TA Paris, 23/01/2023, n°1922870

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 18 octobre 2019, 4 janvier, 27 janvier 2021 et 13 avril 2021, la société Orpheo Group, représentée par Me Coussy, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures de :

1°) condamner le Centre des monuments nationaux (CMN) à lui verser la somme de 512 000 euros à parfaire, en réparation du préjudice né de la perte de chances d'obtenir le contrat conclu par le CMN avec la société Histovery, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2019 ;

2°) mettre à la charge du centre des monuments nationaux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 du code de justice administrative ;

La société Orpheo Group soutient que :

- la requête est recevable, dès lors qu'elle n'est pas soumise au délai de deux mois ;

- elle a intérêt pour agir ;

- les principes de la commande publique de publicité et de mise en concurrence ont été méconnus par le contrat signé entre le Centre des monuments nationaux et la société Histovery ;

- aucune dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence n'est justifiée, en l'absence d'une solution technique unique et d'un contrat présentant réellement les caractéristiques d'un contrat de coproduction ;

- elle pouvait fournir un service équivalent ;

- en tout état de cause, l'usage d'un contrat de coproduction pour échapper aux règles de mise en concurrence est illégal, alors qu'il s'agit en réalité d'un contrat de concession ou de délégation de service public ;

- elle a perdu une chance sérieuse de remporter le marché ;

- elle a droit à la réparation de l'intégralité du manque à gagner, soit le nombre de visiteurs multiplié par le coût de " l'HistoPad " multiplié par le taux de prise, soit une somme totale de 550 000 euros sur deux ans et demi.

Par des mémoires en défense enregistrés respectivement les 27 novembre 2020,

19 janvier, 2 avril et 30 juillet 2021, le Centre des monuments nationaux (CMN), conclut au rejet de la requête et au versement par la requérante de la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

-la requête est irrecevable, faute d'intérêt à agir pour la requérante ;

-la convention de coproduction est légale ;

-les règles de la commande publique n'ont pas été méconnues, dès lors que la convention de coproduction conclue avec la société Histovery n'est pas un contrat de la commande publique et en particulier pas un contrat de délégation de service public ni un marché public ;

-la requérante n'a pas subi de préjudice, dès lors qu'elle n'avait aucune chance de remporter le contrat et qu'elle n'apporte pas la preuve de la réalité du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par une ordonnance du 27 septembre 2021, la clôture d'instruction, qui avait été fixée par une ordonnance du 14 septembre 2021, au 29 septembre 2021, a été repoussée au

7 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics,

- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B ;

- les conclusions de M. Dubois, rapporteur public ;

- et les observations de Mme A, pour le Centre des monuments nationaux.

Une note en délibéré, produite pour la société Orpheo Group, a été enregistrée au greffe du tribunal le 10 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public administratif du CMN a conclu, le 13 octobre 2015, avec la société Histovery, un "contrat de co-production et d'exploitation de l'HistoPad Conciergerie ", portant sur la location au public d'une tablette digitale, permettant une visite en réalité augmentée de la Conciergerie à Paris. Estimant que ce contrat aurait dû faire, de la part de l'établissement public, l'objet d'une publicité et d'une mise en concurrence, la société Orpheo Group, qui n'a pas pu se porter candidate, demande au tribunal de condamner le CMN à lui verser la somme totale de 512 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la perte de chance sérieuse de remporter ce marché, correspondant au bénéfice qu'elle aurait pu réaliser sur une période de deux ans et demi si elle avait conclu le contrat.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le CMN :

2. Le CMN oppose à la société Orpheo Group une fin de non-recevoir tirée de ce que la société n'aurait pas qualité pour agir. Tout requérant, qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu'il n'aurait pas présenté sa candidature, est reconnu comme ayant la qualité de concurrent évincé. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de son extrait Kbis et des documents issus d'Infogreffe que la société Orpheo Group poursuit comme objet social la gestion de portefeuilles de valeurs mobilières, holding, prestations de services nécessitées par la gestion des sociétés dans lesquelles elle détient une participation et que son effectif comprenait un faible nombre de personnes. Or, une société ne justifie d'une qualité lui conférant un intérêt pour agir que si elle invoque un préjudice personnel. La société Orpheo Group, qui ne conteste ni son objet, ni les renseignements tirés d'Infogreffe, n'apporte, en réponse, aucun élément de nature à établir qu'elle aurait personnellement pu se porter candidate si une mise en concurrence, respectant les règles de la commande publique, avait été initiée par le CMN. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le CMN doit être accueillie et la requête ne peut qu'être rejetée comme irrecevable.

Sur les frais liés au litige :

3. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orpheo Group la somme demandée par le CMN sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : : La requête de la société Orpheo Group est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentée par le CMN sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Orpheo Group, au Centre des monuments nationaux et à la société Histovery.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Hermann Jager, présidente ;

- Mme Beugelmans-Lagane, première conseillère ;

- et Mme Renvoise, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2023.

La rapporteure,

N. B

La présidente,

V. HERMANN-JAGER

La greffière,

C. YAHIAOUI

La République mande et ordonne la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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