des versements auprès de la Banque Courtois ;

- sa créance est exonérée par la faute de la Banque Courtois qui n'a pas sollicité le versement par la société Les Travaux Régionaux (LTR) de la somme qu'elle estime lui être due.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- et les observations de Me Waller, représentant Toulouse Métropole Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Les Travaux Régionaux (LTR) a cédé, le 6 décembre 2010, à l'établissement bancaire la Banque Courtois une créance détenue sur Habitat Toulouse, office public de l'habitat, au titre de l'attribution du lot n° 2 du marché signé le 1er août 2010 ayant pour objet la réalisation de la résidence Castille de 23 logements collectifs. Par courrier du 13 janvier 2011, Habitat Toulouse a validé la cession de créance pour un montant de 765 997,39 euros. Alors que cinq actes de cession, qui ont été notifiés à Habitat Toulouse entre le 6 décembre 2010 et le 7 avril 2011, ont donné lieu à des versements auprès de la Banque Courtois, un sixième acte de cession, en date du 6 septembre 2011, d'un montant de 21 687,64 euros n'a pas été versé à la Banque Courtois.

2. Par courrier du 19 décembre 2012, Habitat Toulouse informait l'établissement bancaire que le paiement avait été directement effectué auprès de la société LTR. Répondant à une nouvelle demande de paiement de la somme exigée par l'établissement la Banque Courtois, Habitat Toulouse opposait un refus par courrier du 21 avril 2016. Par la présente requête, la Banque Courtois demande la condamnation de Toulouse Métropole Habitat, venant aux droits d' Habitat Toulouse à lui verser la somme de 21 687,64 euros en application de la cession de créance dont elle est titulaire.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Aux termes de l'article L. 313-18 du code monétaire et financier alors en vigueur : "L'établissement de crédit ou la société de financement ou le FIA mentionné à l'article L. 313-23 peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ou de la société de financement ou du FIA mentionné à l'article L. 313-23". L'article R. 313-17 de ce même code prévoit : "Lorsque la créance est cédée ou nantie au titre d'un marché public, la notification doit être faite entre les mains du comptable assignataire désigné dans les documents contractuels. Elle doit comporter les mentions obligatoires suivantes, conformément aux articles L. 313-23 à L. 313-35 : 1° Dans les conditions prévues par les articles L. 313-23 à L. 313-35 du code monétaire et financier, le titulaire du marché/ le sous-traitant/ le bénéficiaire de la facture ci-dessous désigné comme suit (raison sociale et adresse de l'entreprise cédante) : "Nous a cédé/ nanti en totalité/ en partie par bordereau en date du la (les) créance (s) suivante (s) : Marché n°" ; 2° L'indication de la commande, comme suit : " Bon de commande n° " Ordre de service n° (préciser en cas de marché à commandes ou marchés de clientèle). " Acompte ou facture " Sous-traité n° (1) " Lieu d'exécution " Administration contractante " ; 3° Le montant ou l'évaluation de la créance cédée ou nantie, comme suit : " En cas de cession ou de nantissement total : montant ou évaluation : " En cas de cession ou de nantissement partiel, désignation de la part du marché ou du sous-traité : montant ou évaluation : " Conformément aux dispositions de l'article L. 313-28, nous vous demandons de cesser, à compter de la réception de la présente notification, tout paiement au titre de cette (ces) créance (s) à (raison sociale et adresse de l'entreprise cédante). " ; 4° Le mode de règlement, comme suit : " En conséquence, le règlement des sommes revenant à l'entreprise ci-dessus devra être effectué à (indication de la personne à l'ordre de laquelle il doit être effectué et du mode de règlement). " ".

4. Habitat Toulouse a régulièrement eu notification, par courrier du 6 décembre 2010, de la cession de créance qu'elle a validée par courrier du 13 janvier 2011. Par courrier du 28 février 2011, notifié le 7 mars 2011, la Banque Courtois a donné mainlevée pour l'ensemble du marché ayant généré ladite créance. Toutefois, la Banque Courtois a, dès le 8 mars 2011, adressé un fax aux services d'Habitat Toulouse demandant à ce qu'il ne soit pas tenu compte de ce courrier car la mainlevée avait vocation à s'appliquer à la seule partie réservée aux sous-traitants du marché.

5. Contrairement à ce qui est allégué en défense, il résulte de l'instruction que ce fax a été régulièrement envoyé aux services d'Habitat Toulouse qui ne fournit aucune justification au soutien de son allégation selon laquelle l'information ainsi donnée n'aurait pas été réceptionnée par les services compétents, alors même qu'il ne conteste pas la réception d'un courrier en date du 8 mars 2011 confirmant le caractère partiel de la mainlevée. En outre, les services d'Habitat Toulouse ont effectué le versement de l'acte de cession du 7 avril 2011 directement auprès de la Banque Courtois. Dans ces conditions, la Banque Courtois établit avoir informé Toulouse Métropole Habitat de l'annulation de la mainlevée totale, notifiée par erreur.

6. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la cession de créance a été initialement communiquée à Habitat Toulouse conformément aux dispositions précitées de l'article R. 313-17 du code monétaire et financier. Si le fax et la lettre du 8 mars 2011 ne revêtaient pas un formalisme similaire, cela ne faisait pas obstacle, dans les circonstances particulières de l'espèce, à ce que l'Office public puisse écarter l'information ainsi donnée eu égard au bref délai séparant ces courriers de la notification de la mainlevée et à l'absence de tout désaccord exprimé par Habitat Toulouse consécutivement à la réception de ces documents. Dans ces conditions, Habitat Toulouse a commis une faute en s'acquittant du dernier versement exigé directement auprès de la société LTR titulaire du marché.

7. Enfin, il résulte des dispositions citées au point 3 de la présente décision que l'office public de l'habitat ne pouvait se libérer valablement de sa dette, à compter de la date de la notification régulière de la cession de créance, qu'auprès de la Banque Courtois. A supposer même que la Banque Courtois ait eu la possibilité de réclamer la somme qui lui était due auprès de la société LTR dans la mesure où elle a été informée dès le 11 octobre 2011 du versement effectué par l'office public de l'habitat auprès de LTR, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer Toulouse Métropole Habitat de la dette dont elle est redevable auprès de la Banque Courtois.

8. Dès lors, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner Toulouse Métropole Habitat à verser à la Banque Courtois une somme de 21 687,64 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. La Banque Courtois a droit aux intérêts au taux légal correspondant à la somme de 21 687,64 euros à compter du 26 novembre 2012, ainsi qu'elle le demande, dans la mesure où à cette date l'office public de l'habitat avait reçu sa réclamation indemnitaire.

10. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Ainsi, et en l'espèce, la Banque Courtois est en droit de prétendre à la capitalisation des intérêts sur les sommes en cause à compter du 8 décembre 2020, date à laquelle elle a été demandée, puis à chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.

Sur les frais liés du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par Toulouse Métropole Habitat au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la Banque Courtois qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Toulouse Métropole Habitat la somme demandée par la Banque Courtois au titre des frais exposés par elle en défense, sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Toulouse Métropole Habitat est condamnée à verser à la Banque Courtois une somme de 21 687,64 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2012. Les intérêts échus à la date du 8 décembre 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par Toulouse Métropole Habitat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la Banque Courtois et à Toulouse Métropole Habitat.

Délibéré après l'audience du 13 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

M. Nicolas Huchot, premier conseiller,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 novembre 2022.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 3 novembre 2022.

La greffière,

M-A. Barthélémy

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