TA Rennes, 09/01/2023, n°2206398

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 décembre 2022 et 5 janvier 2023, la société WeArePublic doit être regardée comme demandant au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision du maire de la commune de Baden du 15 décembre 2022 portant rejet de son offre pour l'attribution du marché de prestations intellectuelles pour la conception graphique et structurelle et la mise en œuvre d'un site internet, ensemble la procédure de passation de ce marché.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté les règles qu'elle avait fixées dans le règlement de consultation ; elle a obtenu une note très élevée sur le critère technique et la note de zéro sur le critère "qualités esthétiques, capacités créatives et webdesign" ; le pouvoir adjudicateur lui a demandé, en cours de négociation, de transmettre un travail graphique qui n'était pas requis ni mentionné dans le règlement de consultation ; il lui a ensuite été confirmé, par courriel, que cette transmission n'était pas nécessaire et qu'elle ne serait pas pénalisée dans le cadre de la notation de son offre ; elle n'a pour autant pas été notée sur le critère "qualités esthétiques, capacités créatives et webdesign", ce qui explique la note de zéro sur ce critère, d'autant plus incompréhensible et inexplicable qu'elle a été sollicitée par la commune de Baden pour candidater à l'attribution de ce marché, et que cette sollicitation résulte a priori du seul fait que la commune a pu être séduite par la valeur esthétique de ses précédentes réalisations ; les mentions du règlement de consultation étaient erronées, résultant d'un mauvais copier-coller d'un précédent règlement de consultation, relatif au marché "charte graphique" ; elle a été sanctionnée pour la non-transmission à l'appui de son offre d'un document que le règlement de la consultation n'exigeait pas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2023, la commune de Baden, représentée par la Selarl Lexcap, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société WeArePublic de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le moyen unique soulevé par la société requérante, qui tend à contester la note obtenue à un sous-critère et, par suite, l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la qualité des prestations et la valeur esthétique de l'offre, est inopérant devant le juge des référés pré-contractuels ; en tout état de cause, il n'y aurait lieu que d'enjoindre à la reprise de la procédure au stade de l'analyse des offres.

La société Lead Off, régulièrement informée de la requête et de l'audience publique, n'a pas produit d'observations écrites en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Thielen, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 5 janvier 2023 :

- le rapport de Mme A,

- les observations de Me Oueslaty, représentant la commune de Baden, qui persiste dans ses conclusions écrites, par les mêmes arguments qu'elle développe.

Les sociétés WeArePublic et Lead Off n'étaient pas représentées.

La clôture de l'instruction a été fixée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Baden a lancé le 3 novembre 2022, en procédure adaptée, la passation d'un marché de prestations intellectuelles portant sur la conception graphique et structurelle et la mise en œuvre d'un site internet. La société WeArePublic a été informée, par courrier du 15 décembre 2022, du rejet de son offre et de l'attribution de ce marché à la société Lead Off. Par la présente requête, la société WeArePublic demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. "Selon l'article L. 551-2 du même code : "I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ()".

3. En vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

4. Pour contester le rejet de son offre, la société WeArePublic soutient que le pouvoir adjudicateur a méconnu les documents et règles de la consultation en procédant à la notation des offres. Elle expose qu'elle a obtenu la note de 0/20 sur le dernier critère" qualités esthétiques, capacités créatives et webdesign "en étant sanctionnée pour ne pas avoir transmis de pistes graphiques créatives à l'appui de son offre, qui n'étaient pourtant pas exigées aux termes des documents de la consultation, ainsi que cela lui avait été confirmé par courriel de la commune de Baden du 5 décembre 2022, lequel lui a précisément et explicitement indiqué qu'elle ne serait pas sanctionnée sur ce point et que le dernier critère serait apprécié et noté au regard des références transmises dans le cadre de son dossier d'offre. La société WeArePublic soutient également que les documents de la consultation étaient incohérents et erronés, intégrant des informations et exigences procédant de la passation d'un autre marché public.

5. L'article 8.2 du règlement de consultation du marché en litige précise que l'attribution du marché se fait selon trois critères : la valeur technique, le prix et les qualités esthétiques, les capacités créatives et webdesign. La valeur technique, pondérée à 45 %, est appréciée au regard d'une note méthodologique détaillant le plan de conduite du projet. Il est subdivisé en trois sous-critères : 1. Méthodologie de la conduite de projet, noté sur 20 points. 2. Moyens humains : compétences du candidat, CV des intervenants, noté sur 15 points. 3. Planning détaillé pour une livraison le 1er avril 2023, noté sur 10 points. Le critère prix, pondéré à 35 %, est apprécié par application d'une formule prenant comme référence l'offre la moins-disante. Le critère portant sur les qualités esthétiques, les capacités créatives et webdesign est pondéré à 20 %.

6. L'article 6 de ce même règlement de consultation précise que les candidats doivent produire, à l'appui de leur offre : l'acte d'engagement et ses annexes, une offre de prix détaillée, un document de présentation du candidat (CV, stratégie, chiffre d'affaires, références sur des prestations similaires objet de la présente consultation. Tous documents permettant d'apprécier la valeur technique de l'offre), pistes créatives : ébauches des logos et présentation de la charte graphique, un planning détaillé pour une livraison au 1er avril 2023.

7. Le cahier des charges techniques, intégré au dossier de consultation, précise par ailleurs en son article 1.1.3 : " En janvier 2021, la Mairie s'est dotée d'un service de communication (). Dans cette perspective, la ville a choisi prioritairement de se doter d'une nouvelle identité visuelle, soit d'un logo et d'une charte graphique. Ces éléments lui ont été livrés en mars 2022 et doivent désormais constituer la trame graphique de tous les supports de communication de la ville. Ils définissent également un concept de communication global qui s'appliquera au site internet dont la municipalité souhaite s'équiper ". Il précise en son article 4.1 : " Approche graphique. Les choix en matière de design graphique devront être novateurs et pensés en cohérence avec la nouvelle identité visuelle dont vient de se doter la ville. À ce titre, les préconisations techniques qui figurent dans sa charte graphique (nuancier, typographies, symboles, etc.) devront être déclinés et les pistes créatives proposées par le prestataire retenu devront servir, dès la page d'accueil, l'image que la ville souhaite se donner () ". Il précise enfin en son article 4.3 : " Une rencontre avec le groupe de travail de la ville en charge du projet devra permettre au prestataire retenu de cerner les attentes en matière d'approche graphique et de structuration des contenus. () À l'issue de cet échange, le prestataire devra proposer : Au minimum, deux approches graphiques différentes qui porteront sur la page d'accueil, une page d'actualité, une page d'agenda, une page d'annuaire, une page article. () ".

8. Il est constant que le pouvoir adjudicateur a attribué à l'offre de la société WeArePublic la note de 0/20 sur le critère " qualités esthétiques, capacités créatives et webdesign ". Il résulte à cet égard de l'instruction que le pouvoir adjudicateur avait, par courriel du 2 décembre 2022, soit après la date de remise des offres et avant celle des décisions de choix de l'attributaire et de rejet des autres offres, indiqué à la société WeArePublic que son offre ne comportait pas de pistes créatives, en précisant que cet élément était pourtant requis aux termes du règlement de consultation, constituant un critère de jugement des offres à hauteur de 20 %. Il résulte également de l'instruction que la société WeArePublic a justifié les raisons de cette non-transmission, par courriel du 5 décembre 2022, en faisant valoir qu'elle a considéré les mentions du règlement de consultation relatives aux pièces à transmettre (" pistes créatives - ébauches des logos et présentation de la charte graphique ") comme erronées, dès lors que la charte graphique de la commune était, précisément, déjà établie et transmise dans les documents de consultation, et que le cahier des charges indiquait que les pistes graphiques devraient être proposées par le prestataire retenu, à l'issue de la première réunion d'exécution du marché. Il résulte enfin de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a indiqué, par courriel de réponse du 5 décembre 2022, que l'exigence d'une transmission de " pistes créatives - ébauches des logos et présentation de la charte graphique " résultait effectivement d'un copier-coller erroné du règlement de consultation du marché relatif à la charte graphique, qu'il était toutefois loisible à la société WeArePublic de compléter son offre en transmettant une esquisse de page d'accueil établie au regard de la charte graphique de la commune de Baden, mais que ses compétences et les qualités esthétiques de son offre seraient en tout état de cause examinées au regard des références transmises dans son book, dont la qualité avait au demeurant justifié que la commune la sollicite pour présenter une offre.

9. Il résulte ainsi de l'instruction que nonobstant les indications qui lui avaient été données dans le cadre de cet échange de courriels, la société WeArePublic s'est vu attribuer la note de 0/20 sur le critère " qualités esthétiques, capacités créatives et webdesign " au seul motif qu'elle n'avait pas transmis, à l'appui de son offre, de piste graphique créative telle que mentionnée dans le règlement de la consultation, consistant en des ébauches de logos et une présentation de la charte graphique. Pour autant, l'exigence de la transmission de tels documents à l'appui des offres révèle nécessairement une mauvaise définition de ses besoins par le pouvoir adjudicateur, les mentions en cause du règlement de consultation présentant une incohérence, tant au regard de l'objet même du marché public en litige qu'au regard des termes du cahier des charges techniques. Dans ces circonstances, et sans que cela ne revienne ni n'aboutisse à ce que le juge des référés précontractuels contrôle l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les mérites respectifs de chaque offre, la société WeArePublic apparaît fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne notant pas son offre sur l'un des critères d'attribution au seul motif de la non-transmission d'un document ne présentant pas de lien, en termes d'objet et de cohérence, avec le marché en cause, et alors même, au demeurant, que son offre comprenait les documents permettant une telle notation. Ce vice, tenant à une mauvaise définition de ses besoins par le pouvoir adjudicateur et à la mise en œuvre d'une procédure de sélection sur la base de documents de consultation incohérents, a nécessairement lésé la société WeArePublic, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les autres sociétés candidates ont transmis, à l'appui de leurs offres respectives, des esquisses et pistes graphiques.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société WeArePublic est fondée à demander l'annulation de la décision du maire de la commune de Baden du 15 décembre 2022 portant rejet de son offre pour l'attribution du marché de prestations intellectuelles pour la conception graphique et structurelle et la mise en œuvre d'un site internet, ensemble la décision d'attribution de ce marché à la société Lead Off et la procédure de passation de ce marché. Eu égard au vice retenu, cette procédure de consultation devra être reprise intégralement si la commune de Baden entend conclure un marché ayant le même objet.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société WeArePublic, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Baden demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La décision du maire de la commune de Baden du 15 décembre 2022 portant rejet de l'offre de la société WeArePublic pour l'attribution du marché de prestations intellectuelles pour la conception graphique et structurelle et la mise en œuvre d'un site internet, ensemble la décision portant attribution de ce marché à la société Lead Off sont annulées.

Article 2 : La procédure de passation du marché de prestations intellectuelles pour la conception graphique et structurelle et la mise en œuvre d'un site internet de la commune de Baden est annulée et la commune de Baden devra, si elle entend poursuivre cette procédure, la reprendre intégralement.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Baden au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société WeArePublic, à la commune de Baden et à la société Lead Off.

Fait à Rennes, le 9 janvier 2023.

Le juge des référés,

signé

O. ALa greffière d'audience,

signé

P. Cardenas

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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