TA Montpellier, 23/11/2022, n°2205737
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires enregistrées les 3, 8 et 22 novembre 2022, la Selas Charrel et Associés, représentée par Me A, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation du lot n°2 "Commande Publique" de l'accord cadre à bons de commande de prestations de conseils juridiques et de représentation en justice du département des Pyrénées-Orientales ;
2°) d'enjoindre au département s'il souhaite poursuivre la procédure de passation desdits lots, de la reprendre au stade de l'analyse des offres.
Elle soutient que :
- elle a intérêt à agir dès lors qu'elle a présenté une offre sur le lot n°2 qui a été rejetée le 3 novembre 2022 par le département comme irrégulière au motif que les fichiers .PDF de l'offre n'auraient pu être ouvert alors que le profil acheteur AWS aurait confirmé l'absence de problème technique de la plateforme ;
- le rejet de son offre, sur le fondement de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique est irrégulier, dès lors qu'elle démontre avoir accompli les diligences normales de dépôt de ses fichiers sous format "zip", non corrompu avant sa transmission, lequel n'était pas prohibé au règlement de la consultation, de la même façon pour les lots 1 et 3, pour lesquels ses offres n'ont pas été rejetées, et que son équipement informatique n'est pas en cause alors que le département n'établit pas, alors que la charge de la preuve lui incombe, selon la jurisprudence du CE du 21 septembre 2021 RATP n° 449250, l'absence de défaillance de sa plateforme de dématérialisation, de sorte que son offre doit être admise et ce, indépendamment du fait qu'elle n'a pas déposé de copie de sauvegarde ;
- la Selarl D4 ne peut utilement lui opposer une négligence dès lors que le constat d'huissier, produit par le département, établit que celui-ci a pu ouvrir le fichier "zip" intitulé "offre lot 2" et voir ainsi l'intégralité des pièces de l'offre individuellement accompagné d'un sous-dossier "annexes", qu'il n'y a donc aucune problématique qui lui est imputable car il n'y aurait rien de logique à ce que le département puisse ouvrir le fichier "zip" et également une partie de son contenu, mais pas certaines pièces seulement ; c'est pour cette raison que la plateforme a nécessairement subi une défaillance ;
- si la Selarl D4 affirme qu'il est de la responsabilité de la société candidate de s'assurer que tous les documents ont été chargés dans l'espace de dépôt de la plateforme et qu'ils sont tous exploitables, il demeure qu'une fois déposés sur cette plateforme, il n'est, toutefois alors, plus possible pour un candidat d'ouvrir les fichiers pour vérifier s'ils peuvent bien être lus, la seule vérification porte sur la taille du fichier ainsi déposé, laquelle, en l'espèce, ne présente aucune anomalie, comme le constat d'huissier l'en atteste ;
- et, si la société D4 lui oppose sa négligence pour ne pas avoir déposé de copie de sauvegarde, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt "RATP" précité, a affirmé que dans la mesure où la transmission d'une copie de sauvegarde n'est qu'une faculté, il n'y a aucun reproche à faire au candidat de ne pas y avoir procédé ;
- enfin, la circonstance que l'empreinte MD5 permette de dire que le fichier identifié comme "corrompu" est identique à celui déposé par le candidat, ne prouve rien car, d'une part, cette empreinte est effectué sur le fichier "Zip" et non sur chaque fichier individuellement, d'autre part, cette circonstance ne permet pas de garantir que ce ne serait pas précisément au moment du dépôt qu'une défaillance de la plateforme aurait engendré une corruption du fichier, la corruption d'un fichier survenu au moment du dépôt sur la plateforme relève par principe de la plateforme elle-même, dès lors que le candidat prouve que ses propres fichiers ne sont entachés d'aucun problème ;
- en outre, le département, qui conservait la possibilité, de faire régulariser son offre, doit apporter la preuve qu'il n'a procédé à la régularisation d'aucune offre.
Par deux mémoires, enregistrés les 18 et 22 novembre 2022, le département des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le rejet de la candidature de la requérante est régulier au regard des dispositions de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique dès lors qu'elle était incomplète, en effet, l'offre de la Selas Charrel et Associés présente des fichiers .PDF impossibles à ouvrir pour le mémoire technique, le BPU, le DQE et l'acte d'engagement et, après interrogation par le département de l'assistance de la plateforme AWS, qui a vérifié l'empreinte des fichiers transmis et constaté que ces fichiers étaient "en l'état avant transmission" donc déjà corrompus au moment de leur dépôt, a établi que le problème technique générant cette impossibilité d'ouvrir les fichiers n'avait pas pour origine un dysfonctionnement du profil acheteur, ni des postes informatiques du Département ; ces fichiers auraient été "endommagés" au moment du dépôt effectué par le candidat, probablement en lien avec un passage d'un format MAC à PC et, dans l'impossibilité technique d'ouvrir ces pièces de l'offre et donc en l'absence de mémoire technique, BPU, DQE et acte d'engagement, l'offre était incomplète ;
- le rejet de la candidature de la requérante est régulier eu égard aux dispositions de l'article R. 2144-2 du code de la commande publique car le département n'était pas tenu de proposer à la requérante de compléter sa candidature et il n'a d'ailleurs procédé à aucune régularisation des candidatures incomplètes.
Par un mémoire, enregistré le 21 novembre 2021, la Selarl D4 Avocats Associés, représentée par Me Mokhtar, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 414 euros soit mise à la charge de la requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le rejet de la candidature de la requérante est régulier dès lors qu'il n'est pas contesté que celle-ci était incomplète, or l'incomplétude d'un dossier de candidature est un motif de rejet de celui-ci ;
- si la société requérante produit une "attestation" selon laquelle les fichiers transmis sont des sources exploitables, une telle attestation ne permet pas d'établir que les fichiers, tels que chargés sur la plateforme, étaient alors bien exploitables ;
- la société requérante qui, n'a pas utilisé la possibilité, qui lui était offerte au règlement de la consultation, de déposer une copie de sauvegarde, ne s'est pas assurée, avant l'envoi de son offre, que l'ensemble des documents chargés sur la plateforme étaient exploitables ;
- le département ayant prouvé que le fichier corrompu, qui porte l'empreinte MD5 1, laquelle permet de vérifier que le fichier reçu est le même que le fichier envoyé, est identique à celui déposé par la société candidate, lors de la remise de son offre, la plateforme n'est donc pas en cause de la corruption du fichier ;
- et, si un dysfonctionnement de la plateforme avait eu lieu, il aurait nécessairement affecté l'ensemble des fichiers remis simultanément par la société et pas uniquement l'un de ces fichiers, alors que les fichiers .zip remis pour les lots 1 et 3 ont pu être ouverts et exploités sans difficultés ;
- enfin, en déposant un fichier en mode .zip, lequel est en principe proscrit, la société candidate a fait le choix de masquer les documents déposés, ce qui caractérise une nouvelle faute de négligence de sa part ;
- en outre, la possibilité de régulariser les offres irrégulières n'est possible qu'à la condition que cette régularisation ne puisse avoir pour effet de modifier les caractéristiques substantielles de l'offre et une telle vérification ne peut se faire lorsque le candidat n'a pas remis d'offre ou si, comme en l'espèce, l'offre est remise par un candidat mais où tout ou partie des fichiers qui la constituent sont corrompus et inaccessibles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision de la présidente du tribunal désignant Monsieur Eric Souteyrand, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Souteyrand, président-rapporteur,
- les observations de M. A, pour la requérante,
- les observations de Mme B et de Mme C et pour le département des Pyrénées-Orientales ;
- et les observations de Me Bajn pour la Selarl D4.
La clôture de l'instruction a été prononcée à la l'issue de l'audience, il a été toutefois demandé au département des Pyrénées-Orientales de produire un courrier par lequel la plateforme AWS atteste de l'absence de tous dysfonctionnement lors du chargement du fichier des pièces " techniques " concernant le lot n°2 de la Selarl Charrel et Associés.
L'attestation de la plateforme AWS enregistrée le 22 novembre 2022 a été transmise le 23 novembre 2022 aux parties, et la Selas Charrel a produit des observations le même jour.
Considérant ce que suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 2 mai 2022, le département des Pyrénées-Orientales a lancé une procédure pour l'attribution d'un marché public de service de prestations de conseils juridiques et de représentation en justice, sous la forme d'accords-cadres à bons de commande, divisé en six lots, dont le lot n°2 "Commande Publique". Les soumissionnaires devaient remettre leur offre par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 6.1 du règlement de la consultation. Par un courrier du 2 novembre 2022, le Département a informé la Selas Charrel du rejet de son offre et que la Selarl D4 Avocats Associés avait été déclaré attributaire du lot 2. La Selas Charrel et Associés, qui conteste le rejet de son offre au motif qu'elle était incomplète, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du lot n°2 " Commande Publique".
Sur les conclusions au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratif ayant pour l'objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Et aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : "I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat ()".
3. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : "Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale.". Enfin, Aux termes de l'article R. 2152-2 du même code : "Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles".
4. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter l'offre de la Selas Charrel et Associés pour le lot n° 2 "Commande publique", le département des Pyrénées-Orientales a considéré : "que l'offre () présente des fichiers PDF impossibles à ouvrir pour le mémoire technique, le BPU, le DQE et l'acte d'engagement. Après interrogation par le Département de l'assistance du profil acheteur AWS, il a été constaté que le problème technique générant cette impossibilité d'ouvrir les fichiers n'avait pas pour origine un dysfonctionnement du profil acheteur, ni des postes informatiques du Département. D'après l'assistance informatique, ces fichiers auraient été "endommagés" au moment du dépôt effectué par le candidat, probablement en lien avec un passage d'un format MAC à PC. Dans l'impossibilité technique d'ouvrir ces pièces de l'offre et donc en l'absence de mémoire technique, BPU, DQE et acte d'engagement, l'offre est incomplète".
5. En premier lieu, si la société requérante soutient, au vu de l'expertise technique qu'elle a diligentée, que les fichiers transmis en format "ZIP" sont des sources exploitables, elle ne combat pas utilement le constat de l'assistance de la plateforme AWS, qui ayant vérifié l'empreinte MD5 des fichiers transmis non ouvrables, a relevé que ces fichiers étaient " en l'état avant transmission", donc déjà corrompus au moment de leur dépôt, alors qu'il résulte de l'attestation transmise par le département à l'issue de l'audience que le problème technique générant cette impossibilité d'ouvrir les fichiers n'avait pas pour origine un dysfonctionnement du profil acheteur, ni des postes informatiques du Département. Par suite, l'incomplétude de l'offre ne pouvant être regardée comme imputable à un dysfonctionnement de cette plateforme, le moyen tiré de ce que c'est à tort que le département des Pyrénées-Orientales a rejeté l'offre de la Selas Charrel et Associés comme irrégulière doit être écarté.
6. En second lieu, alors qu'il résulte de l'instruction que le département des Pyrénées-Orientales n'a procédé à aucune régularisation des offres du marché, notamment pour le lot n° 2 en litige, qu'il a écarté en tant qu'elles étaient irrégulières, l'impossibilité pour le pouvoir adjudicateur de contrôler les pièces techniques, BPU, DQE et acte d'engagement de l'offre de la Selas Charrel, donc le risque qu'une régularisation en modifie des caractéristiques substantielles, au sens des dispositions précitées de l'article R. 2152-2 du code de la commande publique, faisant, en tout état de cause obstacle à sa régularisation.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la Selas Charrel et Associés doit être rejetée.
Sur les conclusions en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de mettre à la charge de la Selas Charrel et Associés le versement d'une somme à la Selarl D4 Avocats Associés sur le fondement des dispositions précitées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la Selas Charrel et Associés est rejetée.
Article 2 : Les conclusions la Selarl D4 Avocats Associés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Selas Charrel et Associés, au département des Pyrénées-Orientales et à la Selarl D4 Avocats Associés.
Fait à Montpellier, le 23 novembre 2022.
Le juge des référés, La greffière,
E. Souteyrand A. Farell
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne et à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 24 novembre 2022.
La greffière,
A. Farell