TA Versailles, 10/11/2022, n°2007296
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistré le 4 novembre 2020 et le 21 janvier 2022, la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), représentée par Me Roumens, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) au paiement de la somme de 841 727,14 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts, outre l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement conformément à l'article 322 du cahier des charges administratives particulières ;
2°) de mettre à la charge de la caisse nationale militaire de sécurité sociale une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête, présentée par un ministère d'avocat, est recevable puisque le gérant de sa société à responsabilité limitée étant compétent pour agir en justice en son nom ;
- le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable est celui de l'arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014 ;
- elle a transmis trois projets de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre les 28 novembre 2019, 7 août 2020 et 16 septembre 2020, auxquels le maitre d'ouvrage n'a pas répondu dans les délais, de sorte qu'elle peut se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, conformément aux stipulations de l'article 13 du CCAG ;
- la CNMSS est ainsi redevable d'une somme de 841 727,14 euros, le décompte général et définitif liant les parties.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2021, la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Entreprise Construction Bâtiment en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable à défaut pour la requérante de démontrer être habilitée à agir en justice par son organe délibérant ;
- le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable est celui de l'arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version initiale ;
- la requérante ne saurait se prévaloir d'un décompte général et définitif puisque le projet qu'elle a transmis, en plus de ne pas être un original, n'a pas été notifié au représentant du pouvoir adjudicateur mais " au service comptabilité ", inexistant en ces termes dans la structure ; en outre il était incomplet et comportait des inexactitudes, notamment en ce qui concerne les montants dus aux sous-traitant ou les modalités de révision des prix.
Par un mémoire du 14 décembre 2021, la société NUNC architectes, représentée par Me Delair, conclut à sa mise hors de cause, aucune conclusion n'étant dirigée à son encontre.
Par une ordonnance du 3 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2022.
Un mémoire, présenté pour la CNMSS, a été enregistré le 27 septembre 2022 et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Geismar, première conseillère,
- les conclusions de Mme Ozenne, rapporteure publique,
- les observations de Me Roumens, pour la société requérante
- et les observations de Me Balmitgere pour la CNMSS.
Considérant ce qui suit :
1. La caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) a conclu un marché public de travaux afin de restructurer l'établissement d'hébergement pour personnes âgées " La Martinière ", à Saclay. Dans ce cadre, elle a confié le lot n°1 " terrassement, démolition, gros œuvre " à la société Entreprise Construction Bâtiment (ECB), pour un montant de 1.190.990 euros hors taxe. Ce lot a été réceptionné le 19 août 2019 avec réserves. Par la présente requête, la société ECB demande la condamnation de la CNMSS au paiement de la somme de 841 727,14 euros TTC, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation ainsi que de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
2. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (ci-après " CCAG Travaux "), dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 applicable au marché litigieux : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble (). Le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final () ". Selon l'article 13.3.2 : "Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 (). Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus ". L'article 13.3.3 prévoit :
"Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final. ()" . Et selon l'article 13.4.1 : "Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : - le décompte final ; - l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. Le montant du projet de décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation. Le maître d'œuvre transmet le projet de décompte général au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai compatible avec les délais de l'article 13.4.2". L'article 13.4.2 stipule : "Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ()". Aux termes de l'article 13.4.3 : "Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. Ce décompte lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. / En cas de contestation sur le montant des sommes dues, le représentant du pouvoir adjudicateur règle, dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification du décompte général assorti des réserves émises par le titulaire ou de la date de réception des motifs pour lesquels le titulaire refuse de signer, les sommes admises dans le décompte final. Après résolution du désaccord, il procède, le cas échéant, au paiement d'un complément, majoré, s'il y a lieu, des intérêts moratoires, courant à compter de la date de la demande présentée par le titulaire. / Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG. ()". Aux termes de l'article 13.4.5 : "Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur dans le délai de trente jours fixé à l'article 13.4.3, ou encore dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves, en précisant le montant de ses réclamations comme indiqué à l'article 50.1.1, le décompte général notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché".
3. La société ECB soutient que la créance alléguée résulte de l'existence d'un décompte général et définitif intervenu tacitement. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société a adressé, en application des stipulations reproduites ci-dessus, ses projets de décompte final au maître d'œuvre et au "service comptabilité" du maître d'ouvrage, tout comme son projet de décompte général. Or, le cahier des clauses administratives particulières du marché public en cause précise que "la maîtrise d'ouvrage relève de la CNMSS, service infrastructure", et l'acte d'engagement mentionne, en tant que signataire du contrat "M. A B, directeur de la CNMSS". Dès lors, la transmission des projets de décompte au "service comptabilité" du maitre d'ouvrage, entité qui ne figure pas dans les pièces du marché et qui ne correspond au demeurant à aucun service de son organigramme, ne peut valablement être considérée comme une notification au représentant du maître d'ouvrage, et ainsi faire courir le délai de trente jours dont le dépassement est susceptible de donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4. Par suite, la société ECB, qui ne peut se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, n'est pas fondée à soutenir que la somme de 841 727,14 euros toutes taxes comprises doit être mise à la charge de la CNMSS.
4. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la CNMSS.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la CNMSS, qui n'est pas la partie perdante, soit condamnée à verser à la société ECB la somme qu'elle demande à ce titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière la somme que la CNMSS réclame à ce même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société ECB est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse nationale militaire de sécurité sociale sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Entreprise construction bâtiment, à la société NUNC architectes et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Gosselin, président,
Mme Vincent, première conseillère,
Mme Geismar, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.
La rapporteure,
signé
M. Geismar
Le président,
signé
C. Gosselin
La greffière,
signé
S. Burel
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.