TA Nîmes, 21/11/2022, n°2203281

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 octobre et 17 novembre 2022, la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI, représentée par la SAS Yucca société d'Avocats, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'enjoindre à la ville de Nîmes de communiquer toutes les informations sollicitées dans sa demande de communication des motifs détaillés du 21 octobre 2022 :

2°) de suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat ;

3°) d'annuler l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure de passation relative au marché public de prestations intellectuelles d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation d'un marché public global de performance pour l'éclairage public et les installations connexes de signalisation lumineuse de la ville de Nîmes ;

4°) de condamner la ville de Nîmes à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son éviction est irrégulière dès lors qu'elle est dépourvue de précision permettant de comprendre le rejet de son offre ;

- les principes fondamentaux de transparence et d'égalité de traitement des candidats ont été méconnus ;

- les motifs d'appréciation retenus pour dégrader sa notation sur le sous-critère de la pertinence de l'équipe dédiée ont dénaturé son offre ; ce dernier sous-critère a été déterminant dès lors que la société a obtenu le maximum de points sur l'ensemble des autres critères et sous-critères ;

- la méthode de notation employée par l'acheteur, s'agissant d'attribuer une note sous le sous-critère technique " qualité de l'équipe " était irrégulière en ce qu'elle ne permettait pas d'objectiver la notation ; la part de subjectivité qui en résulte donne une marge de manœuvre discrétionnaire à l'acheteur ; le principe d'égalité de traitement des candidats a été méconnu ;

- ces manquements l'ont nécessairement lésée.

Par des mémoires en défense, enregistré les 14 et 17 novembre 2022, la ville de Nîmes, représenté par Me Merland de MB Avocats (A.A.R.P.I.), conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le non-lieu à statuer sera prononcé en ce qui concerne la demande de communication des motifs de rejet de l'offre de la société requérante compte tenu des éléments adressés à la société requérante,

- l'offre de la société attributaire était régulière,

- les critères de sélection ont été définis avec suffisamment de précisions pour permettre aux candidats de comprendre les attentes de la commune,

- l'offre de la société requérante n'a pas été dénaturée,

- la société requérante ne peut remettre en cause l'appréciation portée par la commune sur l'expérience de son équipe ; elle n'a jamais fixé un critère d'expérience minimale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Le président du tribunal a désigné Mme Corneloup, présidente de la 2ème chambre, pour statuer sur les demandes en référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le 15 novembre 2022 à 11 heures, Mme B a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Camière, représentant la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures ;

- et les observations de Me Merland, représentant la commune de Nîmes, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures.

La clôture de l'instruction a été prononcée après l'audience au 17 novembre 2022 à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel à la concurrence en date du 14 juin 2022, la commune de Nîmes a lancé une procédure de passation en vue de la conclusion d'un marché de service portant sur une assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation d'un marché public global de performance pour l'éclairage public et les installations connexes de signalisation lumineuse tricolore. La société EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI, qui a déposé une offre, a été informée, par un courrier du 18 octobre 2022, du rejet de son offre, classée en deuxième position, et de l'attribution de ce contrat à la société ARTELIA SAS. Par la présente requête, la société EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI conteste la régularité de la procédure suivie.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

2. Il résulte de l'instruction que par une lettre du 18 octobre 2022, la commune de Nîmes a informé la société du nom et des caractéristiques de l'offre de la société attributaire et des motifs de rejet de son offre. Un extrait du rapport d'analyse des offres lui a en outre été transmis. Ainsi, la société requérante a obtenu toutes les informations requises. Par suite, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la commune de Nîmes de produire à la société requérante d'autres informations.

Sur les conclusions tendant à la suspension de toute décision se rapportant à la passation du contrat :

3. Aux termes de l'article L. 551-4 du code de justice administrative : "Le contrat ne peut être signé qu'à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle". Il en résulte que les conclusions tendant à la suspension de toute décision se rapportant à la passation du contrat sont dépourvues d'objet.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 du code de justice administrative

4. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : "I - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations".

5. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

6. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

7. En l'espèce, il résulte de l'article 5.5 du règlement de la consultation du marché que les critères retenus pour le jugement des offres sont définis et pondérés de la façon suivante : Valeur technique pondéré à 70% et Prix des prestations pondéré à 30%. Le critère n°1- Valeur technique est décomposé en 4 sous-critères. Le sous-critère n°1 est relatif à la pertinence de la composition de l'équipe spécifiquement dédiée au présent marché et de son organisation pour répondre aux objectifs de la maîtrise d'ouvrage. Ce sous-critère sera apprécié comme suit, sur le base de développements indiqués dans le mémoire technique remis par le candidat : adéquation et qualité des moyens humains affectés à la réalisation des prestations (notée sur 10 points) et cohérence de l'organisation de l'équipe affectée à la réalisation des prestations (organigramme, répartition des tâches, coordination entre les membres de l'équipe) (notée sur 5 points). Il résulte de l'instruction que le différentiel de notation en faveur de la société Artelia SAS procède exclusivement de l'appréciation du sous critère n°1. L'extrait du rapport d'analyse des offres conclut pour l'appréciation de ce sous-critère en ce qui concerne la société EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI pour la qualité de l'équipe que " L'équipe dédiée à la prestation est présentée mais les principales qualifications et expériences pour une ou plusieurs compétences attendues n'apparaissent pas clairement ou plusieurs compétences attendues n'apparaissent pas clairement ou les qualifications et expériences des intervenants n'est pas complètement en adéquation avec les prestations objet du marché ", pour l'organisation de l'équipe que " La répartition des rôles et l'organisation entre les membres de l'équipe dédiée est pertinente ". La société requérante a obtenu la note de 2,66 sur ce sous-critère n°1. L'extrait du rapport d'analyse des offres conclut pour l'appréciation de ce sous-critère en ce qui concerne la société attributaire pour la qualité de l'équipe que "L'équipe dédiée à la prestation est clairement identifiée, les principales qualifications et expériences de tous les intervenants pour les différentes compétences attendues sont en adéquation avec les prestations à réaliser", pour l'organisation de l'équipe que "La répartition des rôles et l'organisation entre les membres de l'équipe dédiée est pertinente". La société attributaire Artelia SAS a obtenu 4 à ce sous critère n°1.

8. Pour justifier de la dénaturation de l'offre dont elle se prévaut, la société requérante fait valoir que la ville de Nîmes n'a pas fait état dans le dossier de consultation d'une quelconque exigence en termes de minimum d'années d'expérience requises pour les membres de l'équipe dédiée. Toutefois, l'offre de la société requérante n'a pas été dégradée du fait de cette insuffisance d'expérience globale de l'équipe mais au motif que "les principales qualifications et expériences pour une ou plusieurs compétences attendues n'apparaissent pas clairement ou plusieurs compétences attendues n'apparaissent pas clairement ou les qualifications et expériences des intervenants n'est pas complètement en adéquation avec les prestations objet du marché". Ce faisant, et alors qu'il n'appartient pas au juge des référés d'apprécier le mérite des offres respectives, la société requérante ne démontre pas que la commune de Nîmes aurait inexactement apprécié l'ancienneté de M. A, chef de projets réseaux. Le moyen tiré de la dénaturation de son offre sera dès lors écarté.

9. Par ailleurs, si la société requérante soutient qu'il est incohérent au regard du contenu des appréciations respectives des offres sur ce point que la société Artelia ait obtenu le même nombre de points que la société requérante alors qu'il résulte des appréciations littérales portées dans le recueil de l'analyse des offres que la société requérante se démarquait nettement de l'attributaire. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la commune de Nîmes a retenu que les deux sociétés avaient présenté toutes les deux une répartition des rôles et une organisation entre les membres de l'équipe dédiée pertinente et que la société Artelia SAS avait obtenu une meilleure note pour la qualité de l'équipe. Il n'y a ainsi pas d'incohérence entre les appréciations littérales et les notes chiffrées attribuées aux candidats.

10. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas de l'instruction et alors qu'il ressort du procès-verbal de l'analyse des offres, que la valeur technique des sociétés a été appréciée, pour chaque sous-critère, en tenant compte de différents éléments faisant chacun l'objet d'un commentaire ainsi que d'une notation correspondante, reportée au tableau de synthèse, que la méthode de notation n'a pas permis de garantir l'objectivité de la notation ni une égalité de traitement entre les candidats et que la ville de Nîmes aurait eu une liberté de choix discrétionnaire. Au surplus, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de contrôler l'appréciation portée par l'acheteur public sur les mérites respectifs des offres.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI n'est pas fondée à contester la régularité de la procédure de passation en litige. Ses conclusions à fins d'annulation de l'ensemble des décisions afférentes à la procédure de passation relative au marché public de prestations intellectuelles d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation d'un marché public global de performance pour l'éclairage public et les installations connexes de signalisation lumineuse de la ville de Nîmes ne peuvent, dès lors, être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Nîmes, qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que demande, à ce titre, la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI, le versement d'une somme de 1 200 euros à la commune de Nîmes au titre des mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI versera à la commune de Nîmes la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE EUROP EXPERT CONSEIL INGENIERIE-EECI, à la commune de Nîmes et à la société Artelia SAS.

Fait à Nîmes, le 21 novembre 2022.

Le juge des référés,

F. B

La République mande et ordonne à la préfète du Gard en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2203281

A lire également