Tribunal administratif de Nantes, 27/07/2022, n°2005499

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2020, la société Camping-Car Park, représentée par Me Boisset, demande au tribunal :
1°) à titre principal, d'annuler le contrat conclu entre la communauté de communes de Châteaubriant-Derval et la société Aire Services ayant pour objet la gestion d'une aire de service de camping-car ;
2°) à titre subsidiaire, de résilier ce contrat ;
3°) en tout état de cause, de condamner la communauté de communes de Châteaubriant-Derval à lui verser la somme de 127 103 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi par elle en raison de la perte de chance de remporter le marché relatif à la gestion d'une aire de camping-car ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes de Châteaubriant-Derval la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :

  • l'offre de la société Aire Services était irrégulière ;
  • le choix de l'offre de la société Aire Services est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
  • les modalités de déroulement des négociations, prévues par le règlement de consultation, ont été méconnues ;
  • l'exactitude des informations données par la société Aire Services n'a pas été vérifiée.
    Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2020, la communauté de communes de Châteaubriant-Derval, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Camping-Car Park en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle soutient que les moyens soulevés par la société Camping-Car Park ne sont pas fondés.
    La procédure a été communiquée à la société Aire Services qui n'a pas produit d'observations.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique :
  • le rapport de M. A,
  • les conclusions de M. Dias, rapporteur public,
  • les observations de Me Boisset, représentant la société Camping-Car Park,
  • et les observations de Me Gourdain, substituant Me Marchand, représentant la communauté de communes de Châteaubriant-Derval.
    Une note en délibéré, présentée pour la communauté de communes de Châteaubriant-Derval, a été enregistrée le 29 juin 2022.
    Une note en délibéré, présentée pour la société Camping-Car Park, a été enregistrée le 30 juin 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes de Châteaubriant-Derval a lancé une procédure adaptée, sur le fondement de l'article L. 2123-1 du code de la commande publique, pour la gestion d'une aire de service de camping-car pour une durée de cinq ans. Par une lettre du

17 février 2020, le pouvoir adjudicateur a écarté l'offre de la société Camping-Car Park. Le marché a été a attribué à la société Aire Services pour un montant annuel de 11 268 euros HT et a été signé le 18 février 2020. Par une ordonnance du 26 février 2020 (n° 2002223), le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la société Camping-Car Park tendant à l'annulation de la procédure de passation du marché public, dès lors que le contrat avait été signé avant l'enregistrement du référé pré-contractuel. Par une lettre du 5 mars 2020, la société Camping-Car Park a présenté à la communauté de communes de Châteaubriant-Derval une demande préalable d'indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière. Par une lettre du 3 avril 2020, cette demande a été rejetée par le président de la communauté de communes. Par sa requête, la société Camping-Car Park demande au tribunal, à titre principal, d'annuler le contrat conclu entre la communauté de communes de Châteaubriant-Derval et la société Aire Services ayant pour objet la gestion de l'aire de service de camping-car, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat et en tout état de cause, de condamner la communauté de communes de Châteaubriant-Derval à lui verser la somme de  127 103 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi par elle en raison de la perte de chance de remporter le marché.

Sur la validité du marché litigieux :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Et aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

4. La requérante soutient que l'offre de la société Aire Services était irrégulière en ce qui concerne l'évacuation de l'aire d'accueil et la multiplicité des modes de paiement. D'une part, alors que l'article 2 du cahier des clauses particulières (CCP) du marché prévoyait que " le gestionnaire sera capable d'assurer entièrement l'évacuation de l'aire ou le confinement des usagers en cas d'alerte ", la requérante soutient que la société Aire Services ne peut pas assurer cette prestation, dès lors que, sur les autres aires que celle-ci gère, elle ne dispose pas des numéros de téléphone portable des usagers. Toutefois, les modalités d'application de cette stipulation de l'article 2 du CCP sont laissées à l'appréciation du titulaire du marché et la collecte par le titulaire des numéros de téléphone portable des usagers ne constitue pas une exigence technique prévue par les documents particuliers du marché. En outre, il résulte de l'instruction, en particulier de l'extrait produit de l'offre de la société Aire Services, que celle-ci a prévu une procédure type d'évacuation, comportant l'affichage permanent du plan d'évacuation et, en cas de décision d'évacuation, l'affichage du message d'évacuation, le déclenchement d'une sirène distinctive, l'ouverture à distance de la barrière de sortie, la liste des personnes sur site, la transmission par sms et courriels de l'ordre d'évacuation et l'affichage d'un message sur le site internet de l'aire.

5. D'autre part, la société Camping-Car Park soutient que la société Aire Services n'a proposé qu'un mode de paiement unique par carte bancaire, alors qu'au titre du critère de la valeur technique des offres, le règlement de consultation prévoyait un sous-critère : " Multiplicité des modes de paiement - 10 points ". Cependant, au cours de la négociation écrite, la société Aire Services a indiqué, dans une lettre du 29 janvier 2020, la possibilité de paiement en ligne par carte bancaire, ou par chèque ou chèque-vacance. La communauté de communes soutient également, sans être sérieusement contestée, que la société Aire Services permettait aussi le paiement par virement bancaire. Le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Aire Services doit être écarté.

6. En deuxième lieu, le point 7.3 du règlement de la consultation prévoyait : " Après examen des offres, le pouvoir adjudicateur engagera des négociations avec tous les candidats sélectionnés. Elles se dérouleront par phases successives, de manière à réduire le nombre d'offres à négocier en appliquant les critères d'attribution. Toutefois, le pouvoir adjudicateur se réserve la possibilité d'attribuer le marché sur la base des offres initiales, sans négociation ". La requérante soutient que le règlement de consultation prévoit que les négociations se dérouleront " par phases successives ", que l'emploi du pluriel imposait par conséquent au minimum deux phases successives de négociation, mais qu'en l'espèce, le pouvoir adjudicateur n'a adressé à la société Camping-Car Park qu'une seule lettre de négociation. Toutefois, il résulte du texte même du point 7.3 du règlement de la consultation que des phases successives de négociation avaient pour seul but de réduire le nombre d'offres à négocier. En outre, en présence de seulement deux offres, le pouvoir adjudicateur a pu, comme il l'a fait, limiter la négociation à une seule phase sans méconnaître ses obligations en matière de publicité et de mise en concurrence.

7. La requérante soutient également que, dans sa lettre du 28 janvier 2020, elle a d'une part réduit le forfait " location des équipements " à la somme de 6 777,50 euros HT et, d'autre part, proposé deux solutions à la collectivité pour la part du forfait relative à la " gestion et promotion de l'aire ", que, pensant que les négociations devaient se poursuivre, elle n'a en effet pas tranché entre ces deux solutions, mais qu'il s'avère que l'une des deux solutions proposées aboutit à ce que son offre soit la moins-disante. Toutefois, ce montant de 6 777,50 euros HT n'apparaît que dans sa lettre du 18 février 2020, adressée à la communauté de communes après rejet de son offre. Il n'est pas établi que la réduction des négociations à une seule phase aurait conduit à écarter l'offre de la société Camping-Car Park qui aurait été la moins-disante.

8. En troisième lieu, lorsque, pour fixer un critère d'attribution d'un marché public, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats.

9. L'article 2 du cahier des clauses particulières (CCP) du marché prévoyait que " 3/ L'assistance - Le gestionnaire doit assurer une assistance clientèle, à destination des camping-caristes, mais également une assistance technique à la Collectivité. / L'assistance clientèle doit être joignable au minimum, de 8h00 à 20h00. Elle doit répondre à toutes les difficultés rencontrées par le camping-cariste, notamment les problèmes liés au paiement ou au fonctionnement des équipements. / L'assistance technique doit être joignable 365 jours par an, 7 jours sur 7. Elle doit répondre à toutes les difficultés rencontrées par la Collectivité, particulièrement les problèmes techniques liés aux équipements ".

10. La requérante soutient que le pouvoir adjudicateur aurait dû demander aux candidats de produire des justificatifs de ce que chaque candidat disposait de plusieurs modes de paiement et notamment d'un automate de paiement, d'un centre de réservation et pouvait assurer l'assistance prévue par le marché. Toutefois, d'une part, la communauté de communes a pu contrôler l'exactitude des offres des candidats en vérifiant sur le site internet de ces candidats qu'ils proposent une plateforme dématérialisée de gestion des réservations d'aires de camping-car déjà accessible et d'un système d'assistance. D'autre part, en ce qui concerne l'automate de paiement, il ne constituait pas une caractéristique technique particulière du règlement de consultation, sanctionnée par le système d'évaluation des offres. En ce qui concerne l'assistance prévue par le marché, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur n'aurait pas vérifié la conformité de l'offre retenue avec les exigences minimales prévues par le CCP, alors qu'aucun document technique particulier n'était exigé par le CCP du marché pour apprécier cet élément de l'offre. Dans ces circonstances, le moyen tiré de ce qu'en s'abstenant d'exiger des candidats qu'ils produisent des justificatifs portant sur le respect de telles exigences, la communauté de communes de Châteaubriant-Derval aurait entaché la procédure suivie d'irrégularité doit être écarté.

11. En quatrième lieu, le point 7.2 du règlement de la consultation prévoyait, d'une part, que les deux critères retenus pour le jugement des offres, le prix des prestations et la valeur technique seraient pondérés, soit 40 % pour le prix et 60 % pour la valeur technique et, d'autre part que l'analyse du critère technique dépendrait de quatre sous-critères, la multiplicité des modes de paiement, notée sur 10 points, la qualité du centre de réservation (multilingues, multiples supports, instantanéité) notée sur 10 points, la qualité du service clients (procédure de suivi des demandes d'assistance, temps de réactivité), notée sur 15 points et le suivi qualité (quel suivi qualité interne ' quels support de suivi de la prestation '), noté sur 15 points. La communauté de communes de Châteaubriant-Derval a reçu deux offres, celles des sociétés Aire Services et Camping-Car Park. Il résulte de l'instruction, en particulier d'un tableau de synthèse de jugement des offres annexé à une lettre du 17 février 2020 adressée par la communauté de communes à la requérante, que pour l'offre de base, la société Aire Services a obtenu la note de 40 au critère du prix et celle de 60 au critère de la valeur technique, alors que la société Camping-Car Park a obtenu respectivement les notes de 21,53 et 60. Et pour la variante obligatoire " acquisition de l'équipement ", la société Aire Services a obtenu les notes de 35,96 et 60, alors que la société Camping-Car Park a obtenu les notes de 21,63 et 60.

12. La société Camping-Car Park soutient que le choix de l'offre de la société Aire Services est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Cependant, contrairement à ce que soutient la requérante, la société Aire Services a bien proposé plusieurs modes de paiement et la société Camping-Car Park n'établit ni même n'allègue que son offre aurait proposé davantage de moyens de paiement. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait surévalué l'offre de la société Aire Services. Si la requérante soutient également qu'en attribuant à la société Aire Services la note de 10 au titre du sous-critère " Qualité du centre de réservation (multilingues, multiples supports, instantanéité) ", la communauté de communes a commis une erreur manifeste dans la notation de cette offre, dès lors que la société Aire Services ne dispose pas d'un centre de réservation répondant aux exigences du pouvoir adjudicateur (multilingues, multiples supports), la société Aire Services a proposé un site de réservation dédié sur lequel il est possible de réserver le jour même. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait le choix de l'offre de la société Aire Services doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Camping-Car Park n'est pas fondée à demander l'annulation ou la résiliation du contrat en litige. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la condamnation de la communauté de communes de Châteaubriant-Derval à lui verser la somme de 127 103 euros, en réparation du préjudice subi par elle en raison de la perte de chance de remporter le marché, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes de Châteaubriant-Derval, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Camping-Car Park demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Camping-Car Park une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes de Châteaubriant-Derval et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Camping-Car Park est rejetée.
Article 2 : La société Camping-Car Park versera à la communauté de communes de Châteaubriant-Derval la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Camping-Car Park, à la société Aire Services et à la communauté de communes de Châteaubriant-Derval.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Loirat, présidente,
M. Gauthier, premier conseiller,
M. Marowski, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juillet 2022.
Le rapporteur,
E. A
La présidente,
C. LOIRAT La greffière,
P. LABOUREL
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière

A lire également