CAA Nancy, 17/11/2022, n°20NC02329

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Illico Place a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la régie départementale de Chalain-Vouglans à lui verser la somme de 168 092 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction fautive à la suite de la procédure d'attribution d'une convention ayant pour objet la mise à disposition d'un local à usage de point de vente de restauration rapide situé au domaine de Chalain et de mettre à la charge de la régie départementale de Chalain-Vouglans le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800684 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a condamné la régie départementale de Chalain-Vouglans à verser à la SARL Illico Plage une somme de 1 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 août 2020, la SARL Illico Plage, représentée par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 18 juin 2020 en tant qu'il a limité la condamnation prononcée à l'encontre de la régie départementale de Chalain-Vouglans à la somme de 1 000 euros ;

2°) de condamner la régie départementale de Chalain-Vouglans à verser une somme de 168 092 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de la procédure d'attribution de la convention ;

3°) de mettre à la charge de la régie départementale de Chalain-Vouglans une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la régie départementale de Chalain-Vouglans a commis deux fautes de nature à engager sa responsabilité à l'occasion de l'examen des candidatures à la passation de la convention d'occupation du domaine public : d'une part en évaluant mal son expérience professionnelle et d'autre part en appréciant mal son projet détaillé ;

- son préjudice doit être évalué à une somme totale de 167 092 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2022, la régie départementale de Chalain-Vouglans, représentée par Me Saban, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SARL Illico Plage sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SARL Illico Plage ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Barbier, représentant la régie départementale de Chalain-Vouglans.

Considérant ce qui suit :

1. Le domaine de Chalain, propriété du département du Jura et géré par la régie départementale de Chalain-Vouglans, comporte un camping, un centre de loisirs et un centre aquatique. Plusieurs commerces y sont également implantés dans des locaux que la régie met à disposition des exploitants. L'un de ces locaux est à usage de point de vente de restauration rapide de type "snack", exploité en vertu d'une convention d'occupation du domaine public depuis 2010 et jusqu'au 15 septembre 2013 par la SARL Illico Plage. La régie départementale de Chalain-Vouglans a décidé d'organiser une procédure de mise en concurrence précédée d'un avis d'appel public à candidatures afin de désigner l'attributaire de la nouvelle convention à conclure pour les saisons 2014, 2015 et 2016. Le 14 février 2014, à l'issue de cette procédure, elle a informé la SARL Illico Plage, qui s'était portée candidate, du rejet de son offre classée en deuxième position. Par un jugement du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a estimé que la régie départementale de Chalain-Vouglans avait commis une faute en n'informant pas les candidats de la pondération des critères à l'aune desquels elle allait apprécier leurs candidatures. Les premiers juges ont condamné la régie départementale de Chalain-Vouglans à verser à la requérante une somme de 1 000 euros qui correspond aux frais exposés par la SARL Illico Plage pour exposer son offre. La SARL Illico Plage relève partiellement appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur le cadre juridique :

2. Aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposaient, à la date du contrat litigieux, à une personne publique d'organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d'une autorisation ou à la passation d'un contrat d'occupation d'une dépendance du domaine public, ayant dans l'un ou l'autre cas pour seul objet l'occupation d'une telle dépendance. Il en va ainsi même lorsque l'occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel. Dans le silence des textes, l'autorité gestionnaire du domaine peut mettre en œuvre une procédure de publicité ainsi que, le cas échéant, de mise en concurrence, afin de susciter des offres concurrentes.

3. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.

Sur la responsabilité de la régie départementale de Chalain-Vouglans :

4. Il résulte de l'instruction que la régie départementale de Chalain-Vouglans a mis en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable à la conclusion de la convention d'occupation du domaine public. Il lui appartenait dès lors de procéder à la sélection des offres remises par les concurrents dans le respect des dispositions du règlement de la consultation et dans des conditions n'entraînant pas de rupture d'égalité de traitement entre les concurrents.

5. Il résulte également de l'instruction et notamment d'un document appelé "Règlement et cahier des charges" édicté par la régie à l'occasion de la procédure d'attribution de la convention d'occupation, que le choix du cocontractant sera opéré à l'aune des critères suivants : "projet détaillé du candidat / offre financière / expériences professionnelles du candidat. "Aux termes de l'article D du même document le "projet détaillé d'exploitation "précise "[] les intentions du candidat quant à la gestion de l'établissement : carte, tarifs, style, calendrier, décors, jours/heures d'ouverture etc. "Le candidat doit également fournir des précisions concernant l'organisation prévue pour l'établissement : cadre juridique, nombre et définition des postes de travail, nom du responsable, effectif de l'établissement, membres de la famille appelés à travailler dans l'établissement, etc".

6. D'une part, la SARL Illico Plage soutient qu'elle était la seule candidate à pouvoir faire valoir une expérience de l'activité de restauration rapide sur le domaine de Chalains-Vouglans et ce pour une période courant de 2010 à 2013. Elle en déduit qu'elle devait se voir attribuer une note de trois sur trois alors que le candidat retenu, qui ne bénéficiait pas d'une telle expérience, ne pouvait se voir attribuer une telle note. Il résulte toutefois de l'instruction que contrairement à ce que soutient la SARL Illico Plage, la condition d'expérience professionnelle du candidat ne se limite pas à une expérience de la restauration rapide, en particulier sur le seul site de Chalains-Vouglans mais que son appréciation doit permettre d'appréhender l'ensemble des compétences et qualités du candidat en rapport avec l'objet de la convention. Il résulte de l'instruction que le candidat finalement retenu justifiait d'une expérience de trente ans dans l'hôtellerie-restaurant développée dans des établissements très différents et que son gérant qui avait déjà dirigé des établissements était titulaire de deux certificats d'aptitude professionnelle, en tant que commis de restaurant et en tant que cuisinier. Dès lors, en estimant que le candidat finalement retenu présentait une expérience professionnelle supérieure à celle de l'appelante, la régie départementale de Chalain-Vouglans n'a pas commis dans l'appréciation des expériences professionnelles tant du candidat retenu que de l'appelante une erreur manifeste d'appréciation.

7. D'autre part, la SARL Illico Plage se plaint d'avoir obtenu la même note, à savoir trois sur trois, que le candidat finalement retenu lors de l'appréciation du critère du "projet détaillé du candidat. ". Toutefois l'appelante ne saurait établir que la régie a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ce critère simplement en alléguant que son projet était complet, détaillé et documenté.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a estimé qu'elle n'avait pas de chance sérieuse d'emporter le contrat en cause et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la régie départementale, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL Illico Plage demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SARL Illico Plage une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la régie départementale et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Illico Plage est rejetée.

Article 2 : La SARL Illico Plage versera à la régie départementale de Chalain-Vouglans la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Illico Plage et à la régie départementale de Chalain-Vouglans.

Copie en sera adressée au préfet du Jura.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Goujon-Fischer, président-assesseur,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. A

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au préfet du Jura en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

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