TA Polynésie f, 21/12/2022, n°2201001

TA Polynésie, 21/12/2022, n°2201001

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 et 17 décembre 2022, la société JL Polynésie, représentée par Me de Gérando, demande au juge des référés :

1) d'enjoindre à la Polynésie française, à titre conservatoire, dès la réception de la présente requête, de différer la signature du lot n° 2 du marché public de travaux pour l'aménagement des infrastructures maritimes, terrestres et VRD du site de la

pointe de Riri sur la commune de Taiarapu ;

2) d'enjoindre à la Polynésie française de communiquer toutes les informations sollicitées dans ses demandes de communication des motifs détaillés et aux

termes de la présente requête ;

3) d'annuler la décision de rejet de son offre et celle d'attribution du marché ;

4) d'enjoindre à la Polynésie française, si elle entend poursuivre cette opération, de reprendre la procédure au stade de l'élaboration des documents de la consultation et ce, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et à ce que soit suspendue l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat ;

5) à défaut, enjoindre à la Polynésie française, si elle entend poursuivre cette opération, de reprendre la procédure d'attribution du marché en litige au stade de l'analyse des offres initiales en régularisant l'ensemble des manquements et ce, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et à ce que soit suspendue l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat ;

6) de condamner la Polynésie française à lui payer la somme de 500 000 FCFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'obligation d'information des candidats évincés, qui vise à assurer le respect des principes de la commande publique est prévue par l'article LP. 332-1 du code polynésien des marchés publics ; le contenu de l'information délivrée porte sur les notes et les éléments d'appréciation et concerne non seulement l'offre du candidat évincé mais porte également sur celle de l'attributaire

- les motifs sommaires du rejet de sa candidature, notamment au titre du critère de la valeur technique de l'offre, révèlent la violation des règles de publicité, de transparence et de mise en concurrence du droit de la commande publique et notamment l'article LP. 111-1 du code polynésien des marchés publics ; l'acheteur doit dès l'engagement de la procédure, dans l'avis de marché ou dans les documents de consultation, donner aux candidats une information appropriée sur les critères d'attribution du marché ainsi que sur les conditions de leur mise en œuvre ; en l'espèce plusieurs sous-critères d'attribution n'étaient pas définis ou trop largement définis et ne permettaient pas aux candidats normalement diligents de les interpréter de la même manière ; la liberté d'appréciation qui en résulte pour l'acheteur public constitue une défaut d'information des sous-critères d'attribution du marché ainsi que des conditions de mise en œuvre ; ce défaut n'a pas permis aux candidats d'interpréter les sous-critères de la même manière et à l'acheteur de comparer régulièrement les offres ;

- les motifs qui lui ont été communiqués ne lui permettent pas de faire valoir ses droits ; elle relève que dans l'instance n° 1900069, la Polynésie française avait fait droit à la demande de la société Boyer et lui avait communiqué les motifs détaillés de rejet de son offre ; dans l'instance n° 2200384, la société Boyer a pu disposer du rapport d'analyse des offres ; il est ainsi établi que la société Boyer obtient plus facilement que d'autres candidats les informations qu'elle demande : le tribunal jugera que la société JL Polynésie n'a pas obtenu les informations qu'elle demande au titre des motifs détaillés du rejet de son offre ;

- une note de 3/15 lui a été attribuée au titre du sous-critère " planning d'exécution " alors que la société Boyer a obtenu la note maximale ; la requérante ne peut expliquer une telle différence alors que le cadre de la réponse n'impliquait pas autre chose que le seul respect d'un certain nombre de tâches principales ; compte tenu de la différence de notation, la requérante émet un doute sur les sous-critères d'attribution du marché et sur les conditions de leur mise en œuvre ; l'information délivrée ne lui permet pas de lever ce doute ; si elle avait obtenu la même note que celle attribuée à la société Boyer, le marché lui aurait été attribué ; il en va de même pour le sous-critère " préparation et études d'exécution " où elle a perdu 4 points alors que le cadre de réponse n'impliquait qu'une description des documents d'exécution à établir ;

- il n'y a aucune raison qu'une note comportant une décimale lui ait été attribuée au titre du sous-critère " méthodes d'exécution ", le règlement de consultation excluait une telle notation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 et 19 décembre 2022, la société Boyer, représentée la Selarl Centaure Avocats conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société JL Polynésie une somme de 800 000 FCFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la société JL Polynésie est irrecevable dès lors que l'identité du représentant de la société n'est pas suffisamment précisée ;

- le moyen tiré du défaut de l'obligation d'information manque en fait ; la société requérante a été destinataire de l'information requise ; la circonstance que dans d'autres affaires la Polynésie française soit allée au-delà de son obligation légale est inopérante ;

- le moyen tiré de ce que plusieurs sous-critères d'attribution n'étaient pas définis ou trop largement définis et ne permettaient pas aux candidats normalement diligents de les interpréter de la même manière n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au juge des référés d'en apprécier le bien-fondé ; les seuls éléments avancés procèdent de l'appréciation du mérite comparé des offres, laquelle ne relève pas de l'office du juge des référés ;

- l'attribution d'une note comprenant une décimale ne constitue pas une irrégularité ; en tout état de cause même avec la note maximale sur le sous-critère relatif à l'exécution la société requérante n'aurait pas été classée première : la lésion éventuelle n'est donc pas démontrée.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2022, la Polynésie française conclut au rejet de la requête

Elle fait valoir :

- qu'elle a satisfait à son obligation d'information en communiquant à la société JL Polynésie le classement de son offre et ses notes ainsi que le nom de l'attributaire et les notes qui lui ont été attribuées ;

- la société requérante pouvait tout à fait si elle estimait que les documents de la consultation n'étaient pas suffisamment précis demander des éclaircissements en application du point XVII du règlement de consultation.

Le président du tribunal a désigné M. Boumendjel, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Par ordonnance n° 2201001 du 2 décembre 2022, le juge des référés a suspendu l'exécution du contrat jusqu'au 23 décembre 2022 et a statué sur les conclusions de la société JL Polynésie tendant à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de communiquer toutes les informations sollicitées dans sa demande du 22 novembre 2022.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 décembre 2022 à 10H00, à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées :

- M. Boumendjel, premier conseiller, en son rapport ;

- Me Mestre, pour la société JL Polynésie, M. A, pour la Polynésie française et Me Ferré pour la société Boyer.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2022, a été présentée par la société JL Polynésie.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au journal officiel de la Polynésie française du 31 mai 2022, la Polynésie française a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert, en application des articles LP 322-1 et suivants du code polynésien des marchés publics en vue de l'attribution d'un marché public à tranches relatif à des travaux d'"aménagement des infrastructures maritimes, terrestres et VRD sur le site de la pointe de Riri de la commune de Taiarapu-Ouest ". Le marché a été divisé en deux lots, le lot 1 porte sur les ouvrages maritimes et le lot 2, qui comprend une tranche ferme et une tranche conditionnelle, porte sur la voierie et les réseau divers. La date limite de remise des candidatures ou des offres a été fixée au 4 juillet 2022 à 11h00. Trois soumissionnaires ont présenté une offre pour le lot n° 2 : la société requérante, qui s'est présentée en tant que mandataire d'un groupement momentané d'entreprises constitué avec la société Engie Services Polynésie (ESP), un second groupement constitué des sociétés BTP et ECI SAS et la société Boyer. Par décision du 8 novembre 2022, transmise par courriel du courriel du 22 novembre 2022, la société JL Polynésie a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Boyer. La société JL Polynésie demande au juge des référés, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution du marché et la décision de rejet de son offre et d'enjoindre à la Polynésie française si elle entend poursuivre cette opération, de reprendre la procédure au stade de l'élaboration des documents de la consultation et ce, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et à ce que soit suspendue l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.551-24 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-24 du code de justice administrative : "() en Polynésie française (), le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés et contrats publics en vertu de dispositions applicables localement. / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le haut-commissaire de la République dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. / Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés".

3. En premier lieu, aux termes de l'article LP. 332-1 du code des marchés publics de Polynésie française : "

I - Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, l'autorité compétente, dès qu'elle a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet. Pour les candidats ayant soumis une offre, qui n'a pas été déclarée inappropriée, irrégulière, inacceptable ou anormalement basse, la notification des motifs de ce rejet comporte au moins la communication du classement de leur offre, les notes qui leur ont été allouées, le nom de l'attributaire ainsi que les notes qui lui ont été allouées ()".

4. la société JL Polynésie soutient que la Polynésie française fait une application moins rigoureuse à la société Boyer des dispositions citées au point précédent. Elle fait ainsi valoir que dans l'instance n° 1900069, la Polynésie française a fait droit à la demande de la société Boyer et lui a communiqué les motifs détaillés de rejet de son offre et qu'à l'occasion de l'instance n° 2200384, la société Boyer a pu disposer du rapport d'analyse des offres. Toutefois, une telle circonstance, à supposer même qu'elle soit avérée, ne saurait caractériser un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence au sens et pour l'application de l'article L. 551-24 du code de justice administrative. Par suite, le moyen ainsi soulevé, qui ne relève pas de l'office du juge du référé précontractuel, ne peut qu'être écarté comme inopérant.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du point XV du règlement de la consultation, relatif aux conditions de sélection des candidatures et des critères d'attribution, que le pouvoir adjudicateur avait retenu comme critères d'attribution du lot 2 en litige le prix des prestations et la valeur technique, en leur attribuant une pondération respective de 60 et 40%. La valeur technique se déclinait quant à elle en neuf sous-critères : " a) Installations de chantier, b) Organigramme permettant de visualiser les expertises mobilisées, c) Matériels utilisés, d) Préparation et étude d'exécution, e) Phasage des travaux, f) Méthodes d'exécution, g) Planning d'exécution, h) Mesures relatives à la propreté du site et à l'environnement et i) Plan particulier de sécurité et de protection de la santé ". En outre, le règlement précisait que l'appréciation portée pour chaque sous-critère pouvait varier de 0 à 5 points en fonction d'un barème qui était précisé. Les sous-critères a), b) et i) était pondérés à un, les sous-critères c), d), e) et h) à deux et les sous-critères f) et g) à trois. L'ensemble était noté sur 85 avant d'être ramené sur 40 points après application d'une formule de calcul également précisée.

6. Si la société requérante soutient que plusieurs sous-critères d'attribution n'étaient pas définis ou trop largement définis et que cette imprécision ne permettait pas aux candidats normalement diligents de les interpréter de la même manière, elle ne soutient ni même n'allègue avoir sollicité, sur le fondement du point XVII du règlement de consultation, du pouvoir adjudicateur des précisions avant la remise de son offre. Par suite, la société JL Polynésie n'est pas fondée à soutenir que l'information délivrée était insuffisante ou imprécise.

7. En troisième lieu, la société requérante soutient que les indications du règlement de consultation en matière de notation des sous-critères, n'étaient pas suffisamment précises et qu'elle a ainsi légitimement pu croire, s'agissant de la notation de la valeur technique des offres, que celle-ci excluait le recours à une note affectée de décimales. Elle relève qu'au titre du sous-critère f) Méthodes d'exécution une note de 12,6 lui a été attribuée tandis que la société concurrente a été notée 14,4. Toutefois, le cadre du mémoire technique du lot n°2 listait, s'agissant du point f), cinq points d'appréciation et précisait que chacun de ces points serait noté sur cinq et que le total serait ramené sur cinq. Aussi compte tenu du mode de calcul retenu, dont les soumissionnaires étaient informés, l'attribution d'une notation affectée de décimales était inévitable dès lors que la note globale n'était pas un multiple de cinq. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'information des candidats sur la notation était insuffisante.

8. En quatrième lieu, la société requérante conteste les notes qui lui ont été attribuées aux titres des sous-critères " g) Planning d'exécution " et " d) Préparation et études d'exécution ". Toutefois les éléments ainsi avancés procèdent de l'appréciation du mérite comparé des offres, laquelle ne relève pas de l'office du juge des référés.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité, que la requête de la société JL Polynésie doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société JL Polynésie une somme de 150 000 FCFP à verser à la société Boyer.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société JL Polynésie est rejetée.

Article 2 : La société JL Polynésie versera à la société Boyer une somme de 150 000 F CFP à la société Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société JL Polynésie, à la société Boyer et à la Polynésie française.

Fait à Papeete, le 21 décembre 2022.

Le juge des référés Le greffier,

M. C M. B

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Un greffier,

N°2201001

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